Après les violences, la météo fait des siennes dans un Pérou miné par le laxisme des pouvoirs publics


PAR PIERRE ROTTET

Les grands mensonges nationaux ! « L’ejército peruano », d’une part, qui ne craint pas le ridicule en niant son évidente responsabilité dans la mort par noyade des six militaires qui tentaient de passer d’une berge à l’autre du rio Llave (Puno), le dimanche 5 mars ; la presse péruvienne, de l’autre, inféodée aux pouvoirs politiques, économiques et à l’intouchable « ejército peruano ». Tous deux persistent et signent dans leur version « de soldats attaqués à coup de pierres et de noisettes » par les communautaires aymars de la région.

En dépit des centaines de témoignages et de vidéos prouvant que les indigènes, pacifiques, n’ont lancé aucune pierre, et encore moins de noisettes – qui ne poussent du reste pas dans la région – , le haut commandement des forces armées péruviennes maintient sa version. Se moquant bien des corroborations des témoins et des images qui attestent de la véracité des faits tels que décrits par le journaliste de « La Republica ». Les mêmes indigènes portèrent secours aux militaires qui se débattaient, sac militaire de plus de 30 kg au dos, pour ne pas subir le sort de leurs camarades.

Une force armée, dit en passant, habituée à escamoter ses responsabilités depuis toujours et notamment lors de la sale guerre des années 80 lorsque le Sentier Lumineux (SL) et « Marina de guerra » se partagèrent les atrocités dans les massacres de plus de 80’000 – 70’000 personnes, selon la Commission « Vérité et Réconciliation péruvienne ». 75 % des victimes étaient des indigènes de langue quechua et aymaras, issus des régions les plus reculées du pays. L’armée n’a jamais reconnu les tueries.

Ses mensonges ne lui suffisent plus. Le correspondant de « La Republica » qui a courageusement restitué les faits est aujourd’hui menacé de mort et diffamé tous azimuts sur les réseaux sociaux. Dans son éditorial publié jeudi, « La Republica appelle à la solidarité avec le journaliste Liubomir Fernández. Un appel entendu par des groupes ou agences de presse comme IPYS, ANP et Reporters sans frontières : « Les menaces et attaques de tous types contre notre collègue nous préoccupent ».

Jeudi 9 mars la journaliste-reporter Patricia del Rio, connue pour son émission « Las mañanas” sur Nativa TV, annonçait en pleurs son retrait de cette chaîne TV. Elle a été remerciée du jour au lendemain, ou invitée à le faire, pour avoir douté de la version de l’armée à propos du drame du rio Llave. Elle accuse au passage « certains médias de tergiversations et d’être mal intentionnés ». Ce licenciement intervient moins d’un mois après la mise à pied immédiate d’un journaliste de la TV nationale qui a osé parler à l’antenne de « l’assassinat par balle d’un jeune homme par la police ». Jamais la menace sur les journalistes n’a été aussi réelle au Pérou – hormis sous le régime du dictateur Fujimori.

Mensonges encore !

Mensonges des casernes, mensonges médiatiques… Mensonges d’Etat: lundi 14 février, la procureure de la nation, Patricia Benavides, affirmait avoir ouvert une enquête après des plaintes déposées contre la présidente et plusieurs ministres « pour génocide. Mardi dernier, le ministère public annonçait via un tweet que Mme Benavides avait interrogé la présidente Boluarte dans son bureau présidentiel.

Or de réunion, il n’y en a pas eu ! Une stupeur de plus après une nouvelle qui demeurera à nouveau sans suite. On apprenait en effet par le biais d’une enquête fouillée du journaliste Américo Zambrano, parue dans les pages de « Hildebrandt en sus trece », que cette prétendue investigation et ce supposé interrogatoire n’étaient qu’une mise en scène : « Tout cela n’a été qu’une immense farce, une mascarade, une dissimulation ». Et le journaliste d’asséner : « Procureure et présidente ne se sont jamais rencontrées… »

Selon Hildebrandt, la collusion entre la procureure et la présidente ne fait pas de doute. « Mme Benavides continue à agir comme une véritable associée politique de la présidente Dina Boluarte. L’impudence de cette relation convenue dépasse toutes les limites ». Patricia Benavides ? Celle qui va sans doute dicter la sentence, le moment venu, contre l’ex-président Pedro Castillo, destitué. Embastillé !

Et comme si cela n’était pas suffisant pour le Pérou, la météo, comme à l’accoutumée à cette époque de l’année, continue à faire des siennes. Semant drames et désolation. Les mêmes qui se répètent d’année en année, sans que jamais rien ne soit entrepris par les pouvoirs publics, laxistes. Depuis le début de l’époque des pluies, il y a une quinzaine de jours, on ne compte plus les personnes sinistrées, plus de 80’000 sans doute. Les pluies torrentielles ont pour l’heure fait 58 morts et une soixantaine de blessés, principalement dans le nord. Mais aussi dans la région centrale, à Lima également, capitale pas préparée pour « affronter les pluies à venir », aux dires du service national de météorologie péruvien. Vous avez dit laxisme ou incompétence?

Photo PR

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Un commentaire à “Après les violences, la météo fait des siennes dans un Pérou miné par le laxisme des pouvoirs publics”

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    Christian Lecerf 14 mars 2023 at 12:08 #

    Ce pays connaît l’instabilité depuis deux cents ans, c’est-à-dire depuis son indépendance.
    Comme le signale “Le Monde” dans un récent article :
    “Aucun des six présidents élus depuis 2016 n’a terminé son mandat. En six ans, le pays a connu quinze premiers ministres et plus de deux cent cinquante remaniements ministériels. Le Pérou est devenu le pays le plus inconstant du continent. L’un des plus inégalitaires également : 1 % de la population détient 28 % des richesses, selon le World Inequality Report 2022.”

    Comme vous le signaliez dans l’une de vos chroniques, il y a effectivement une élite blanche qui ne souhaite pas que les “indios” aient leur place au soleil. Il faudrait un nouveau contrat social faisant table rase du passé, mais ce n’est pas chose facile à réaliser tant sont grandes les résistances…

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