Tribune libre – Aborigènes, Incas, tous étrangers sur leur terre…


Les Aborigènes d’Australie et les indigènes péruviens descendants du peuple Inca, au Pérou, ont ceci de commun qu’ils peuplent une terre essentiellement colonisée par des blancs. A des moments de l’histoire différents, certes. Mais avec les mêmes relents racistes, et méprisants d’une volonté de brimer et d’ostraciser ses peuples.

Difficile de ne pas faire le parallèle entre l’un et l’autre peuple, dépositaire d’une identité, d’une culture millénaire. Pourtant ignorée et surtout non reconnue par celles et ceux qui sont venus de tous les ailleurs du monde pour y imposer leur présence. Leur hégémonie politique et économique. Pour y dicter leur pouvoir et même leur dieu, y compris par la violence et la force!

Sociétés blanches

Aborigènes australiens et indigènes péruviens, des Andes ou de la Sierra, Indios de l’Amazonie ou Afro-péruviens, tous sont les dépositaires légitimes d’un passé, de croyances diverses. Tous demeurent pourtant les invisibles, les laissés-pour-compte et les ignorés de sociétés majoritairement blanches, venues en intrus dicter leurs règles et leurs croyances en les imposant souvent par la violence. Contre des citoyens autochtones exclus des pouvoirs de décision, des richesses produites par leurs terres. Celles-là même qu’exploitent les sociétés blanches réunies sous le label des démocraties ou supposées telles du monde libéral occidental.

Des peuples au vécu millénaire, dont les spécificités de l’existence communautaire sont au fil des siècles, des ans, des bateaux et des avions plus ou moins lointains complices des migrations, passés de souverains sur la terre à minorités sans droit. Inexorablement, par la force. Des habitants arrivés d’ailleurs imposent leurs valeurs, leurs habitudes dans des mondes nouveaux qu’ils ont construits à leur image, afin qu’ils puissent s’y reconnaître entre eux. Aux dépens des autres, ces natifs désormais discriminés, victimes d’un odieux apartheid.

Vote australien

Apartheid dont sont victimes les Aborigènes australiens. Maîtres sur la terre ancestrale il y a pas si longtemps, ils ne sont actuellement plus que 984.000, soit 3,8% de la population australienne. Écrasés qu’ils sont sur la terre de leurs ancêtres, et aujourd’hui privés du droit le plus élémentaire, celui d’être reconnus par une Constitution. Dont une réforme a été rejetée par la population majoritairement blanche du pays. Une réforme qui proposait de reconnaître les populations autochtones dans la Constitution et de leur donner plus de droits. 61% des Australien ont dit «non». «Non», aussi à la création d’un conseil consultatif auprès du parlement et du gouvernement pour émettre des avis sur les lois et la gouvernance qui affectent les populations autochtones, étrangères sur leur propre terre.

La majorité des héritiers des colons arrivés sur l’île il y a 235 ans a donc eu raison du droit à la reconnaissance des Aborigènes d’Australie, installés sur ces terres depuis environ 60’000 ans, pourtant reconnus comme l’une des plus anciennes cultures au monde.

Héritiers des Incas

De là à faire un parallèle avec les indigènes péruviens, aujourd’hui poursuivis, emprisonnés, assassinés par les rambos au service du pouvoir blanc qui règne sans partage depuis la colonisation espagnole, il y a un pas facile à franchir. Pour la première fois de leur histoire, le peuple des Andes et de la Sierra avait élu un des leurs à la présidence du Pérou en 2021, en la personne de Pedro Castillo. Issu d’un milieu pauvre et rural, instituteur de profession, de langue quechua, Castillo est aujourd’hui emprisonné. Destitué par une droite et une élite blanche et revancharde. Incapable de reconnaître les droits des héritiers des Incas. Aux aussi natifs de cette terre du Pérou. Eux aussi étrangers sur leur terre.

Les exemples foisonnent à propos des peuples autochtones niés dans leurs droits et leurs existences par les colons principalement occidentaux venus envahir leurs terre à la recherche d’un Eldorado. Par la violence, les pistolets et les fusils. Aujourd’hui, on ne parle plus guère du génocide des Indiens des Etats-Unis, du Canada, le plus monstrueux de l’histoire moderne, qui «relègue» dramatiquement en nombre, d’autres génocides. Ceux qui perdurent aujourd’hui dans certains endroits de ce monde. Grâce aux complicités silencieuses de l’Occident. Des Indiens, survivants de ce génocide. Eux aussi étrangers sur leur terre.

Mémoire sélective en Occident

Un monde occidental à la mémoire sélective, à propos des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes. Niés, dit en passant, par la France à des population autochtones, aborigènes des territoires d’outre-mer, des quatre rondeurs des océans de ce monde, colonisées elles-aussi par un pouvoir blanc. Un pouvoir central exercé aujourd’hui encore depuis Paris, via des immigrés de l’hexagone à la recherche de soleil et d’exotisme, sur des populations à qui il fut dit un jour qu’elles étaient françaises. Partiellement française s’agissant des droits, le plus souvent discriminés, y compris et surtout socialement. Eux aussi quoi qu’on en dise, étrangers sur leur leur terre.

Le troisième référendum qualifiée d’«illégitime » par les indépendantistes de la Nouvelle-Calédonie en 2021, territoire stratégique et économique s’il en est, avait alors été boycotté majoritairement par les natifs de souche, est là pour le rappeler. Les loyalistes se frottant les mains.

Mémoires sélectives encore avec cette tâche indélébile que porte un monde occidental au parti-pris aveugle et souvent meurtrier, qui nous pète aujourd’hui une nouvelle fois dramatiquement à la gueule au Proche-Orient. Événements alimentés depuis près de 80 ans par la haine. Comme celle qu’alimente le vote récent en Australie. Étrangers sur leur terre!

Pierre Rottet, Fribourg

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4 commmentaires à “Tribune libre – Aborigènes, Incas, tous étrangers sur leur terre…”

  1. Christian Campiche 20 octobre 2023 at 18:37 #

    Sans oublier les Mayas du Guatemala. Les canons et les maladies des conquistadores, la guerre civile actuelle ont décimé ce peuple courageux sans réussir à vaincre son esprit de résistance. L’Echo Magazine leur consacre un bel article dans le numéro du 19 octobre 2023.

    • Pierre 21 octobre 2023 at 21:02 #

      La liste est longue. Très longue. Avec le silence d’une presse qui se regarde le nombril, Comme le fait le monde occidental persuadé qu’il est d’être le nombril du monde. Un monde occidental qui ne cesse d’accumuler ses erreurs. Pire, qui les revendique. PR

  2. Le Houelleur Yannick 23 octobre 2023 at 11:54 #

    Sur le fond, vous avez raison : les racines de tant de peuples ont été obstinément rognées, les privant de leur culture et nous privant tout autant des richesses – d’un point de vue culturel, sanitaire, environnemental – qu’il nous prodiguait.
    Maintenant, sur la forme, quelques amalgames me froissent. Pourquoi attaquer une fois de plus la France en lui reprochant son prétendu colonialisme ? L’Hexagone dépense des fortunes pour maintenir dans son giron des territoires d’outre-mer qui, livrés à eux-mêmes, n’auraient plus aucun oxygène financier ou tomberaient dans l’escarcelle de puissances peu portés sur l’humanisme telles que la Chine, la Russie, etc. Et puis, ce qui se passe au Proche-Orient est trop grave pour accuser, une fois de plus, l’Occident de « haine ». La grande fragilité de nos pays, c’est qu’ils ne s’aiment plus, qu’ils n’ont plus la fierté de tout ce qu’ils ont construit, à commencer par leur modèle social. En somme, le wokisme qui n’a rien à voir avec l’humanisme. Notre malheur, oui, ce n’est pas la haine des autres mais la détestation de nous-mêmes qui est exacerbée par tellement de mouvements et de mouvances insidieuses.

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    Christian Lecerf 26 octobre 2023 at 17:34 #

    Les exemples ne manquent pas car on pourrait aussi mentionner les Mapuches au Chili… et les paysans en Suisse, ces derniers étant sûrement moins nombreux que les banquiers. Voir extrait d’un article du quotidien “Le Temps” daté du 18 Juin 2002 :

    “Avec 5% du total des emplois, la place financière suisse contribue à raison de 14% à la valeur ajoutée nationale, proportion sans doute la plus élevée du monde. L’agriculture, avec pratiquement un pourcentage de postes de travail équivalent, ne fournit guère, elle, que 2% de la valeur ajoutée. Une logique boursière (valeur d’actionnaire) appliquée à la société nationale voudrait qu’on remplace, un pour un, les paysans par des banquiers”.

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