Des herbes, des prières et de l’insuline ?


PAR ANNE VOEFFRAY

Des traitements phytothérapeutiques existent pour traiter le diabète de type II. Ils ont montré leur efficacité et sont scientifiquement prouvés. Or, la plupart des médecins les méconnaissent ou n’y accordent pas d’attention particulière. Cependant, de nombreux patients diabétiques ont recours à ces plantes, en complément ou en substitution à leurs traitements conventionnels. Réalisée par des médecins ne déclarant aucun conflit d’intérêt, une revue de la littérature d’études qualitatives révèle qu’une communication faite de non-dits, de défiance ou de méconnaissance impacterait négativement la relation et l’adhésion thérapeutique des patients diabétiques. Comment donc réenchanter l’art du soin ?

Une pandémie de diabète

L’article en question nous rappelle le contexte actuel où près de 10% de la population mondiale est diabétique. Et cette « pandémie » silencieuse continue de croître en raison de l’augmentation de l’obésité. Dans cette revue de la littérature représentant 25 pays, l’utilisation de la médecine alternative varie entre 17% en Jordanie et 89% en Inde. La méthode la plus fréquemment mentionnée est la phytothérapie avec le fenugrec, la cannelle, l’ail, l’aloe vera et la nigelle, aliments ayant par ailleurs démontré une efficacité reconnue chez les patients. Environ 80% des patients utilisent des plantes en plus du traitement conventionnel et 67-90% n’osent pas le divulguer aux professionnels de santé.

Selon les auteurs,

Bien qu’il ait été démontré que de nombreux médicaments à base de plantes ont des effets thérapeutiques, la plupart des professionnels de la santé ne présentent pas ces possibilités de traitement et ne sont pas en mesure de conseiller leurs patients (…). Les professionnels de santé et les patients ont besoin de meilleures informations factuelles sur l’efficacité de ces différents traitements phytothérapeutiques pour le diabète, ainsi que sur les préparations, afin de promouvoir un dialogue plus ouvert sur leur utilisation, ainsi que le choix des options les plus sûres et efficaces.

Amélioration de la relation entre le patient et les professionnels ?

D’un côté, les patients diabétiques semblent valoriser la préservation de leur autonomie, la défense de leur souveraineté (« mon corps m’appartient »), leur participation active à une approche individualisée (« je fais des essais-erreurs ») ou la croyance que certaines plantes auraient des vertus sacrées, voire qu’elles auraient le pouvoir de les guérir. L’allopathie ne leur promet que de ralentir la survenue de complications. Sachant probablement intuitivement qu’ils ne partagent pas les mêmes croyances, les patients n’osent pas en discuter avec les professionnels considérés comme « fermés » à ces questions. Béatrice Schaad, spécialiste des relations entre patients et professionnels (et témoin dans le cadre du « Procès de l’hôpital »), constate que les patients ou leurs proches se plaignent d’un manque de communication en milieu hospitalier. Cette lacune est d’ailleurs la première cause d’insatisfaction. D’une manière générale, le recours à des approches alternatives répond à un besoin des patients d’une relation de qualité qu’ils peinent à trouver dans une médecine « classique », ayant tendance à valoriser les actes au détriment du savoir-être.

De l’autre, les professionnels de santé seraient réticents à donner des conseils concernant les médicaments à base de plantes ou déconseilleraient leur usage : ils ne les connaissent pas, ne les ont pas étudiés à l’école de médecine, déplorent le manque de recherches, redoutent légitimement de possibles effets secondaires et des interactions avec les autres traitements allopathiques, ou ne croient pas à leurs effets bénéfiques. Or, sous-estimer l’efficacité d’une plante ou ne pas s’enquérir de son utilisation risque d’entraîner une hypoglycémie chez un patient qui cumulerait les différentes approches thérapeutiques. Ces risques liés à l’automédication – allant de l’inefficacité, à la toxicité ou à une efficacité redoublée – sont bien connus des pharmaciens. Notons qu’il y a sans doute des sensibilités et des formations différentes parmi les différents professionnels sanitaires : pharmaciens, soignants, diététiciens et médecins n’accordent pas la même importance à ce sujet et n’utilisent pas tous la démarche centrée sur le patient. Pour un soignant, par exemple, cela fait partie intégrante de sa formation et de sa démarche de soin : développer une relation de partenariat avec le patient, ses proches et les autres professionnels de santé, en vue de construire ensemble une option de soins et son ajustement dans le temps, d’autant plus dans le cadre des maladies chroniques.

Comment dépasser ce constat de fossé entre les croyances, les savoirs et les pratiques des patients face à celles des médecins, et plus largement des décideurs du système de santé actuel ? En effet, tout le monde, personnel de santé comme patient, bénéficierait de retrouver une confiance réciproque, pour partager ces expérimentations « libres », afin qu’elles deviennent de véritables expériences reproductibles. Nous assistons à un conflit de croyances plus ou moins légitimes, plus ou moins légitimées par un savoir médical se croyant parfois tout puissant. D’un côté, des patients qui tentent des traitements alternatifs « dans leur coin », sans oser en parler au personnel de santé (selon les auteurs, à l’exception des nutritionnistes). De l’autre, certains professionnels ayant un manque de connaissances, des préjugés non scientifiques, entrainant – outre de potentiels interactions indésirables entre plantes et médicaments – un tabou dans une relation thérapeutique qui nécessite au contraire un rapport de confiance mutuel.

Selon les auteurs, de meilleures indications concernant les médicaments à base de plantes pourraient être favorisées par des informations factuelles. Même sans être totalement convaincu, et pour s’adapter à la demande potentielle de son patient, le professionnel pourrait proposer une liste de plantes sûres et efficaces, afin d’ouvrir le dialogue. Par exemple en Suisse, des outils existent pour orienter patients et professionnels, comme le site « natural self care »qui répertorie des plantes médicinales alimentaires ou des épices efficaces et sûres, ainsi que leurs usages ayant fait l’objet d’études scientifiques. Grâce à une information claire, en concertation avec l’équipe de diabétologie, le patient pourrait ainsi prendre des décisions vitales concernant sa propre santé.

Notons qu’il est du devoir du corps médical, dont la pratique en Suisse est réglementée par un code de déontologie, au-delà du « devoir d’information » (art. 10), de « promouvoir une relation de confiance entre médecin et patient » (art. 1). Ce dernier point est essentiel, dans la mesure où la responsabilité de la création d’un espace relationnel de confiance et d’écoute des aspirations des patients revient en premier lieu au professionnel de la santé. Celui-ci, grâce à des aptitudes relationnelles et communicationnelles saines (non jugement, coopération, écoute active, attitude non verbale, etc.), innées ou acquises, devrait permettre au patient de se sentir en confiance et devenir cocréateur de sa santé. Si ces conditions ne sont pas réunies, l’adhésion du patient chronique à accepter de suivre à long terme les conseils des professionnels se trouve compromise.

Ce soin de la relation est surtout essentiel dans la prise en charge des patients chroniques. Source d’inspiration, l’approche ayurvédique indienne du diabète peut être perçue comme moins contraignante, dans la mesure où elle ne liste pas les aliments interdits, mais conseille ceux qui sont à privilégier. En plus d’être positive, elle laisse ainsi la liberté de choix au patient, plutôt que des interdits culpabilisants et un sentiment d’échec pour les professionnels. L’enjeu pour le patient diabétique est de maintenir sa motivation sur le long terme. Plus le contrôle et les limitations sont grandes, plus le risque de « rébellion » et de découragement augmente. L’enjeu pour les soignants est de l’accompagner avec suffisamment de souplesse pour lui permettre de garder un bon degré de motivation.

Réenchanter l’art du soin ?

Alors que l’article analyse essentiellement des études effectuées dans des pays d’Asie, d’Orient et d’Afrique, ainsi que des populations issues de l’immigration de pays à revenus élevés, il serait intéressant d’étudier l’usage des plantes par la population diabétique suisse, qu’elle soit ou non autochtone.

Selon les études, 40 à 75% de la population suisse a régulièrement recours à des approches médicales alternatives. Les citoyens ont massivement (67%) voté « Oui à une médecine naturelle indépendante » visant à l’ancrer dans la Constitution fédérale. Ils font de plus en plus appel aux approches complémentaires, au secret ou à la prière, ce qui ne les empêche pas de recourir à la médecine « moderne », voire souvent à les associer. De nombreux centres hospitaliers et cliniques ont pris compte de ce souhait de complémentarité en développant des centres de médecine intégrative.

Une nouvelle conscience écologique conduit également certains à réduire leur consommation en médicaments issus d’une industrie chimique très polluante – entraînant la toxicité du quart des rivières mondiales et constituant une « menace mondiale pour la santé humaine et environnementale » – et à chercher des alternatives. Par ailleurs, la baisse de confiance d’une partie de la population vis-à-vis de scandales mettant en cause l’industrie pharmaceutique, ainsi que les annonces successives de pénuries et l’accès incertain aux traitements, incitent la communauté médicale à développer des alternatives souveraines et désirables.

En outre, l’augmentation des inégalités de répartition des richesses, ainsi que l’augmentation des coûts de la santé, incitent certains médecins à développer des soins de médecine préventive, plus économiques et accessibles à tous. En Suisse, les gélules phytothérapeutiques – hautement concentrées et neutres en goût – peuvent s’avérer onéreuses et ne sont pas prises en charge par l’assurance de base.

Mais ces plantes hypoglycémiantes peuvent être facilement ajoutées, sous forme de rotation libre, dans l’alimentation pour un faible coût.

Dans un souci de préserver la démocratie sanitaire, il conviendrait également de proposer ces alternatives permettant, à l’opposé de la tentation d’uniformisation et de standardisation de la médecine, une individualisation des prises en charge des patients, une revalorisation de la qualité des soins, une restauration de la relation de confiance et un réenchantement de l’art de soigner.

« Herbier » © Anne Voeffray

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Un commentaire à “Des herbes, des prières et de l’insuline ?”

  1. Laurette Heim 23 janvier 2024 at 10:55 #

    Merci, magnifique, bien écrit et bien documenté

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