PAR IAN HAMEL
Patricia Chagnon, députée française du Rassemblement National (RN), est la première élue à Bruxelles à consacrer un livre au scandale de corruption présumée par le Qatar de certains élus du Parlement européen. Scandale qui a éclaté en décembre 2022 et qui ne fait plus les gros titres de la presse.
Le titre à rallonge sur la couverture du livre explique la démarche de la députée RN : « Qatargate. Le résultat de plus de vingt ans d’ingérence, de complaisance idéologique et financière. Une étape dans la stratégie d’implantation de l’islam rigoriste en Europe » (*). A l’intérieur de l’ouvrage, une photo en couleur (ci-dessous) de Youssef al-Qaradawi, le prédicateur qatari d’origine égyptienne (disparu en 2022), proclamant sur la chaîne al-Jazeera : « Avec vos lois démocratiques nous vous coloniserons, avec nos lois coraniques, nous vous dominerons ». Selon Patricia Chagnon, depuis des décennies, l’islam radical mettrait petit à petit la main sur l’Occident, et nos principaux dirigeants, même s’ils ne sont pas forcément complices, préfèrent regarder ailleurs.
C’est le discours attendu de la part du Rassemblement national comme des autres partis d’extrême droite en Europe. Bien évidemment, on peut dénoncer ce parti-pris, s’y opposer de la façon la plus ferme. Mais ce qui frappe dans l’Hexagone, c’est qu’aucun média tricolore n’a voulu parler de ce livre, pour l’approuver comme pour le dénoncer. Certes, la presse fait des exceptions quand il s’agit de hauts dirigeants, comme Jean-Marie Le Pen, sa fille Marine, ou encore Éric Zemmour, car leurs livres ou les ouvrages qui leur sont consacrés, sont des succès de librairie.
La diplomatie du carnet de chèque
« Qatergate » n’est pas qu’un pamphlet. Patricia Chagnon est une figure atypique de l’extrême droite. Après des études d’arabe et de linguistique à l’université d’Amsterdam, elle a étudié et travaillé à Khartoum, au Soudan, lorsque Hassan al-Tourabi, le pape noir du terrorisme, a appliqué la charia dans les années 90. En multipliant les exemples, la députée tente de démontrer que les islamistes ne cachent même plus leur intention de dominer l’Occident. S’appuyant sur un document de l’Organisation islamique pour l’Éducation, les Sciences et la Culture (ISESCO), Patricia Chagnon constate que les participants se réjouissent du « déclin de l’éblouissement de la civilisation occidentale », et plébiscitent « l’élaboration du projet de civilisation de substitution qui s’appuie sur l’Islam authentique ».
Ce document, intitulé « Stratégie de l’Action Islamique Culturelle à l’extérieur du Monde islamique », approuvé par 50 pays musulmans, a été signé à Doha (Qatar) en 2 000. Il s’adresse clairement aux musulmans vivant en Occident. Ils subiraient une « vague de racisme et de xénophobie ». A cette hostilité « à peine camouflée s’ajoute le développement fort inquiétant de préjugés et de jugements nettement défavorables à l’Islam ». Il est clairement demandé aux musulmans de ne pas s’intégrer à cette société « qui les oriente de plus en plus vers la laïcité » et qui « milite pour reléguer au rebut tout ce qui est sacré, le dépouiller de ses valeurs spirituelles ».
En clair, nous assisterions à une colonisation à l’envers, « par lequel les valeurs islamiques acquièrent un statut dominant au sein des sociétés occidentales ». Si nos dirigeants ferment les yeux, c’est en raison de la « diplomatie du carnet de chèques » développée avec succès par le Qatar depuis des années, assure la députée d’extrême droite. Pour l’anecdote : pourquoi François Hollande a-t-il tenu à décorer de la Légion d’honneur en 2015 Akbar al-Balaker, le patron de Qatar Airways ? Une attention dont n’ont sans doute pas bénéficié les directeurs des compagnies grecque ou éthiopienne.
Que devient le Qatargate ?
Le livre ne doit pas être épargné par les critiques. En premier lieu, il n’apporte pas vraiment d’éléments nouveaux concernant le Qatargate. Va-t-il encore y avoir des rebondissements ou l’affaire est-elle pratiquement enterrée ? A de rares exceptions, la presse française se désintéresse du dossier. Eva Kaïli, l’ancienne vice-présidente socialiste au Parlement de Bruxelles, avait été incarcérée en décembre 2022 après la découverte de sacs remplis d’argent liquide à son domicile. Elle a fait son retour au Parlement en juillet 2023, assise cette fois sur les bancs des non-inscrits.
Certaines attaques contre les Frères musulmans méritent d’être modérées. Lorsque Patricia Chagnon écrit que ce ne sont pas les Frères musulmans « qui commettent les attentats, mais ce sont eux qui les organisent », elle généralise. C’est vrai qu’un certain nombre de djhadistes sont d’anciens membres de la Confrérie. Comme l’Égyptien Ayman al-Zawahiri, le cerveau du 11 septembre 2001, tué par un drone américain à Kaboul en août 2022. En revanche, beaucoup d’autres Frères musulmans restent hostiles au terrorisme. Comment en Algérie, où ils s’opposaient au Front islamique du Salut (FIS), et en Irak, où ils combattaient l’État islamique.
(*) La publication a été financée par les crédits mis à la disposition des députés membres du Parlement européen. Elle n’est pas destinée à la vente.
Ian Hamel est journaliste en France et en Suisse. Parmi ses derniers livres, «Tariq Ramadan, histoire d’une imposture» et «C’était Bernard Tapie».