Ne prenez pas ce chiffre à la lettre

PAR PIERRE ROCHAT

C’est un chiffre hors de toute actualité, intemporel et plutôt rébarbatif, mais on l’évoque tout le temps. Les économistes, les politiques et les journalistes parlent souvent du PIB, produit intérieur brut, et en tirent des conclusions péremptoires. A juste titre ? 

D’abord, que comptabilise le PIB ? C’est la somme de la richesse produite par un pays en une année. On additionne les sacs de ciments produits, les automobiles, les quintaux de blé, les tuiles, les actes médicaux, les primes d’assurance payées, les salaires des enseignants etc. En Suisse, on calcule que cette somme atteint Fr. 800 milliards par an en chiffres ronds.

Mais regardons de plus près. Imaginons, par l’absurde, qu’un jet passe le mur du son au-dessus de Zurich et que le « bang » brise toutes les vitres de la ville. Le lendemain les vitriers sont appelés à remplacer les carreaux cassés. Leur travail est comptabilisé dans le PIB. Mais posons-nous la question : est-ce bien une augmentation de la richesse produite ? Non, il n’y a rien de plus puisque les vitrages existaient déjà. 

On perçoit donc, par cet exemple caricatural, que toute production ne participe pas à l’augmentation de la richesse. Dans cet ordre d’idée, le geste du chirurgien qui pose une prothèse de hanche à un travailleur participe-t-il à l’augmentation de la richesse ? Non, puisqu’il s’agit d’une « dépense d’entretien ». Sans elle, on assisterait à une baisse de richesse puisque le travailleur serait incapable de produire. Mais avec une prothèse il ne produira rien de plus qu’avant. 

En passant en revue les activités économiques, on peux se rendre compte, intuitivement, que le PIB d’entretien n’est de loin pas négligeable. Il serait dès lors intéressant que les statisticiens fassent l’exercice scientifiquement et isolent le PIB « réel » du PIB « d’entretien ». En effet, plusieurs notions en dépendent comme le ratio communément utilisé de l’endettement par rapport au PIB. Mais les politiques s’opposeraient probablement car le PIB réel ferait bondir l’indice d’endettement de leur pays ! De même, le ratio du déficit public par rapport au PIB (3% en UE selon la règle de Maastricht) serait mesuré de façon plus vraie, mais combien plus alarmante !

Myret Zaki, journaliste économique, a publié en 2022 un essai très intéressant intitulé «Désinformation économique » sur la fourberie des statistiques officielles qui enjolivent l’inflation, le chômage, etc. On y apprend que tout est faussé, au service de la politique : « Citoyens, circulez, il n’y a rien à voir».

Lorsqu’on lit que « le PIB de la Russie est en forte augmentation grâce à son effort de guerre », on n’a pas besoin d’être un Prix Nobel pour convenir que c’est absurde. Produire des munitions est certes comptabilisé statistiquement dans le PIB, mais ceci ne crée pas de richesse. Les Babouchkas n’auront rien de plus dans leurs cabas. Tout au plus est-ce inflationniste. Est réservé toutefois le cas où ces munitions seraient utilisées pour piller les richesses du voisin…

On voit que le PIB est une notion qui n’est pas très scientifique : la comptabilité nationale confine parfois à de la sculpture sur nuage. Alors méfiance.  

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