Retrouvailles à Paris avec Christine, symbole d’une jeunesse en quête d’un avenir plus serein


PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris, texte et photos

Il est des événements graves qui imposent de choisir son camp et de rester cohérent dans un monde où les girouettes abondent. L’auteur de cet article, tout à la fois dessinateur, journaliste et accessoirement graphiste, n’a pas glissé un bulletin dans l’urne en faveur d’Emmanuel Macron le 24 avril 2022, date du second tour de l’élection présidentielle.

Et je ne pense pas avoir eu tort car les événements semblent donner raison à tous ceux qui ont fait de même. Et qu’on ne m’inflige pas le procès habituel : « Tu es un facho, un réac, un extrémiste, un raciste, etc. »

La preuve ? Pas plus tard que samedi soir, après être allé dessiner à Montmartre, j’ai couru jusqu’à la place Blanche pour acheter un exemplaire du numéro 3855 de Paris-Match avec, en couverture, ce titre choc : « La France s’embrase.»


C’est un kiosque à l’ancienne dont le concessionnaire, d’origine nord-africaine, travaille dur du matin à 22 heures pour écouler des journaux et revues toujours plus onéreux. (Match se vend désormais à 2,50 contre 3,50 euros au début de l’année, et tandis que le prix du papier s’affole, les insertions publicitaires s’étiolent…) Il s’agit de l’un des rares kiosques de style haussmannien subsistant à Paris, coiffé d’une coupole écaillée. Ce vendeur de journaux se refuse à vendre le Canard Enchaîné, trop à gauche à son goût. Et ne lui dites surtout pas que vous ne participez à des manifs contre le passage de la retraite à 64 ans imposée, brutalement par Emmanuel Macron via le 49.3, une procédure autorisant le gouvernement à faire fi des votes à l’Assemblée nationale, si souvent déclenchée par l’actuel gouvernement. « Ceux qui ont voté pour Macron n’ont qu’à en tirer les conséquences ; ils ont voulu les atteintes actuelles à la démocratie », s’énerve le kiosquier.

Au pied de la butte Montmartre, « On est là, on est là » – C’est précisément, maintenant, le dessinateur qui prend la parole pour vous raconter « une histoire » vraie. Quelques jours auparavant, par un jour pluvieux, je croquais la basilique du Sacré Cœur perché sur la butte Montmartre tel un gros gâteau crémeux. (Pour les amateurs d’architecture, un édifice composite mêlant l’art roman, l’art gothique, l’art byzantin, etc.)

Dessin Yann Le Houelleur

J’avais pris place à la terrasse d’un sympathique café situé au pied de ladite butte. Il était 18 h 30. Soudain des vociférations ont retenti; des chants se sont fait entendre (« On est là ; on est là », un refrain tant entonné lors des manifs orchestrée par les Gilets jaunes); des flambeaux ont percé l’obscurité qui s’épaississait. Un cortège interminable se dirigeait vers la place des Abbesses. En grande majorité, des jeunes gens pressant le pas, quelques-uns portant un bâillon, et très peu de séniors parmi eux. (« Les vieux, lors des manifs, ce sont eux qu’on redoute le plus », devait me dire, quelques jours plus tard, un CRS – ces initiales signifient Compagnies républicaines de sécurité).

Soudain, je me suis mis à crier : « Christine, Christine ! ». Mes voisins de table, il est vrai, ne cachaient pas leur surprise, plutôt charmés par la scène qui allait se dérouler. La jeune fille que j’avais reconnue dans ce flot de manifestants portait un bonnet de laine bleu et elle brandissait une pancarte où se détachaient ces quelques lettres : « Non au 49.3. »

Les Patriotes, été 2021 – Incroyables retrouvailles : j’avais publié, à plusieurs reprises, la photo de Christine dans le journal numérique Franc-Parler, lorsque j’avais participé tout au long de l’été 2021 aux marches pour la Liberté déployées chaque samedi à Paris à l’initiative d’une formation politique récemment crée, les Patriotes. Ces manifestations géantes, dont aucune n’avait été émaillée d’incidents, aspiraient à contester la politique chaotique du gouvernement Macron en matière sanitaire, quand l’ensemble des Français avaient été contraints de se faire injecter plusieurs doses de vaccin anticovid. Le fondateur des Patriotes est un énarque, Florian Philippot, jadis numéro 2 du Front National devenu le Rassemblement National. Par son charisme et son sens inné de l’organisation, Philippot a contribué à la dédiabolisation et à la progression foudroyante, lors de scrutins successifs, du « parti des Le Pen ». Souverainiste, catholique assumé, orateur hors pair, Philippot n’est pas à proprement parler un homme de droite. Il se revendique gaulliste et séguiniste, du nom de Philippe Seguin, ancien député et ministre qui fut le chef de file des opposants au traité de Maastricht, lequel traité a été refusé par 51 % des électeurs français au début des années 90, un référendum bafoué par l’exécutif quelques années plus tard.

Deux types de manifestants – Mais revenons à la si sympathique Christine. Lors des rassemblements orchestrés par les Patriotes, elle s’était déguisée, de manière sophistiquée, en statue de la Liberté ambulante et sur la pancarte qu’elle tenait alors était inscrit, tout simplement, ce mot « Liberté ». Elle suscitait la curiosité et l’admiration des curieux, et les photos d’elles qu’ont prises les manifestants comme les touristes ont dû faire le tour du monde. Précisons que Christine est infirmière et très certainement non violente, dans un contexte si complexe où les médias auraient tendance à mettre dans le même sac deux type de manifestants. D’abord, des jeunes gens emportés par de sourdes frustrations ainsi qu’une angoisse légitime face à un monde toujours plus incertain. Ensuite, des casseurs avant tout en proie à une furie nihiliste comme à une haine de tout ce qui représente l’autorité, à commencer par la police.

Rassemblement National et Nupes – Par le biais de cet article, j’entends poser la question suivante : à longueur de journée, des commentateurs et experts passant le plus gros de leur temps à disserter sur toutes les questions lors d’émissions télévisées évoquent une jeunesse de plus en plus politisée. On l’a vu : Christine est disposée à participer aussi bien à des manif mises en œuvres par des souverainistes flirtant avec la prétendue extrême droite qu’à des cortèges où se concentrent, avant tout, des jeunes gens acquis à la gauche et même à l’extrême gauche.


Récemment, un ami trader, dans la trentaine, bénéficiant d’un long arrêt de travail après un burn out imputé à son employeur, m’a garanti qu’une bonne partie de la jeunesse était plutôt favorable à… Marine Le Pen et pendant longtemps le Rassemblement national a été considéré comme le premier parti de France dans les tranches les plus jeunes de la population hexagonale, bien avant la Nupes (Nouvelle Union populaire, écologique et sociale) dont le grand manitou s’appelle… Jean-Luc Mélenchon, un homme souvent sanguin, idéaliste et déroutant qui ne cesse de dénoncer les violences policières et appelle au grand soir pour renverser un capitalisme à bout de souffle.

La jeunesse face à la précarité – Aussi, et c’est l’hypothèse que je souhaiterais approfondir, la jeunesse ne serait pas aussi idéologisée qu’on le prétend dans les médias mainstream aussi bien qu’alternatifs mais elle serait globalement en rogne contre l’héritage calamiteux que lui auront laissé les baby boomers qui ont joui sans vergogne d’une abondance des matières premières, qui ont cultivé un souci permanent de confort et qui ont multiplié les caprices au point de détruire, piller, défigurer ce qu’il conviendrait d’appeler « notre patrimoine, notre capital commun », à savoir la biodiversité, l’eau, l’air, mais aussi la liberté de penser et d’agir mise en péril par la vidéosurveillance et l’intelligence artificielle, à travers notamment ces start-up dévorantes dont M. Macron se voulait l’apôtre.

Toute une partie de la jeunesse serait en train de se rendre compte que cette orgie de matérialisme et d’individualisme ne mène à rien alors que maints politiciens hors sol prétendent ressusciter de vieilles recettes et misent sur le retour à l’esclavagisme et la destruction de la culture, de l’éducation, de la santé publique pour nous plonger en plein cœur d’un chaos absolu.

Quelques heures avant de retrouver Christine et de la photographier à nouveau, j’ai discuté avec un jeune serveur, Fabien, dans un bar le long de la rue des Abbesses, qui m’a ouvert les yeux : « J’ai renoncé à des études car j’étais à court d’argent. Si j’en avais le temps, rien ne dit que je ne participerais pas à ces cortèges et à ces nuits de folie dans les rues de Paris. J’habite un immeuble, dans le 19ème arrondissement, au bas duquel il y a un local où une association sert de la soupe, le soir. En un an, la file des étudiants qui cherchent à se nourrir gratuitement, faute de ressources, a doublé de longueur. La France n’arrive même plus à nourrir tous les siens. Au lieu de lutter pour le maintien de nos industries et la prospérité de nos agriculteurs, nous avons laissé émerger une société entièrement basée sur les services et le tourisme. C’est très dangereux et ça génère de la précarité, toujours plus de précarité. »

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