La rencontre artistique à Grignan d’un peintre et d’un poète, Corseaux fait dialoguer Italo De Grandi et Philippe Jaccottet


PAR PIERRE JEANNERET

La Fondation De Grandi présente une exposition originale et belle. Le village de Grignan, dans la Drôme, est surtout connu pour son château, où au 17e siècle, Madame de Sévigné écrivit ses fameuses lettres à sa fille. Plus récemment, au 20e siècle, ce fut aussi le lieu de rencontre de plusieurs artistes. Dès 1953, le grand poète vaudois Philippe Jaccottet (1925-2021), dont l’oeuvre est entrée récemment dans la prestigieuse collection de la Pléiade, s’était installé à Grignan. En 1966, le peintre Italo De Grandi (1912-1988) y alla régulièrement lui aussi. Il y acquit en 1972 une maison en ruines, « La Grangeasse », qu’il restaura lui-même. L’amitié entre les deux hommes put se développer dans cette Drôme, que l’un et l’autre ont chantée, par les mots ou par le pinceau.

La maison très sobre qui abrite L’Atelier De Grandi, conçue en 1939 par l’architecte d’avant-garde Alberto Sartoris, les met en dialogue. Les extraits de poèmes de Jaccottet ont été choisis par la grande spécialiste de son œuvre, elle-même poète reconnue, José-Flore Tappy.

Mais c’est surtout aux aquarelles, ainsi qu’à quelques huiles d’Italo De Grandi que le visiteur prêtera son attention. La Drôme est à la jonction de la France du Nord et de celle du Sud. Si on y cultive la lavande, elle présente des paysages plus austères que ceux de la Provence, et comparables à ceux de l’Ombrie. Le peintre a représenté des maisons du village de Grignan. Certaines toiles attestent l’influence de Cézanne et des premiers cubistes, même si De Grandi s’est toujours montré très réticent envers l’art contemporain. Il est resté fidèle à la figuration et voulait garder l’esprit d’artisan qui fut celui des grands artistes de la Renaissance florentine. Dans toutes ses toiles et aquarelles sur papier, on observera son souci de rigueur dans la composition. Ses paysages, où la figure humaine est totalement absente, présentent une atmosphère à la fois de mélancolie et de sérénité, en communion avec la nature. Ils invitent les visiteurs de l’exposition, sur fond très discret de musique classique, au silence, à la méditation, à la paix de l’âme. Philippe Jaccottet écrit : « Pas de clochers. Mais dans toute l’étendue, l’heure de l’éternité qui bat dans des cages de buée. » Le travail à l’aquarelle ne permet guère les couleurs éclatantes. La lumière est comme un peu voilée, ce qu’on a pu admirer dans une précédente exposition consacrée aux œuvres vénitiennes d’Italo De Grandi. Aux motifs « pittoresques », le peintre préférait les paysages dénudés, comme dans Carrière de sable clair. Lavandes en différentes saisons, chênes verts et autres essences, maisons de petits villages de la Drôme sont déclinés avec sobriété, simplicité et une très grande délicatesse. Pas d’esbroufe dans cet art, où tout semble juste et à sa place.

Moins connues sans doute, et donc à découvrir, sont les superbes natures mortes du peintre. Celui-ci se réfère à Cézanne, et aussi à l’art hollandais, mais sans le souci d’illusionnisme stupéfiant dans la représentation des fleurs, des pots de grès, du gibier à plumes, de poissons ou de fruits, par lesquels les artistes des Pays-Bas acquéraient leur réputation. Et pourtant, quelle maîtrise technique chez Italo De Grandi, lorsqu’il nous montre – à côté des objets inanimés traditionnels dans le genre de la nature morte tels que couteau, vase, soupière ou bouteille de vin – un chèvre frais, des bigarreaux, des raisins que l’on voudrait croquer, comme dans la très belle huile Fruits aux linges blancs ! Reprenant un thème cher à Vermeer, l’Intérieur à la chaise montre quant à lui l’ouverture sur une série de chambres en enfilade.

Italo De Grandi n’a donc pas réinventé l’art. S’appuyant sur l’exemple des maîtres anciens, mais avec une tonalité bien à elle, une humilité face à la nature et face à l’art, son œuvre enchantera les visiteurs, qui seront également séduits par les extraits de poèmes de Jaccottet qui lui répondent. Le magnifique catalogue de l’exposition, avec la reproduction des toiles et aquarelles, ainsi que ses textes éclairants, sans le jargon prétentieux parfois d’usage, permet de mieux comprendre les œuvres et poèmes présentés, et d’en conserver le souvenir.

« Grignan. Italo De Grandi et Philippe Jaccottet », musée L’Atelier De Grandi, Chemin d’Entre-deux-Villes 7, 1802 Corseaux/Vevey, jusqu’au 29 octobre, ouvert du jeudi au dimanche de 13h30 à 18h.

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