Le regard de Ferdinand Hodler sur la maladie et la mort de Valentine mais aussi une collection d’estampes contemporaines au Musée Jenisch


PAR PIERRE JEANNERET

Valentine Godé-Darel (1873-1915), belle jeune femme divorcée, fut dès 1908 le modèle du grand Hodler, de vingt ans son aîné, puis sa maîtresse. Quelques tableaux d’esprit symboliste la montrent nue, en pleine santé, incarnant la danse, la vie dans la nature et l’amour. En 1913, Valentine apprend en même temps qu’elle est enceinte et qu’elle est atteinte d’un cancer. Elle mettra au monde la petite Paulette. Mais inexorablement, la maladie progresse. Et Hodler va porter sur son amante un regard à la fois aimant, froid et clinique, ce qui peut sembler paradoxal. C’est le fameux « cycle de Valentine », l’un des grands ensembles dans l’art du 20e siècle, dont le Musée Jenisch présente 47 œuvres. Celles-ci sont loin d’être répétitives, même si on suit pas à pas la progression du mal. Valentine est alitée, d’abord vue les yeux grands ouverts tournés vers l’artiste. Puis son visage se fait de plus en plus émacié. Bientôt elle n’est plus représentée que de profil. Les traits se creusent, la bouche ouverte témoigne de sa difficulté à respirer. C’est une des plus fortes représentations artistiques de l’agonie dans l’histoire de l’art. Il faut dire que la mort n’a cessé de côtoyer Hodler depuis son enfance : la plupart des membres de sa famille étaient atteints de tuberculose. Sur le plan artistique, c’est un remarquable travail à l’huile, au fusain, à la gouache ou encore au crayon au graphite. Une question éthique peut néanmoins être posée : dans quelle mesure Valentine mourante était-elle consentante face au travail de son amant ? Que l’on se rassure : si l’exposition présente un sujet grave, si elle est bouleversante, elle n’est cependant pas macabre. Lorsque Ferdinand Hodler peint sa compagne sur son lit de mort, le 25 janvier 1915 à Vevey, il prend soin d’ajouter quelques fleurs stylisées dans la partie supérieure de son tableau. Car pour lui, Valentine a rejoint le grand Tout, où la nature et l’être humain ne font qu’un. Hodler lui-même mourra en 1918. Deux magnifiques tableaux représentent le Léman et les montagnes de Savoie, l’un des thèmes favoris du maître bernois. Déjà très atteint par la maladie, il les a peints depuis son balcon du Quai du Mont-Blanc à Genève. L’exposition se termine donc sur une note apaisée.

Edmond Bourqui, un « collectionneur idéal »

D’origine modeste mais né dans un milieu ouvert aux arts, cet ancien enseignant a constitué au fil des décennies une assez fabuleuse collection d’estampes. Sans fortune personnelle, il lui était plus facile d’acquérir ce type d’œuvres. Il a clairement privilégié l’art abstrait contemporain. En même temps, il a lié sa profession à sa passion, montrant à ses élèves certaines des œuvres de sa collection, organisant pour eux des visites d’expositions. Pourquoi donc est-il considéré comme un « collectionneur idéal » ? Parce que, depuis 2005, et avec une grande générosité, il a offert près de ses 300 estampes au Musée Jenisch, cela par plusieurs donations. On est donc loin du propriétaire qui abrite jalousement ses tableaux dans sa cave ou dans un coffre-fort ! En même temps, il n’a cessé de soutenir les artistes, les galeristes et les imprimeurs.

Le visiteur remarquera d’abord la grande cohérence de cette collection. Edmond Bourqui a manifestement une prédilection pour l’abstraction géométrique. De nombreuses œuvres présentées sont en noir-blanc. Dans d’autres, les couleurs éclatent, dans une belle complémentarité avec les formes, tantôt droites tantôt courbes. Inutile de citer des noms d’artistes : la plupart sont probablement peu connus du grand public. Il les découvrira sur place ! C’est donc l’occasion de se familiariser avec un art a priori austère, mais qui réserve de belles surprises. De plus, cette exposition dans le Cabinet des estampes constituera un contrepoint au « cycle de Valentine ». De la mort à la vie, toutes deux contribuant à l’unité de l’univers, ce qui est bien dans le message artistique de Ferdinand Hodler.

« Ferdinand Hodler. Revoir Valentine », jusqu’au 21 mai. « Un collectionneur idéal », jusqu’au 28 mai. Musée Jenisch, Vevey.

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