Médias français (II) L’Ofalp, nouvelle association pour dénoncer les atteintes à la liberté de la presse

PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris

L’Ofalp est l’acronyme d’Observatoire français des atteintes à la liberté de la presse. Le premier et tout nouveau bureau de cette association est ainsi constitué : Lucile Berland, Cécile Dolman, Candice Fleurance, Virgile Miletto et Olivier Scaglia. Un travail de titan en perspective : « Nous voulons recenser toutes les atteintes à la liberté de la presse qui nous seront signalées, aussi bien les menaces physiques, les procès bâillon que d’autres procédures. (…) Nous le ferons avec toute la rigueur requise ».



Une soirée de lancement de l’Ofalp (sur notre photo YLH, son premier bureau) s’est déroulée dans un endroit branché de Paris, la REcyclerie (lire l’article de Yann Le Houelleur du 2 juin 2024), à la fin mai. Bel endroit, en vérité : cette gare désaffectée a été mise à disposition d’une association par la Ratp, l’entreprise qui gère le réseau parisien de transports publics. Le long de rails endormis depuis longtemps se nichent, au milieu d’herbes folles, des jardins partagés et des mini-fermes qui donnent lieu à divers ateliers écologiques. Ainsi sont proposées des distributions d’œufs à des organisations caritatives… Le bâtiment qui surplombe ces voies accueille, en fin de semaine, des jeunes gens qui discutent à bâtons rompus tout en sirotant une bière. Ils commandent leur consommation autour d’un comptoir en zinc, un bar qui fonctionne en fin de semaine uniquement. Voilà donc un espace idéal pour l’organisation d’événements. Et l’intrusion d’une nouvelle association dans le paysage médiatique français en plein mérite toute notre attention.

Un frigo rempli au frais du contribuable

Cette soirée sous l’égide de l’Ofalp a duré près de trois heures. Une douzaine de confrères et consœurs ont pris la parole, successivement, pour raconter leurs expériences  – et leurs souffrances découlant de vexations qu’ils ont eu à subir dans l’exercice de leurs fonctions. « Je lance un appel au secours », n’a pas hésité à dire un ancien «localier» de Var Matin, Simon Fontvieille (photo YLH), dont le contrat a durée déterminé n’a pas été renouvelé. Il a dû se muer depuis en un journaliste indépendant. La spirale de ses avanies a commencé lorsqu’il a du enquêter sur les sales affaires auxquelles était mêlé Hubert Falco. Maire de Toulon, président du Conseil général du Var, Hubert Falco a été condamné à cinq ans d’inéligibilité. C’est Simon Fontvieille, grand gars maigre à la voix chevrotante, qui a révélé un scandale accablant pour Falco, alors tout puissant. Il approvisionnait son frigo au frais du contribuable varois. L’éviction de Simon Fontvieille de la presse régionale lui a valu de sombrer dans la précarité. Il a dû se contenter de piges mal rémunérées – des articles publiés par des médias parisiens –  pour remplir son frigo à lui. Les harcèlements et menaces relèvent d’une stratégie hélas efficace pour fragiliser un journaliste et le mener, si nécessaire, sur la voie d’un long dépérissement. Le politicien déchu continue à poursuivre Simon Fontvieille de ses foudres après l’avoir menacé dans l’espace public : « Connard, chien galeux, je vais t’emplâtrer ! »

La toute puissance de l’agro-alimentaire

Dans une toute autre région, la Bretagne, Inès Léraud a elle aussi été lâchée par un quotidien régional, « Le Télégramme ». Elle dit avoir été la cible d’une forme de machination redoutée par les journalistes, à savoir « un procès bâillon ». La journaliste a dénoncé le manque de déontologie de l’industrie alimentaire bretonne, enquêtant aussi bien sur le fléau des algues vertes (proliférant grâce à l’azote émanant d’une agriculture hyper intensive) que sur le travail dissimulé pratiqué par Chéritel dans les Côtes-d’Armor. Ce groupe a intenté à Inès Léraud un procès en diffamation et quand elle s’est présentée au Tribunal de grande instance à Paris l’intrépide journaliste a appris que le plaignant avait renoncé à ses poursuites. Cheritel lui signifait que si elle ne renonçait pas à ses enquêtes elle s’exposerait aux foudres du secteur agro-alimentaire.

Le numéro du journal Franc-Parler, dans lequel son fondateur, Yann Le Houelleur, évoque la création de l’association Ofalp.



Que ce soit la presse régionale ou les médias édités à Paris, que ce soit la presse écrite ou les médias électroniques, que les journalistes travaillent en qualité de salarié ou en tant que pigistes et free-lance, ils peuvent tomber sous le couperet de ces procès visant à les effaroucher et à les faire taire. Et les empêcheurs d’enquêter en rond sont soit des annonceurs réels ou potentiel, soit des investisseurs susceptibles de prendre des mesures de rétorsion contre les dirigeants de médias trop indiscrets. Les journalistes pèsent alors très peu par rapport aux intérêts que leur obstination menace de froisser. Les intervenants qui ont tiré la sonnette d’alarme lors de la soirée orchestrée par l’Ofalp ont évoqué la mise en place d’une législation liberticide qui finit par réduire leur champ d’action avec le risque d’être déférés devant des juridictions d’exception. « On nous interdit d’être, par notre travail, les garants de la démocratie », ont-ils assuré.

Un arsenal de lois liberticides

Le journaliste Jean-Pierre Canet, l’un des fondateurs de Cash Investigation (France 2) a expliqué comment «le secret Défense et les lois liberticides n’ont cessé de s’étendre à partir de 2009 ». Sans jamais s’en être doutés, les professionnels de l’information peuvent se voir infliger une éprouvante garde à vue. Et ils s’exposent à une perquisition. « Les policiers ont alors le droit de procéder à une aspiration de toutes les sources.» Gare aux journalistes qui ont stocké de trop nombreux témoignages en off dans leur PC !

« Nombre de ceux qui ont acquis des médias ont des liens avec les industriels de l’armement», a tenu à rappeler un autre journaliste d’investigation, Jean-Baptiste Rivoire. Il a eu le malheur de mettre en cause le Crédit Mutuel au cours d’une enquête. Sa dévorante curiosité lui a valu d’être placardisé pendant cinq ans par son employeur, une chaîne de télé. Et cette banque s’y connait en matière de médias : à travers sa filiale Ebra, elle a investi dans la presse régionale au début du 21ème siècle. Ebra a mis la main sur neuf quotidiens régionaux qui desservent vingt-trois départements dans l’Est de la France, parmi lesquels « Le Dauphiné Libéré » et le « Progrès » de Lyon.

Ils ont le cœur à gauche

Le JDD est quant à lui un journal du septième jour. L’an dernier, ses quatre-vingt-dix journalistes avaient entrepris une grève de quarante jours. Ils protestaient contre une décision prise par le groupe Bolloré dont la participation dans Lagardère Médias, propriétaire du titre, avait fortement progressé : la nomination de Geoffroy Lejeune à la tête de la rédaction, considéré comme un journaliste d’extrême droite.



Juliette Demey et Antoine Malo (photo YLH), qui faisaient partie du noyau dur des grévistes, ont retracé cette lutte. Puis ils ont répondu à quelques questions posées par Infoméduse. Pourquoi n’avez-vous pas opté pour rester au JDD tout en sabotant la nouvelle ligne éditoriale de manière discrète ? Préférez-vous être au chômage plutôt que de travailler sous la responsabilité de confrères que votre expérience intéresse ? Tous deux ont semblé déstabilisés par ces questions, et on en comprend mieux « le pourquoi » quand on a fréquenté les milieux journalistiques en France.

Point de vue personnel, maintenant : à l’instar de moult grands artistes et moult sportifs de renom, les journalistes ont le cœur, mais pas pour autant le portemonnaie, à gauche. Ils ne s’intéressent pas beaucoup à l’économie, exerçant leur métier avec la certitude d’appartenir au camp du bien et d’être indispensables à la liberté d’expression. Ils oublient volontiers que tous les médias, à quelques rares exceptions près, sont déficitaires et que sans l’argent du grand capital ils n’auraient aucune chance d’avoir un emploi, fût-il précaire, dans la presse. Il est facile de tirer à boulets rouges sur certains journaux et télévisions réputés « d’extrême droite » comme tant de rédactions aiment à le faire, alors que seuls quelques journaux sont managés par des hommes résolument à gauche.

Depuis longtemps, la gauche n’a pas été capable de fonder un média de grande envergure, que ce soit une publication imprimée sur de vraies rotatives ou un journal en ligne sur la toile.

200.000 abonnés pour Médiapart

Exception notoire : Mediapart créé par l’emblématique Edwy Plenel, dont les reportages avaient fait les beaux jours du Monde. « Journal d’information numérique, indépendant et participatif » : c’est ainsi que se présente Médiapart sur son website. Il a fêté ce printemps-ci les seize ans de sa création. Depuis 2011, sans discontinuer, il est bénéficiaire grâce à ses 200.000 abonnés et il n’accepte aucune publicité.
Un média décidément tout à fait à part : Edwy Plenel a renoncé à ses fonctions de président et il a passé récemment le témoin à quatre femmes combattives

Carine Fouteau, présidente et directrice de la publication ; Cécile Sourd, directrice générale ; Lénaïg Bredoux, codirectrice éditoriale, responsable éditoriale ; Valentine Oberti, codirectrice éditoriale, responsable du pôle Vidéo.

Protection policière et vigiles

Enfin, l’actualité si turbulente en France nous incite à mentionner un autre danger, apparu assez récemment. Quand ils s’aventurent dans ce qu’on appelle « les territoires perdus de la République » (des banlieues où les islamistes et les narco-trafiquants font régner leurs lois), certains journalistes sont accompagnés de professionnels spécialisés dans la protection des personnes. Même chose quand ils couvrent des manifestations de rue qui peuvent tourner au vinaigre, comme ce fut le cas récemment lorsque des jeunes gens se sont mis à envahir des universités pour protester contre les frappes de l’armée israélienne dans la bande de Gaza. Et nombre de journalistes, toujours en France, bénéficient d’une protection policière permanente accordée par le ministre de l’Intérieur parce que leurs commentaires ont déplu à des organisations, des mouvements qui aimeraient voir la France gouvernée par des régimes que soutiennent les redoutables Frères musulmans. Parmi ces cibles potentielles : Christine Kelly et d’autres journalistes travaillant pour CNews ainsi que Ruth Elkrief, salariée de LCI (groupe TF1), une chaîne d’info en continu concurrente. Décidément, tout se dégrade très vite : «On n’aurait jamais osé imaginer de tels scénarios au Pays des Lumières il y a dix ans», a relevé le présentateur d’une émission à succès sur CNews, Pascal Praud. Jours sombres en perspective…

Kiosque à journaux à Asnières-sur-Seine. Dessin ©2021 Yann Le Houelleur

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