Mais à quoi servent-elles, nos souffrances ?


PAR YANN LE HOUELLEUR, à Gennevilliers

Rien de plus banal, en apparence : un matin, impossibilité de m’extraire de mon lit. Les rouages de cette formidable mécanique qu’est mon organisme se sont grippés soudain. Il faut recourir à la bienveillance de mon colocataire, spécialisé dans les premiers soins, pour retrouver ma position verticale. Et que ça fait mal ! M’attendent des semaines de souffrances confinant parfois au martyre car dans un monde qui a si insoucieusement préparé les esprits au mirage du bonheur via l’individualisme, il faut déployer des efforts démesurés pour trouver les bonnes adresses : médecins généralistes compétents, ostéopathes, rebouteux, sophrologues, etc.

Mais à quoi sert la diminution de nos facultés à vivre « normalement » et les souffrances qui en découlent ? Parfois, le constat du temps qui passe et nous ramène à l’essentiel. Parfois aussi, prise de conscience de la vulnérabilité de la vie. Mais aussi, une gifle retentissante sur notre narcissisme dans une société qui exige de nous d’être séduisants, bien vêtus et armé de signes extérieurs de richesse autant pour rassurer que pour impressionner.

En réalité ont été décelés une sciatique et un lumbago ainsi qu’un nerf à la jambe gauche qui se raidit et le retour en force d’une thrombose survenue après une injection de ce (maudit) vaccin contre la Covid… Assurément, la totale !

Surmenage, accumulation de soucis, nuits parfois blanches pour des raisons laborieuses : autant d’excès à la racine de ces dysfonctionnements physiques. A un moment, le corps se manifeste, violemment si nécessaire, pour nous dire : « Calme-toi, n’en rajoute pas, ne dilapide pas les trésors qui sont en toi, sinon je ferai monter d’un cran supplémentaire les moyens d’oppression à ma disposition. »
Alors, le soir, quand on arrive péniblement à trouver le sommeil, en journée quand on s’allonge sur un canapé dans le but de faire provision d’apaisement, pris en otage par les douleurs qui ne relâchent pas la pression malgré l’abus toujours si tentant de médicaments, on se sent (pas tout le monde, hélas) relié à ces inconnus, ces habitants de pays balayés par la pauvreté, ces enfants et vieillards innocents pris dans la tornade de conflits armés exacerbés par la voracité de chefs d’Etat à la botte de spéculateurs et de conglomérats industriels… En Occident, nous sommes malades d’un mode de vie qui se dégrade et gourmands en distractions superflues de nature consumériste alors qu’ailleurs, « ils » n’en peuvent plus de ployer sous le fardeau de guerres et de rivalités qui les appauvrissent, mais aussi de conventions internationales destinées à saigner ces pays aux ressources illimitées. Par exemple, les petits pêcheurs au Sénégal trahis par la Communauté européenne et leurs dirigeants qui ont accepté de les sacrifier sur l’autel de la rentabilité de leurs zones de pêches initialement exploités par eux.

Nos douleurs, nos souffrances sont ainsi faites pour nous rapprocher des autres, des faibles et des sans voix, d’autant plus qu’elles peuvent acquérir une dimension spirituelle.

Certains se sortent grandis de ces épreuves, d’autres y sombrent à tout jamais.

Et puis, je ne saurais oublier tout ces handicapés de la vie qui outre leurs maux doivent s’exposer aux moqueries ou aux indélicatesses de ceux qui se croient du bon côté. Je pense en particulier à cet artiste présent à un vernissage dans un hôtel particulier, se déplaçant en chaise roulante. Cet homme avait l’impression qu’on le toisait et qu’on le méprisait. « Les gens ne savent pas, n’osent pas ou ne veulent pas nous considérer comme leur égal. Ils nous ostracisent par leur indifférence et cela est douloureux à supporter, nous qui sommes capables tout autant qu’eux de faire de belles choses… »

En tout cas, quand je me saurai remis de mes graves ennuis de santé, je ne verrai plus le monde de la même manière. Aux antibiotiques et aux remèdes adoucissant la douleur se substitueront les remèdes d’une empathie décuplée et un surcroît de modestie. Car il faut garder en tête que les métiers liés aux arts et à la communication, même s’ils flirtent avec la précarité, amènent souvent à avoir la grosse tête. Et que dire des politiciens, des décideurs, des privilégiés de la Caste au pouvoir incapable pour beaucoup de la moindre compassion ?

Illustration: Nuit de souffrance, dessin de Yann Le Houelleur, 2023

Tags: , , , , , ,

Un commentaire à “Mais à quoi servent-elles, nos souffrances ?”

  1. Avatar photo
    Santo Cappon 4 juillet 2023 at 08:39 #

    De tels mots pour le dire, sont la marque d’une belle lucidité !

    Car à chaque nouvel étage de la vie, la nôtre, notre vision s’en trouve modifiée : une question de focale qu’il faut ajuster sans cesse. Cela a-t-il un sens ? Peut-être. Car si le panorama s’élargit au fur et à mesure, déployant au loin une évidence, celle de nos limites, le sens global du chemin jusqu’alors parcouru devient lui aussi plus clairement déchiffrable.

    Autrement dit, prendre de la hauteur malgré les circonstances, n’est jamais inutile.

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.