Il y a des jours où j’en ai assez de jouer les prophètes de malheur, de répéter « ça ne marchera pas leur truc ». Mais il faut le faire encore et encore. Dans le « petit traité de gouvernance », paru en mars dernier je souligne un principe de bon sens : l’art de gouverner et sa noblesse ce n’est pas de faire plaisir à tout le monde mais d’inventer des modes de régulation effectivement adaptés au problème à résoudre. En bref : ne pas essayer d’enfoncer une vis avec un marteau. Et pourtant c’est ce que je vois faire depuis quarante ans en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Dernier épisode en date, la définition par Emmanuel Macron de l’écologie à la Française. Mais il est hélas en bonne compagnie.
En 2022 et sous la présidence française de l’Union a été organisée à Nantes un sommet européen sur le climat. Un fonctionnaire de la Commission européenne avait fait un exposé brillant sur le Green New Deal. On allait voir ce qu’on allait voir ! Je me suis levé à la fin pour dire : « malheureusement ça ne marchera pas ». J’ai été vivement semoncé par certains amis : quoi, toi un chaud partisan de l’Europe, dire des choses pareilles ! Bref ne jamais désespérer Billancourt comme on disait dans ma jeunesse. Le soir j’avais dîné avec le fonctionnaire en question qui m’avait confié : « vous avez raison ça ne marchera pas ». Et effectivement, depuis lors, rétropédalage, sur la taxation aux frontières, même baptisée « ajustement », sur la fin du véhicule thermique, etc. Comme le dit joliment la Cour des comptes européenne, on n’est pas sur la bonne trajectoire.
Au niveau national, même conformisme de la pensée, avec les mêmes résultats. Dès juillet 2020 j’avais publié une tribune dans la Croix, à une époque où chacun était requis d’admirer le travail de la Convention citoyenne sur le climat, pour dire que les membres de la Convention avaient été piégés par le mandat qui leur avait été fixé et par le déroulement de la Convention imposé par les organisateurs et que leur rapport, contenant plusieurs centaines de fois les mots « interdiction » et « obligation » ne pouvait répondre à l’enjeu de la lutte contre le réchauffement climatique car il était évidemment contraire à un autre principe de gouvernance, « le principe de moindre contrainte » : parvenir au bien commun en évitant de le faire par la multiplication d’interdictions et d’obligations. Et ça n’a pas raté. Comme je le souligne dans la tribune publiée dans le Monde du 23 août, toutes ces normes et obligations qui pèsent plus sur la France d’en bas que sur la France d’en haut, c’est tout bénef pour l’extrême droite européenne et française et voilà maintenant que la droite, qui a bien compris qu’elle ne pouvait pas laisser à sa rivale le monopole de cette petite musique, lui emboîte le pas.
Conséquence logique, le récent discours d’Emmanuel Macron sur l’« écologie à la Française ». J’ai voulu l’évaluer puisque la mode est à l’évaluation des compétences de base des élèves, à l’aune des critères d’évaluation d’une bonne politique de lutte contre le réchauffement climatique et je viens de publier le résultat sur le site internet de Ouest France. Vous trouverez en pièce jointe la copie corrigée. C’est sans appel: note éliminatoire.
Gardons le moral, on finira bien par se rendre à l’évidence. Espérons seulement que ce ne sera pas trop tard.
Pierre Calame, président du Conseil de fondation de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH)