Marta, une Colombienne si bienveillante


PAR YANN LE HOUELLEUR, à Gennevilliers, texte et dessin

Cela faisait longtemps que je ne m’étais aventuré dans les rues de « ma » ville pour dessiner en plein air, muni d’un matériel à dessin plutôt lourd. En effet, début janvier, j’ai été hospitalisé, brusquement, à cause d’une détresse respiratoire. Pendant deux mois, je n’ai pu manier mes crayons de couleur hyper pigmentés made in Switzerland et mes stylos feutre. Impossible de mettre le nez dehors !

De retour dans «ma» ville, Gennevilliers (à proximité de Paris), je me suis remis à dessiner. Un « beau jour », alors que les arbres se paraient de couleurs vives, je me suis enfoncé dans un écoquartier bâti il y a une douzaine d’années.



En fin d’après-midi, un samedi, c’était le calme plat. Seuls les cris et les pleurs d’enfants turbulents fissuraient le silence ambiant.

Il est vrai que nous étions alors en plein Ramadan. Soudain, une femme s’est arrêtée net devant moi, visage taillé à la serpe. Je devinais  – rien de plus facile, étant donné son accent, qu’elle était née en Espagne ou dans un pays d’Amérique latine. Mais lequel ? « Je suis colombienne. »

Vivant en France, Marta  – elle ne tarda pas à me donner son prénom – habite dans un immeuble à proximité de l’endroit où je m’étais assis, à même le trottoir.” Je vous ai vu depuis la fenêtre et je me suis dit que vous aviez peut-être soif. » Marta a apporté une grande bouteille d’eau qu’elle a déposée à mes pieds ainsi que deux mini-paquets de biscuits.

Dix ans d’attente –  Dans notre société lardée de frustrations au sein de laquelle règne la méfiance, les gens ne se parlent presque plus et ils n’osent pas engager la conversation. J’ai perçu en Marta un trait de caractère propre aux Sud-Américains : la mélancolie.

Elle doit s’ennuyer, cette femme si attachante, dans un quartier où vivent de nombreuses familles originaires d’Afrique du Nord et où les Sud-Américains sont, quant à eux, plutôt rares.

Apparemment, Marta avait tout son temps, mais je devais terminer mon dessin rapidement car le froid accompagnant le coucher du soleil commençait à sévir. Auparavant, cette femme habitait sur la rive opposée de la Seine, à Clichy. Sa fille l’hébergeait, dans l’attente de l’attribution d’un logement. Précision de Marta« J’ai dû attendre dix ans avant que me soit proposé un logement… à Gennevilliers.»

Femme de ménage – La moitié des logements, dans cet écoquartier, accueillent des familles modestes (locatif social).

Mais au fait, quel métier exerce-t-elle, Marta ? « Je suis femme de ménage, à Clichy», a-t-elle précisé en baissant la tête comme si elle passait aux aveux. Cette femme courageuse semble avoir beaucoup souffert. (Clichy est une ville située sur la rive opposée de la Seine, aux portes de Paris.)

Une demi-heure plus tard, je terminais un dessin compliqué à faire car les cerisiers en fleurs, quelques jours avant le printemps, se maquillaient avec un rose dont il me fallait accroître l’intensité  – à l’aide d’un petit pot d’encre de Chine bien évidemment rose. C’est l’une des couleurs les plus difficiles à interpréter. Et parfois, il vire au mauve.

Franc-Parler


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