Les Maasaï, gardiens de la Terre


PAR MYRIAM VIALLEFONT-HAAS

Depuis les années 70, je rêvais de rencontrer les Maasaï, les hommes rouges, ce peuple mythique d’éleveurs et de guerriers semi-nomades. J’avais découvert leur existence et celle du Kenya lorsqu’enfant je regardais, fascinée, les reportages en noir et blanc sur Anne Spoerry à la télévision. Ce Flying Doctor pilotait son avion et sillonnait le Maasaï Mara pour porter assistance aux Maasaï des régions les plus reculées. C’est elle Mama Daktari, comme on la surnommait, qui m’a incitée à me tourner vers le reportage photographique humanitaire. J’aurais bien aimé savoir piloter comme elle… 

En 1980, m’y voilà enfin. En pays maasaï, enfin ce qu’il en reste depuis l’indépendance. Depuis 1963, leurs territoires n’ont pas cessé d’être grignotés, morcelés, puis transformés en réserves naturelles dédiées à la protection des animaux. Après avoir dû faire face à la colonisation allemande et puis britannique ainsi qu’à l’apparition de nouvelles maladies comme la variole et la peste bovine, les Maasaï qui vivaient de part et d’autre de la frontière du Kenya de la Tanzanie doivent à présent résister aux pressions des gouvernements  qui cherchent à tout prix à les sédentariser. Certains d’entre eux, pour parvenir à faire perdurer leur mode de vie ancestral, ont développé le tourisme dans leurs villages. Ils y accueillent des touristes pour partager avec eux leur culture et histoire.

Je vais ainsi pouvoir visiter un village traditionnel du Maasaï Mara, un village de huttes, les « manyattas », entouré par des buissons épineux afin de protéger le bétail des prédateurs. Ces villages sont reconstruits chaque fois que la communauté se déplace vers de nouveaux pâturages. Les troupeaux de vaches et de chèvres constituent la principale richesse des Maasaï. Le bétail joue chez eux un rôle central, en exprimant le statut social de son propriétaire.

L’« Olaiguenani », le chef du village, un ancien, nous accueille avant d’appeler son fils, revêtu de son « shuka », sa belle tunique rouge, et de portant ses boucles d’oreilles en forme de croissant. Il lui demande de rassembler les hommes et de commencer la cérémonie de bienvenue. Les hommes avancent en file indienne en chantant à l’unisson. Soudain, le silence se fait et tous forment un demi-cercle. L’« adumu », la cérémonie du saut le plus haut, peut commencer. Traditionnellement, ce concours fait partie des rites d’initiation des jeunes guerriers, les « il-murrani », lors de leur entrée, à 15 ans, dans la caste des guerriers. C’est un test d’endurance, de force et de courage, des qualités très prisées chez les Maasaï. S’ensuivront une série de rites comme la circoncision (les jeunes filles sont encore, hélas, trop souvent excisées entre 12 et 14 ans) et d’épreuves conçues pour les préparer à leurs futures responsabilités. On leur rase les cheveux pour signifier leur passage de l’enfance à l’âge adulte et le début de leur vie de guerrier. Ensuite, de 15 à 30 ans, les « il-murrani » vivent en marge de la société, dans des manyattas de guerriers où ils apprennent l’art de la guerre, comment protéger leur communauté, leur famille et leur bétail. Plus tard, lorsque les guerriers prendront le statut d’aînés, ils seront autorisés à se marier et à assumer des responsabilités communautaires plus importantes. Ils pourront participer au conseil des anciens, cette assemblée où la sagesse et l’expérience sont primordiales. Les Maasaï s’adressent à ce conseil pour résoudre leurs conflits, prendre des décisions communautaires et guider les jeunes. C’est un système basé sur le respect mutuel et l’écoute, où chaque voix compte.

Regarder pour apprendre et témoigner

La cérémonie d’accueil prend fin, les hommes se dispersent. C’est le moment pour moi de m’enfoncer dans le village, jusqu’au marché artisanal. Les femmes installent des bijoux en perles et des objets sculptés en bois. Les étals sont disposés en cercle. Les visiteurs pénètrent à l’intérieur de cette arène comme dans un enclos. Plus loin, dans la cour d’une manyatta, je rejoins des femmes assises par terre, à l’ombre. Leurs enfants s’amusent autour d’elles. Je photographie l’une d’elles, occupée à tisser un splendide pectoral en perles bleues et blanches. Aujourd’hui les petites perles multicolores utilisées par les brodeuses sont en verre, le plus souvent importées de Chine, mais les différentes couleurs symbolisent un aspect de la culture massaï, ainsi que le rang social de celle qui les porte. La technique des bijoux en perles est transmise de génération en génération. L’apprentissage commence dès le plus jeune âge. Les petites filles observent et aident leurs mères. Cette tradition permet aux artisanes de préserver leur culture et leur savoir-faire, mais c’est aussi une activité sociale et éducative au sein de la communauté. De nos jours, des ateliers de bijoux se sont organisés en coopératives qui offrent une certaine indépendance financière aux femmes, tout en leur donnant plus de poids dans les décisions communautaires.

Je poursuis ma déambulation dans le village, sidérée par la force et le savoir-faire des femmes que je rencontre. Ce sont elles les colonnes vertébrales de la société. Elles sont les architectes des manyattas, ces maisons de branchages, de boue et de bouse de vache. Elles préparent les matériaux, bâtissent et entretiennent leur foyer (chaque femme a le sien, les Maasaï sont polygames) et élèvent les enfants. Quant aux plus grands, ils prennent peu à peu conscience de l’importance d’une éducation formelle dans notre monde internationalisé et hyper connecté. Et ce malgré les difficultés qu’engendrent leur mode de vie nomade, leur absence de ressources, les distances qu’ils doivent parcourir pour aller à l’école et la valeur primordiale qu’ils accordent au bétail et aux compétences pastorales. Pour les Maasaï, parvenir à évoluer sans s’acculturer ne sera pas simple. Quant à moi, j’étais venue chez eux pas uniquement pour observer et raconter, mais pour apprendre et pour être, ne serait-ce qu’un instant, témoin de leur grandeur. Propos recueillis par Caroline de Hugo

Ce texte est présenté à l’Espace Demart à Lausanne à l’exposition de peintures et photographies “Africa – Namibie, Somalie, Kenya” de la reporter-photographe-peintre Myriam Viallefont-Haas. Jusqu’au 26 avril. Rue des Côtes-de-Montbenon 17. Du mardi au samedi, de 12h à 17h30.

Myriam Viallefont-Haas au vernissage jeudi 18 avril 2024. Photo infoméduse.

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