Guerre, l’information biaisée


PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Dans le conflit qui ravage une vaste région d’Europe orientale, les médias suisses ont pris fait et cause pour l’un des belligérants. L’Ukraine est l’innocente victime, la Russie l’ignoble envahisseur auquel n’est accordée aucune circonstance atténuante. Le parti-pris est tel que les succès russes sont systématiquement présentés comme des défaites. Inversement, l’Ukraine est un pays promis à la victoire finale. Symbolique est la bataille de Bakhmout, cette ville dont la prise assurerait la maîtrise d’un couloir menant à deux places-fortes présentant un grand enjeu stratégique. La Russie a beau clamer qu’elle contrôle le lieu, les médias font du déni, ils insistent sur la contre-offensive annoncée par l’Ukraine depuis trois mois.

La propagande d’Etat impose des postures mensongères. Mais prendre ses désirs pour des réalités est un petit jeu dangereux. Figé devant son poste de télévision, le citoyen-spectateur compte les coups, tour à tour terrorisé et impavide devant une situation qui le dépasse. A la fois acteur et otage, il finance les livraisons d’armes dans la peur d’Hiroshima.

Symbolique de l’engagement médiatique à sens unique est également la présentation du dernier G7 consacré au resserrement des liens du clan militaire occidental face aux puissances russe et chinoise. Rencontre qualifiée par les médias de « sommet des dirigeants des sept principales démocraties industrialisées ». Un bel artifice verbal. Qu’est-ce qu’une « démocratie industrialisée »? Dans les dictionnaires en ligne, cette démocratie-là se voit intimement liée à la participation ouvrière aux décisions de l’entreprise, l’idéal communiste n’est pas loin. Pas vraiment le type de gouvernance privilégié dans l’antre du capitalisme industriel, les Etats-Unis, chef de file du G7. Dire de ce raout qu’il réunit les sept “principales démocraties industrialisées” relève donc de la fumisterie.

Les médias suisses ne font pas cavalier seul, ils suivent la ligne tracée par les grandes agences de presse occidentales, l’Agence France Presse, notamment. Ce fournisseur de dépêches est aux mains du gouvernement français. Autant dire que le contenu de l’actualité est fortement influencé par les options militaires d’un acteur majeur de la coalition occidentale aux ordres de Washington. Une occasion de plus de regretter l’affadissement de l’Agence télégraphique suisse, réduite à la portion congrue depuis sa restructuration subie avant la crise sanitaire. Ce fief d’une information traditionnellement indépendante, à l’écart des blocs idéologiques, n’a presque plus de correspondants maison dans les grandes capitales. Elle se trouve désormais en mains autrichiennes.

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4 commmentaires à “Guerre, l’information biaisée”

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    Santo Cappon 22 mai 2023 at 08:45 #

    Rien de nouveau sous le soleil : en temps de guerre “l’information biaisée” l’est forcément, de part et d’autre, même dans les médias extérieurs. Dès lors qu’elle intervient à chaud, dans le feu de l’action. Les réalités du terrain ne sont alors appréhendables qu’à l’aune des infos subjectives, livrées par les états-majors respectifs. Même si un pays en ruine est d’ores et déjà là pour crier son désespoir, L’Histoire s’écrira bien plus tard.

    Cela dit et objectivement, une seule chose est sûre et certaine : d’un côté un envahisseur, de l’autre un pays souverain envahi. Pourquoi en première lecture, le droit international ne devrait-il pas s’imposer dans une telle affaire ? Les “circonstances atténuantes”, si elles existent, pourront aider à comprendre les mécanismes complexes d’une entreprise criminelle, sans pour autant en gommer les effets ni blanchir totalement son auteur.

  2. Eran Shamgar 22 mai 2023 at 18:16 #

    Très bon article… le décalage entre ce qui est présenté dans les médias et la réalité ressort dans les commentaires souvent contradictoires… et l’AFP n’est pas réputée pour son objectivité!

  3. Pierre-Henri Heizmann 22 mai 2023 at 18:20 #

    Excellent éditorial!!!
    C’est hallucinant le niveau de mensonge permanent et éhonté pratiqué par les médias!!!
    Merci pour votre engagement!

  4. Robert James Parsons 24 mai 2023 at 23:32 #

    Le droit international s’est bien imposé dans cette affaire sous forme des accords de Minsk, négociés par Angela Merkel pour l’Allemagne, François Hollande pour la France et Viktor Porochenko pour l’Ukraine. Ensuite la France a porté le document devant le Conseil de sécurité de l’ONU où il a été érigé en droit international sous la forme d’une résolution formelle votée à l’unanimité.

    Ces accords datent du 15 février 2015 (15.2.15 – date facile à retenir).

    La fin de ces accords a été la relance des bombardements au Donbass le 16 février 2022, dûment notée par les 600 observateurs de l’OSCE sur place, exactement sept ans après la conclusion des accords.

    Je vous mets au défi de me trouver UNE SEULE OCCASION pendant ces sept années où Poutine, Lavrov, Choigu ou Gherasimov auraient parlé ou écrit publiquement au sujet de l’Ukraine sans exiger la mise en œuvre de ces accords. En décembre 2021, la Russie a proposé deux traités, l’un avec les États-Unis, l’autre avec l’OTAN. Bon nombre de personnes suivant l’affaire à Washington ont rapporté que les fonctionnaires du régime Biden se sont vantés de ne pas les avoir lus, «par crainte de les légitimer».

    Ayant quitté la présidence, Poroshenko a dit publiquement que les accords de Minsk ont été élaborés dans le but d’acheter du temps pour préparer le guerre contre la Russie. Ceci n’a pas été rapporté par les grandes entreprises médiatiques occidentales.

    En novembre dernier, Merkel, dans une entrevue avec Der Speigel, a dit la même chose sans provoquer le tollé que de tels propos, en provenance d’une telle personne, méritaient. Plus tard, dans une seconde entrevue avec Die Welt elle a répété ses propos, de nouveau sans réaction dans l’Occident. Peu après, Hollande a confirmé les propos de Merkel – encore le silence assourdissant en Occident.

    Cette guerre, nous le savons à partir de maints livres blancs, rapports, articles, présentations de conférence, vise le démembrement de la Russie, comme cela s’est fait en Yougoslavie. (Parmi les fonctionnaires du Département d’État qui aiment se vanter de leur formation classique, la devise est devenue: RUSSIA DELENDA EST.)

    En janvier 2022, Zelenski a demandé à l’OTAN la reconstitution de l’arsenal nucléaire de l’Ukraine. L’OTAN s’est dite favorable à une telle entreprise et a donné son aval.

    Le jour de Pâques, The New York Times Magazine a publié un très long article explorant l’état des forces ukrainiennes par rapport aux besoins de la tant promise «offensive du printemps». L’article fut assorti de bon nombre de photos des braves gars ukrainiens, ils affichent l’emblème wolfsangel sur leurs uniformes tout en portant des fusils occidentaux. L’OTAN, et les États-Unis en particulier, démentent toute implication des Nazis dans le conflit.

    Pourtant, ces mêmes Nazis ont été formés et «aguerris» par l’OTAN pendant plus de huit ans (depuis AVANT les manifestations de Maidan) surtout en Syrie et en Afghanistan. C’est un secret de polichinelle que le grand cafouillage à l’aéroport de Kaboul en août 2021 lors des évacuations des Occidentaux était le résultat du besoin d’évacuer au plus vite les 26’000 Ukrainiens nazis qui s’y «aguerrissaient».

    La dernière fois qu’un régime nazi se trouvait sur la frontière avec la Russie, il a envahi le pays (22 juin 1942). Avant la fin de l’an, la production agricole et industrielle du pays avait chuté de plus de 50 %. Tout ce qu’il valait la peine de sauver a été renvoyé au Reich, le reste a été brûlé. En mai 1945, lorsque la poussière commençait à se remettre en place, l’URSS avait perdu entre 27 et 28 MILLIONS d’habitants (dont un parent proche de Poutine, parmi les plus de 750’000 morts à Leningrad). On m’accuse d’exagération théâtrale quand je dis que les Russes sont carrément terrifiés devant l’idée d’un régime nazi à leur frontière – sans compter un régime nazi nucléaire. À vous de juger.

    Dernier point: quand les Russes sont entrés dans l’Ukraine, leur première cible précise a été la centrale nucléaire de Zaparožžia dont personne ne dit mot sauf pour accuser les Russes de pilonner la centrale où ils ont installé un bataillon entier pour la protéger. Pourtant, il était bien connu que cette immense centrale abritait plus 50 tonnes de plutonium, censées fournir la base du nouvel arsenal nucléaire ukrainien. Ce matériel n’y est plus. Dans les couloirs du Pentagone, on parle d’un vol frôlant un crime de guerre…

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