Le cas Credit Suisse


PAR CHRISTIAN CAMPICHE

La banque Credit Suisse fait trembler la place finance. Cet émoi est-il raisonnable, vaut-il la peine que la BNS, qui a annoncé une énorme perte en 2022, rappelons-le, engage 50 milliards pour la sauver?

Dans le fond depuis l’affaire Texon dans les années 70, l’établissement qui s’appelait encore le Crédit Suisse avec un accent aigu – l’anglais n’avait pas encore détrôné la langue de Molière – est un cas. Pour ne pas dire qu’il file du mauvais coton. A l’époque il s’en était sorti grâce à la solidarité des autres grandes banques, inquiètes pour l’image d’une place financière helvétique encore très imprégnée de secret bancaire à l’ancienne.

Issue de l’affaire de Chiasso, la Convention de diligence a remis un peu d’ordre dans le système bancaire. Le Credit Suisse a-t-il vraiment compris la leçon? Le fait est que la banque au logo ailé n’a jamais abandonné une dialectique de risque dont on peut se demander s’il est toujours calculé. Tandis qu’UBS se restructurait après le krach de 2008, Credit Suisse poursuivait sa fuite en avant dans la banque d’investissement, l’aile spéculative du métier. Le problème est qu’il a cessé ainsi d’être la banque du peuple. Occupé à naviguer dans les sphères de grand capital, l’institut a délégué ce rôle à son grand concurrent UBS et surtout aux banques cantonales.

Dans son édition du 13 mars, le quotidien romain « La Repubblica » n’y va pas par quatre chemins pour décrire la culture d’entreprise responsable de cette interminable descente aux enfers: « ce qui est certain, c’est que l’établissement Credit Suisse, bien qu’il soit suisse ou justement pour cette raison, séduit depuis quelques années bon nombre de clients au passé ou au présent trouble. … C’est ainsi qu’une banque de premier ordre s’est transformée en établissement voyou de la finance internationale, impliqué dans tous les scandales. … Le paradis des oligarques et des dictateurs, qui investit dans les transactions les plus infâmes des deux côtés de l’Atlantique et parfois même du Pacifique, une ressource inépuisable pour tous les inconditionnels des Panama Papers et consorts. »

Je reviens dès lors à mon interrogation initiale: pourquoi s’évertuer à sauver Credit Suisse? Parce qu’il s’agit d’une banque « too big to fail », selon l’expression consacrée? Pour permettre à UBS ne mettre le grappin à bon compte sur une institution qui finança les chemins de fer helvétiques au 19e siècle? La BNS mettra-t-elle au moins des conditions à sa participation au renflouage? Ce serait la moindre des choses quand on sait que le nouvel actionnaire de référence, Saudi National Bank, une enseigne qui appartient au royaume wahhabite, comme son nom ne l’indique pas, a annoncé ne pas vouloir bouger le petit doigt pour tirer d’embarras sa participation helvétique.

Une réponse adéquate à ces questions est urgente. Ne serait-ce que pour tranquilliser les 16.000 employés de Credit Suisse en Suisse. Ils ne savent plus à quel saint se vouer quand des clients légitimement inquiets viennent s’informer au guichet de la solvabilité de leur employeur. Les retraits de fonds ne sont pas communiqués, on peut imaginer qu’ils ne sont pas dérisoires.

Naturellement la politique d’information officielle vise à rassurer le pékin dans un contexte psychologique évident. La bourse se nourrit de rumeurs, inutile de noircir le tableau. Le journaliste Pierre Veya dans les journaux romands TX Group est de ceux qui jouent ce jeu tranquillisant en relayant la doxa gouvernementale affirmant que les dépôts sont « assurés » à hauteur de 100 000 francs. On espère seulement qu’il n’y aura pas de véritable faillite. Car si les personnes peu fortunées croient l’éditorialiste sur parole, elles risquent gros dans ce cas de figure.

L’économiste fribourgeois Sergio Rossi est d’ailleurs loin de partager un tel optimisme dans le journal en ligne de l’opérateur Bluewin: «le montant de 100’000 francs mentionné pour la garantie des dépôts n’est que théorique, dans la mesure ou le fonds alimenté par l’ensemble des banques à cette fin couvre actuellement une somme d’environ 8 milliards de francs. Si une faillite de Credit Suisse par exemple dépasse cette somme, cet excédent ne sera pas garanti. »

Une femme avertie en vaut deux. Un homme aussi.

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2 commmentaires à “Le cas Credit Suisse”

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    Pierre Santschi 17 mars 2023 at 21:24 #

    Comment se retenir de vous gratifier (sans intérêts, bien sûr), de ce que j’ai commis pour les commentaires de 24H, et qui a tout de suite été mis en ligne, ce qui est rarement le cas de mes productions?

    La manipulation, par injections verbales,
    Du pognon des banquiers, est l’un des plus grandioses
    Spectacles que nous, gueux, recevons en surdose
    En attendant aussi d’en avoir peau de balle…

  2. Yasmine Motarjemi 22 mars 2023 at 14:05 #

    En mai 2022, mon téléphone a été volé à la Banque Cantonale Vaudoise. Bien que, grâce aux caméras, la banque ait pu identifier la voleuse, la police a mis des mois à la poursuivre. La raison en est que la cliente avait donné une fausse adresse à la banque. Il s’est avéré qu’elle avait un passé crimine.

    J’ai donc essayé de comprendre comment la banque gère la sécurité de ses locaux. N’ayant pas reçu de réponse convaincante, je me suis tournée vers un ami et lui ai demandé à quelle banque je devais confier mes économies. Il y a deux semaines, il m’a répondu: Credit Suisse.

    En l’espace d’une semaine, cette banque à laquelle des millions de personnes faisaient confiance a failli faire faillite et, avec elle, c’est tout le monde de la finance qui aurait tremblé. La situation était telle que malgré les mesures prises depuis 2008 pour renforcer la sécurité des banques, le gouvernement suisse a dû intervenir pour sauver la situation, aux dépens des actionnaires.

    Mais comment est-il possible qu’une banque aussi réputée puisse faire faillite en moins d’une semaine? La réponse est que sous le beau visage doré de la banque, et de la Suisse, la situation était dysfonctionnelle pour ne pas dire pourrie. Comment cela a-t-il pu se produire sans que personne n’en parle vraiment et n’alerte? Une fois de plus, nous revenons à la question de la culture organisationnelle, la question des lanceurs d’alerte et de leur protection. Le mois dernier, c’est Nestlé qui a perdu un procès important contre une lanceuse d’alerte, moi https://www.infomeduse.ch/2023/03/21/revue-de-presse-yasmine-motarjemi-les-non-dits-sur-laffaire-nestle/ , et ce mois-ci, c’est Credit Suisse qui en est la victime.
    Qui sera le prochain?

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