«Le Che a été sacrifié sur l’autel du castrisme» – Décès du Général Gary Prado qui avait capturé Ernesto Che Guevara en 1967


PAR NADINE CRAUSAZ

Devenu un héros dans son pays, le Général Gary Prado Salmona qui avait capturé Che Guevara en 1967, s’est éteint à Santa Cruz de la Sierra, à l’âge de 84 ans.

Au cours d’un entretien exclusif, à l’occasion des 50 ans de la mort de Che Guevara, en octobre 2017, le Général bolivien Gary Prado avait fermement affirmé que Fidel Castro avait abandonné son compagnon d’armes en l’envoyant combattre en Bolivie, sans appui ni solution de repli, le condamnant de fait à l’échec et à la mort.

Gary Prado était général dans l’armée bolivienne. Il est un des derniers acteurs vivants de la traque et de la capture de Che Guevara, au cœur de la Bolivie. Le 8 octobre 1967, Gary Prado, alors jeune capitaine à la tête de la compagnie B du Régiment Manchego (photo DR) capturait le guérillero, diminué à cause d’une blessure à la jambe. Il l’emprisonnait dans l’école du hameau le plus proche, La Higuera.

Gary Prado est un des derniers hommes à avoir pu converser avec le révolutionnaire. Le lendemain, le Che était exécuté alors que Gary Prado était reparti avec ses soldats à la recherche des derniers guérilleros.

Gary Prado, homme de gauche, progressiste, s’opposera notamment à la dictature militaire dans son pays, avant de devenir ambassadeur de Bolivie au Royaume Uni et au Mexique. En 2009, il sera même accusé par le président bolivien Evo Morales, grand admirateur du révolutionnaire cubain, d’avoir assassiné Che Guevara – il s’en est toujours défendu avec véhémence. Un Evo Morales qui le fera notamment poursuivre pour “terrorisme et soulèvement armé” dans une sombre affaire de tentative d’attentat à son encontre. Un acte de pure vengeance, plaide le général Prado qui vivait dans l’Oriente, à Santa Cruz de la Sierra, paralysé des membres inférieurs, depuis qu’une balle perdue lui a touché la colonne vertébrale au cours d’une intervention militaire.

Photo DR

Général, pouvez-vous nous parler de la traque du Che Guevara qui vous a propulsé sur le devant de la scène internationale en 1967.

Il est vrai que la capture du Che m’a fait connaitre internationalement, mais cela n’a pas été un facteur influent sur le reste de ma vie. Je suis convaincu que j’ai accompli des choses plus importantes que l’arrestation du Che. J’ai eu une brillante carrière militaire, on me connaît et on me respecte pour ma contribution au retour à la démocratie en Bolivie et mes diverses activités jusqu’à ma retraite de l’armée, après 30 années de bons et loyaux services.

Vous avez quand même vécu avec ce « poids » parce que, après sa mort, le Che est devenu un mythe.

Au moment d’être capturé, le Che m’a dit: « Ne me tuez pas, j’ai plus de valeur pour vous vivant que mort», mais sa mort a eu l’effet inverse. Car pour Castro, le Che valait plus mort que vivant. Son élimination le libérait d’un problème délicat et il pouvait ainsi construire un mythe autour du Che, ce qui lui a permis de survivre avec son système.

Vous affirmez que ses «amis» l’ont envoyé en Bolivie pour en finir avec lui.

Le Che a été sacrifié sur l’autel du castrisme. Et Cuba devra admettre un jour que l’envoi du Che en Bolivie était un moyen de se débarrasser de lui, car il ne correspondait pas à la position prise par Cuba sous la pression de l’URSS. L’envoyer en Bolivie, le priver de tout soutien et couper la communication avec lui était le meilleur moyen de le mettre à mort. Voilà pourquoi mon livre s’intitule «La guérilla immolée».

Le Che et ses guérilleros sans ressources, malades, n’avaient plus aucune aide extérieure … Dans ces conditions, les moyens mis en oeuvre par l’Armée pour leur capture n’étaient-ils pas exagérés?

Dans l’ensemble, au cours des neuf mois durant lesquels ont duré les opérations, moins de 2.000 hommes ont été réquisitionnés pour couvrir une superficie de 40.000 km2 (la taille de la Suisse) et cela représentait seulement 4% du territoire bolivien pour capturer et détruire la guérilla. Cette mobilisation a été organisée et à aucun moment il n’y a eu utilisation massive des troupes ou des médias. Le 8 octobre, j’ai été confronté au groupe du Che avec 70 hommes et nous les avons battus.

Lorsque vous avez arrêté le Che, avez-vous imaginé tout ce qui allait se passer ensuite?

Non, le Che était l’une des figures de la révolution cubaine et non le mythe construit. Pour moi, à ce moment-là, la chose la plus importante était que nous en finissions avec ce problème et que nous pourrions tous revenir à la paix dans nos foyers. Quand j’ai arrêté le Che, il était dans un piteux état. J’ai eu l’impression qu’il marchait vers son sacrifice pour une raison fondamentale: il n’avait nulle part où aller, il n’y avait pas un pays où il aurait pu se diriger. Il serait devenu réfugié politique et un hôte mal à l’aise. Pour toutes ces raisons, il a décidé d’aller jusqu’à la fin, menant une lutte avec lui-même entre l’instinct de survie et le sacrifice pour la cause à laquelle il a cru et à laquelle il avait consacré sa vie.

Vous aviez dit au Che qu’il serait jugé par un tribunal militaire? Or le lendemain, il était sommairement exécuté sans procès.

Ce fut une décision politique prise au plus haut niveau par le Président de la République René Barrientos et le commandement militaire pour mettre fin à la question une fois pour toutes. Vous devez penser que, trois ou quatre ans plus tôt, tous les adversaires du régime castriste avaient été abattus dans les premiers jours de leur Révolution. A la Forteresse de la Cabaña placée sous le commandement du Che lui-même, on avait sommairement exécuté environ 400 prisonniers. Il y a cinquante ans, les droits des prisonniers de guerre n’étaient pas reconnus par les guérilleros et les droits de l’homme n’avaient aucun effet. C’était une époque bien différente de la nôtre et on ne peut pas juger avec les paramètres actuels.

Comment s’est décidée l’exposition théatrale de son cadavre à Vallegrande?

L’hélicoptère avait fait des transports durant toute la matinée entre La Higuera et Vallegrande, d’abord avec les blessés, puis nos morts et à la fin les morts de la guérilla. On ne pouvait transporter que deux corps liés à des patins externes à la fois. Les instructions du commandant de la compagnie étaient que le corps du Che soit le dernier à être transféré à Vallegrande pour avoir le temps de faire des préparatifs avant son arrivée.

Pourquoi lui a-t-on coupé les mains et la peau de son visage après sa mort?

Les mains ont été coupées pour assurer l’identification par des experts argentins qui prendraient plusieurs jours pour atteindre Vallegrande, car à l’époque il y avait à peine un vol hebdomadaire entre Buenos Aires et Santa Cruz et, à ce moment-là il n’y avait pas de chambre froide pour conserver le corps qui commençait déjà à se décomposer. Son visage n’a pas été touché.

Le Che a t-il vraiment été enterré avec ses compagnons?

J’ai toujours tenu secret le nom de l’officier chargé de faire disparaitre le corps du Che, étant donné qu’il s’agissait d’une question très délicate et je voulais lui éviter le harcèlement par les médias. Toutefois, en 1997, lorsque la Commission cubaine a travaillé en Bolivie pour rechercher les restes de combattants, aidée par les informations limitées que l’armée avait en sa possession, le général Mario Vargas Salinas, dans des déclarations faites à un journaliste américain, a déclaré qu’il était l’officier en charge de la disposition finale des restes d’Ernesto Guevara et qu’ils n’avaient pas été détruits mais enterrés avec les restes des autres guérilleros tombés au combat dans la Quebrada del Churo les 8 et 9 octobre 1967, dans un endroit proche du cimetière de Vallegrande. Avec cette déclaration, la découverte subséquente du charnier a mis fin au mystère des restes, exposé par le propre responsable de ces dispositions finales.

Le transfert des restes à Cuba, curieusement, justement au moment de célébrer les trente années de son immolation, était l’endroit idéal pour réalimenter le mythe et redorer l’aura du guerillero, cachant ses défauts dans le domaine militaire et politique, ce qui l’a amené au sacrifice et en passant sous silence l’abandon de ses propres amis au moment où il aurait eu besoin de soutien et d’engagement.

Croyez-vous à la «malédiction du Che»? Il existe une longue liste de tragédies dont furent victimes plusieurs acteurs de ce funeste épisode de l’histoire bolivienne et mondiale?

Je n’ai jamais entendu parler de ces tragédies ou de malédictions. Il y a eu un second lieutenant, deux ans plus tard, qui est mort dans un accident de la route et le général Barrientos décédé dans un accident d’hélicoptère en 1969. Il n’y a pas la malédiction, ni par ailleurs beaucoup de choses qui ont construit le mythe et se sont avérées exactes.

Propos recueillis par Nadine Crausaz, auteure de “Che Gevara, les derniers secrets“.

Sur le site de la Higuera où fut tué le Che. Photo Nadine Crausaz

La malédiction du Che

Le Général Gary Prado, fut blessé par une balle perdue lors d’un affrontement avec des activistes boliviens qui occupaient des installations pétrolières à Santa Cruz en 1981. Avec une balle dans un poumon et une lésion de la colonne vertébrale Gary Prado demeura paralysé. Même s’il ne croit pas lui-même à une malédiction du Che Guevara, force est d’admettre qu’une vague de violence a emporté un à un presque tous les participants aux évènements qui aboutirent à la mort du Che, comme si son fantôme était revenu demander des comptes à ses assassins. On parle de la malédiction du Che! L’Argentin lui-même est décédé tragiquement à 39 ans, et il en fut de même pour sa ville ainée Hildita (morte en 1995 au même âge d’un cancer) et de son premier petit-fils Canek Sanchez Guevara, disparu tragiquement en 2015 à … 39 ans !

Le premier de la liste fut Honorato Rojas, le délateur des guérilleros, exécuté en 1969 par un commando de l’ELN bolivien dans son ranch, prix de sa trahison, sur ordre du Président Barrientos. Ce même Barrientos fut retrouvé carbonisé dans l’épave d’un hélicoptère des Forces Armées Boliviennes (H-23 FAB-602), portant des traces de balles. 

L’attentat ne fut jamais revendiqué, mais il pourrait être attribué à des éléments de l’armée en lutte permanente pour le pouvoir. Les soupçons se portèrent sur le nouveau président, le général Alfredo Ovando, chef des FAB et personnage clé dans l’opération montée contre Che Guevara. Il fut victime d’un attentat, durant sa présidence. Son fils blessé dans cet attentat décéda peu de temps après, si bien que le chagrin le rongea jusqu’au nouveau coup d’Etat le mettant, à son tour, sur la touche. Eduardo Huerta Lorenzetti, qui veilla le Che peu avant son assassinat, fut retrouvé décapité sur la route de La Paz à Oruro, le 9 octobre 1970, le jour de l’anniversaire de la mort du Che. 

Andres Selich est l’officier bolivien qui, avec l’accord de la CIA, ordonna la mort du Che. Selich trouva une mort violente en 1973, sous le gouvernement de Hugo Banzer, durant un interrogatoire auquel il fut soumis pour participation à un complot de coup d’état. Il fut bastonné à mort par ses collègues. A la même époque, l’ambassadeur de Bolivie en France, Joaquín Centeno Anaya, commandant de la VIIIème Division et responsable de la transmission de l’ordre d’exécuter le Che fut tué à Paris. L’attentat fut attribué aux “Brigades Internationales Che Guevara”. Centeno Anaya fut longtemps le protecteur de Klaus Barbie. Un autre militaire devenu ambassadeur, le colonel
Roberto Quintanilla dit Toto, chef des services de renseignements du ministère de l’Intérieur, présent lors de la mutilation des mains du cadavre du Che et auteur du meurtre d’un compagnon du Che, Inti Paredo, fut tué le 25 Novembre 1970 à Hambourg par Monica Earlt, membre de l’ELN. Felix Rodriguez, exilé cubain à la solde de la CIA qui participa à la capture de Guevara, devint malade une fois rentré à Miami, le diagnostic: asthme. La maladie dont était atteint le Che. 

Le maire Juan Jose Torres Ayoroa, dont les paramilitaires prirent part à l’hallali de la petite bande du Che fut dépossédé de ses biens et emprisonné dans un pénitencier en 1972 sous la présidence de Hugo Banzer. Juan Jose Torres, chef d’état-major des FAB qui signa l’arrêt de mort du Che, devint Président puis fut renversé. Il fut assassiné de trois balles dans la tête en 1976 à Buenos Aires par des membres d’une organisation d’extrême droite connue sous le nom de “Triple A”. 

Deux livres décrivent la malédiction du Che: “Ernesto Guevara de la Sena, tambien conocido como El Che” par l’écrivain mexicain Paco Ignacio Taibo et “La CIA contra El Che” par deux auteurs cubains, Adys Cupull et Froylan Gonzalez. 

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