Nucléaire, je vais, je vais et je viens…


PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Ces gens sont-ils des inconscients ou de gros malins, finalement? Nous voulons parler des personnes qui récupèrent l’anxiété ambiante générée par les gros titres des journaux sur le thème du climat. Très mal vu au lendemain de Fukushima, le nucléaire revient en force. Macron comme Rafael Grossi, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique: au Forum mondial de Davos, les orateurs se sont succédé à la tribune pour parler des bienfaits environnementaux de l’atome. On croirait à un complot car ils n’ont fait que relayer les propos tenus par le monarque d’un Etat du Golf persique à la COP28: vive le nucléaire!

Les pôles et les glaciers fondent, c’est un fait. Les jeunes générations veulent sauver la planète et se collent la paume sur le bitume. Et eux, les vendeurs d’énergie dite propre, se frottent les mains. Le dérèglement climatique, quelle aubaine! A Davos, il n’a été question que de cela: couvrir la terre entière de panneaux solaires! Et tant pis si le recyclage n’est pas au point. Le sous-sol africain est assez vaste pour absorber nos poubelles!

Après tout, le problème des déchets radioactifs n’a jamais été résolu non plus. En Suisse, on cherche toujours un endroit pour les caser. Mais tout le monde s’en fiche. Sauf les populations des communes concernées. Quid, à propos du site des Lägern, dans le nord? Un endroit bucolique, désigné pour être sacrifié à l’enfouissement desdits déchets à l’horizon 2045. Le peuple votera encore, il aura tout le temps de se faire une idée.

Et de méditer sur le pourquoi du comment des retournements de veste de nos gouvernants. En 1986, en 2004, deux catastrophes secouent le monde à la manière d’un tremblement de terre. Difficile d’obtenir des chiffres fiables, tant les autorités sanitaires peinent à établir une relation de cause à effet entre une explosion nucléaire et le développement de cancers. Tchernobyl, d’abord. Pas de quoi fouetter un chat, estime l’Organisation mondiale de la santé. A l’entendre, le nombre de victimes ne dépasse pas quelques unités. Pourtant, le mouvement genevois « Sortir du nucléaire » évalue le chiffre des morts à 1 million.

Fukushima, ensuite. Dans la foulée de la catastrophe, le Conseil fédéral avait signé la condamnation à mort du nucléaire. Aujourd’hui on dirait qu’il envisage de faire marche arrière. Je vais, je vais et je viens… Désormais les données officielles succèdent aux données officielles, encore plus optimistes qu’après Tchernobyl. Les Nations Unies publient un rapport dont il ressort que la catastrophe est un non-événement en termes d’atteintes à la santé et Berne est d’accord. En 2021, l’Office fédéral de la santé publique écrit: « l’exposition de la population Suisse par les rejets de l’accident de Fukushima a été quasiment nulle». Avec cet ajout ressemblant à un éclair de lucidité: «Néanmoins, la catastrophe de Fukushima a démontré qu’un accident nucléaire grave ne peut être exclu nulle part dans le monde, y compris en Europe».

On se croirait revenu en 1973. Cette année-là, le nucléaire commence sa carrière. Coincidence: le premier choc pétrolier fait la une. L’aubaine pour les constructeurs de centrales. Dans la revue de la Société de Banque Suisse «Le Mois», Michael Kohn, administrateur délégué de Motor-Columbus déclare: «Il est tout à fait inutile de vouloir ajouter à la crise du pétrole une crise artificielle de l’électricité sur le plan national. La centrale de Kaiseraugst offre une réponse adéquate à la situation énergétique actuelle». Répondant à la question de savoir comment réagira l’opposition qui se manifeste déjà bruyamment dans la rue, l’ingénieur se retranche déjà derrière la protection de l’environnement, tendance naissante à l’époque, pour justifier le développement de l’énergie nucléaire. Avec ce bémol intéressant: «Ne ne devrait-on pas s’interroger d’abord sur la croissance? A quoi sert-elle et où mène-t-elle? Ici surgit le problème d’une croissance modérée et celui d’une consommation d’énergie sensée en guise de réponse au gaspillage actuel».

Le genre de réflexion que l’on aimerait entendre de la part de la gouvernance actuelle dans un monde où l’hyperconsommation carbonophile règne en maître. Il est vrai qu’en 1973 la société était encore fortement imprégnée des idéaux propres à une «contre-culture» arc-boutée sur le refus du matérialisme consumériste. Nostalgie.

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3 commmentaires à “Nucléaire, je vais, je vais et je viens…”

  1. Félix Dalang 21 janvier 2024 at 23:18 #

    voir à ce sujet la vidéo (1 minute) d’une simulation météorologique d’un accident majeur de la centrale de Gösgen.

    https://sortirdunucleaire.ch/etudes/

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    Pierre Santschi 22 janvier 2024 at 10:49 #

    Très bien vu…
    En se mettant dans le déni et l’oubli constant de la réalité du fait que les assureurs se gardent bien d’assurer réellement les risques du nucléaire, les “économistes” et “ingénieurs” charlatans thuriféraires de cette débilité technique et éthique, sont les champions de la cécité cupiditaire et de l’incompétence dans leur domaine-même.
    C’est finalement comme pour les chambres à gaz de sinistre mémoire (pour ceux qui en ont une): ces pro-nucléaires paraissent prêts à en rejoindre les négationnistes.

  3. Yves Ecoffey 22 janvier 2024 at 10:54 #

    Matérialisme consumériste… Près de chez-soi, on y est chaque jour poussés (au fait, je dois lutter pour ne pas changer de natel qui fonctionne bien en raison de “conflit entre chinois et américains m’as-t ‘on dit”.

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