Aux Saintes-Maries-de-la-Mer, les Gitans luttent pour défendre leurs traditions authentiques

PAR NADINE CRAUSAZ, reportage texte et photos

Le pèlerinage des gitans aux Saintes-Maries-de-la-Mer, célébré les 24, 25 et 26 mai, est une institution dans cette ville. Chaque année, 25 000 personnes se déplacent pour honorer Sainte Sara, leur sainte patronne. Cet événement est très largement promu par la ville, comme en témoigne le site de l’office de tourisme.

En 2023, la mairie des Saintes-Maries-de-la-Mer a pris des mesures de sécurité qui ont suscité de vives réactions. Des blocs de béton ont été posés à l’entrée des rues et ruelles du village, visant à instaurer un périmètre de sécurité. Rebelote en 2024 ! Cette initiative est perçue par les gitans comme du racisme à leur encontre, les empêchant de stationner et de se préparer pour le pèlerinage comme ils le faisaient traditionnellement.

Cette année encore, ces mesures de sécurité prises par la mairie, bien qu’ayant pour objectif déclaré de garantir l’ordre public, sont encore mal perçues par la communauté des gens du voyage. Ces décisions, couplées à des incidents passés et à la délocalisation des marchés traditionnels, ont terni l’esprit de convivialité et de partage qui caractérisait autrefois le pèlerinage des gitans.

Incidents et ressentiment

Les tensions ne datent pas d’hier. Les habitants se sont souvent plaints de nuisances causées par la présence des caravanes, notamment les raccordements illégaux aux conduites d’eau et d’électricité des maisons. En réponse, les autorités ont installé ces blocs de béton, qui forcent les gitans à se tenir éloignés dans les campings en périphérie du village. La mise en place de ces contraintes a renforcé le sentiment d’exclusion au sein de la communauté. Ils se déplacent beaucoup moins nombreux chaque année. Avec l’attrait touristique mis en avant par les prospectus de la mairie, les gitans dénoncent comme du « folklore » plutôt qu’un respect de leurs traditions authentiques. 

Le culte de Sara

Le lien entre les gitans et les Saintes-Maries-de-la-Mer est unique et profond. Sara la Noire, ou Sara la Kali, est célébrée le 24 mai par les gitans, qui la considèrent comme une protectrice et une figure maternelle. L’origine exacte de Sara dans la tradition gitane est incertaine, mais plusieurs légendes existent : certaines disent qu’elle était une servante égyptienne des saintes Marie, d’autres qu’elle était une reine gitane.

Avec le temps, le culte de Sara s’est développé indépendamment de celui des saintes officielles de l’Église. Sa statue, conservée dans la crypte de l’église des Saintes-Maries-de-la-Mer, est un lieu de pèlerinage constant pour les gitans, qui viennent de toute l’Europe pour participer à la fête annuelle. Les rituels incluent des prières, des chants, des danses, et une procession jusqu’à la mer, où la statue de Sara est immergée.

La légende des saintes Marie Jacobé et Marie Salomé

La légende des saintes Marie Jacobé et Marie Salomé est intimement liée à l’évangélisation de la Provence. Selon la tradition chrétienne, après la crucifixion de Jésus, les premiers chrétiens furent persécutés. Plusieurs disciples durent alors fuir. La légende raconte que Marie Jacobé, Marie Salomé, Marie Madeleine, Lazare, Marthe et d’autres compagnons furent placés sur une barque sans voile ni gouvernail et laissés à la dérive. Guidés par la providence, ils accostèrent finalement en Camargue. Une autre version précise que Marie Madeleine partit évangéliser la Provence, tandis que Marie Jacobé et Marie Salomé restèrent en Camargue pour poursuivre leur mission.

Le développement du culte

Dès le IVe siècle, des textes mentionnent une chapelle dédiée aux saintes dans cette région. La popularité du culte des saintes augmenta au fil des siècles, et au Moyen Âge, des pèlerinages réguliers furent organisés. Au IXe siècle, l’église actuelle, connue sous le nom d’église des Saintes-Maries, fut construite sur le site présumé du débarquement des saintes. Cette église fortifiée, avec ses épaisses murailles et son architecture défensive, témoigne des temps troublés où elle servait à la fois de lieu de culte et de refuge contre les invasions.

Les croisades et l’âge médiéval

Pendant les Croisades, le port des Saintes-Maries-de-la-Mer servit de point de départ pour de nombreux pèlerins et croisés en route vers la Terre Sainte. Le village devint alors un centre spirituel et un point de rencontre pour les chrétiens d’Occident. Au XIIIe siècle, Charles d’Anjou, comte de Provence et frère du roi Saint Louis, encouragea le développement du pèlerinage en consacrant l’église et en y apportant des reliques des saintes, renforçant ainsi l’importance du site en tant que lieu de dévotion.

L’église des Saintes-Maries

L’église des Saintes-Maries est un édifice remarquable, tant par son histoire que par son architecture. Construite au IXe siècle et rénovée aux XIIe et XIVe siècles, elle est un exemple typique des églises fortifiées de la région. Elle comporte une unique nef, des murs épais, et une tour de guet offrant une vue imprenable sur la Camargue. L’intérieur de l’église est austère mais empreint de spiritualité, avec des fresques médiévales et des reliques précieuses des saintes.

Le développement moderne

Au XIXe siècle, les pèlerinages des Saintes-Maries-de-la-Mer prirent un nouvel essor grâce aux efforts du clergé local et aux progrès des transports. Le village devint plus accessible, attirant un nombre croissant de pèlerins et de touristes. Aujourd’hui, les pèlerinages de mai et d’octobre sont des événements majeurs, rassemblant des milliers de participants dans une atmosphère de ferveur et de célébration.

Malgré ces défis, la ferveur du pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer demeure intacte. La messe en l’honneur des saintes et la procession jusqu’à la mer continuent d’attirer des fidèles. Les pèlerins, qu’ils soient gitans ou non, se rassemblent pour célébrer leur foi et perpétuer des traditions ancestrales, marquant ainsi la continuité d’une histoire riche et complexe. Le village reste un point de convergence symbolisant la rencontre de l’histoire, de la culture et de la foi.

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