Namibie, l’immensité du vide


PAR MYRIAM VIALLEFONT-HAAS

En 1983, je pars pour la Namibie, l’une des dernières frontières du continent africain : l’ancien Sud-Ouest africain est un pays encore en devenir, désertique, une fois et demie grand comme la France et peu peuplé (environ 1 million d’habitants à l’époque). Il ne possède pas de véritable statut, il est passé de main en main au fil de l’histoire du xxe siècle – sous protectorat allemand d’abord, puis britannique.

Depuis 1967, théoriquement sous mandat onusien, le pays était de fait contrôlé et administré par l’Afrique du Sud, qui essayait d’y importer son régime d’apartheid. Deux organisations politiques rivales luttaient pour l’indépendance : la SWAPO et la DTA. Étrange destin que celui de cette terre immémoriale, coincée entre l’océan Atlantique, l’Angola, le Botswana et l’Afrique du Sud, jadis refuge d’un des premiers peuples africains, des coureurs de brousse artistes, les légendaires Bushmen. Il y a plus de deux mille ans, leurs ancêtres avaient laissé leurs empreintes sur les parois rocheuses du massif du Brandberg, où l’on racontait qu’un chaman baptisé « la Dame Blanche » continuait de hanter les rares voyageurs qui avaient eu la chance de l’approcher.

Un périple de 5000 kilomètres

Le choix de raconter la vie d’une contrée mystérieuse et lointaine est le point de départ d’un périple de 5000 kilomètres le long des pistes sablonneuses. Une fois passée la première surprise que représente l’escale à Johannesburg, j’arrive à Windhoek. La petite capitale namibienne, quasi provinciale (80 000 habitants à l’époque), présente alors une architecture hétéroclite, avec les réminiscences allemandes et hollandaises des maisons à colombages et des toits pentus. Les colons allemands, afrikaners et anglais ont essaimé leur culture d’empire. Jusqu’aux femmes hereros croisées dans la rue qui portent, en signe d’allégeance, de fidèles répliques des tenues allemandes de la fin du xixe siècle.

Et puis, c’est la découverte de paysages inouïs, dignes des débuts du monde : les immenses déserts du Namib ou du Kalahari, les dunes de sable rouge sur la route de Mariental, les envolées d’oiseaux et de springboks, la savane parsemée de petits villages en parpaings et en tôle ondulée remplis d’enfants himba sédentarisés. Quelques éoliennes s’épuisent à brasser l’air chaud, pendant que des carcasses de voitures tombent doucement en poussière. Tout au sud, le fleuve Orange, zone interdite pour cause d’extraction à ciel ouvert du diamant, se souvient encore des anciennes ruées vers l’or du Transvaal.

Je remonte ensuite vers le nord, à travers les paysages lunaires de la Moon Valley, la découverte de la Welwitschia mirabilis – cette plante incroyable qui réussit depuis plus de trois mille ans la prouesse de pousser là où il pleut moins de 25 millimètres d’eau par an – pour arriver à Etosha Park. C’était en 1983 l’une des plus grandes réserves animalières au monde, elle abritait quelque 114 sortes de mammifères et plus de 340 variétés d’oiseaux. À l’époque, même les éléphants y étaient revenus, après avoir été décimés par les trafiquants d’ivoire. Ils voisinaient en bonne intelligence avec les springboks, koudous, gnous, guépards, girafes ou rhinocéros, sous la protection encore un brin rudimentaire de leurs gardes-soigneurs. Sept ans plus tard, le 21 mars 1990, la Namibie obtenait enfin son indépendance.

Indépendance et renaissance

Depuis mon voyage, quarante ans se sont écoulés. Pendant tout ce temps, la jeune république démocratique a fait preuve d’une véritable stabilité politique en élisant librement, tous les cinq ans, un président issu de la SWAPO, le « parti de la lutte de libération ». Sur le front économique, les ressources naturelles, telles que l’uranium ou le diamant, la richesse des fonds marins et l’essor du tourisme animalier, ont été exploitées pour développer le pays. Des investissements dans la santé, l’éducation et les infrastructures témoignent de la détermination du gouvernement (qui a dû faire face à quelques scandales financiers) à élever le niveau de vie des citoyens namibiens.

Malgré ces avancées, en 2019, le « Pays des braves » fait face à une crise majeure. La chute des cours des matières premières le plonge dans la récession. Le chômage frappe un tiers de sa population. Certaines régions, comme le nord du Kalahari, font face à une terrible sécheresse. Bien sûr, au pays de « la grande soif », celui des San et des Khoï, ces peuples de pasteurs, l’eau a toujours été rare et, dès les années 60, on recyclait l’or bleu. Mais malgré les milliers de puits disséminés jusqu’aux rives du fleuve Okavango, la plus grande partie du bétail et des animaux sauvages a péri. Aucune pluie n’est tombée depuis plus de deux ans. En 2020, c’est l’épidémie de COVID qui tarit la manne du tourisme. Après avoir vendu des girafes, des buffles et des antilopes, la Namibie se sépare de 170 éléphants afin de pouvoir les protéger.

Potentiel solaire pour viser l’autosuffisance énergétique

Aujourd’hui encore, le réchauffement climatique reste l’un des enjeux majeurs. Le pays compte sur son potentiel solaire pour devenir autosuffisant en énergie. Il imagine produire suffisamment d’électricité et d’hydrogène vert pour pouvoir un jour en exporter vers l’Europe afin de lui permettre de réduire sa consommation de gaz et de décarboner ses activités industrielles. Mais comment résister aux sirènes des grandes compagnies pétrolières qui souhaitent exploiter le gisement du bassin du Kavango, situé non loin du delta de l’Okavango et mettre en danger ce refuge de dizaines d’espèces animales ? Sans parler de la découverte de l’énorme gisement offshore du bassin Orange, estimé à 11 milliards de barils. C’est le plus grand gisement jamais mis au jour en Afrique subsaharienne.

La Namibie pourrait, selon la société pétrolière nationale Namcor, doubler son produit intérieur brut d’ici à 2040 et la richesse de ses 2,6 millions d’habitants… Toutefois, il existe en Namibie une connexion profonde avec la nature qui imprègne chaque fibre du pays. Des déserts brûlants aux savanes ondoyantes, la nation s’est engagée à protéger ses trésors pour les générations futures. Quarante ans après ce voyage qui avait subjugué la jeune photographe que j’étais, j’espère que le peuple de Namibie saura tracer son chemin singulier et continuer à écrire son histoire dans le ciel africain en faisant face aux défis de notre époque.

Ce texte a été présenté à l’Espace Demart à Lausanne à l’exposition de peintures et photographies “Africa – Namibie, Somalie, Kenya” de la reporter-photographe-peintre Myriam Viallefont-Haas. L’exposition s’est tenue jusqu’au 26 avril 2024.

Les dunes de Sossluvei en Namibie. Toile de Myriam Viallefont-Haas.

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