Au cours des siècles, les nomades se sont forgés un caractère à la fois ouvert à la nature et ouvert d’esprit. Les femmes portent un haut turban blanc qui mesure parfois jusqu’à 17 mètres de long ; une coiffure étonnante et quasiment plus grande que leur tête ! On emmaillote les bébés dans ces mêmes tissus blancs qui servent également de linceuls.
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Les nomades portent souvent des prénoms empruntés à la nature… A travers les immensités, qu’ils traversent, les clans se croisent, se saluent… ou se battent.
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L’islam est arrivé un jour dans leur monde, plutôt en surface, sans réussir vraiment à les sédentariser. Aujourd’hui encore, le sang nomade continue à battre quelque part dans les veines des Kirghizes.
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J’ai perdu une seconde fois mon père… J’étais très amoureux, un de ces amours fous d’adolescents. J’avais 16 ans et elle 15 ans. Un soir d’hiver, à la nuit tombée, je me dirigeai vers sa maison. En m’approchant de la fenêtre, me parvint de derrière le rideau cette phrase terrible criée de la mère à sa fille: « Tu n’y songes pas ! Un garçon sans père ! » Je suis reparti dans le froid, le cœur glacé. Je n’oublierai jamais.
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J’ai eu beaucoup de maîtres dans ma vie, de toutes sortes, mais pas de père.
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La tradition veut que le corps du mort reste trois jours dans une yourte avant de partir au cimetière, accompagné des hommes uniquement.
Le mollah est le maître de la cérémonie. Il convoque publiquement le fils aîné du défunt dont le devoir est de poser trois questions au public au sujet de son père. La première : « Comment était mon père? » La seconde : « Si mon père doit quelque chose à l’un d’entre vous, qu’il me le dise, je m’en chargerai. La troisième : « Si quelqu’un parmi vous doit de l’argent à mon père qu’il le garde pour lui. »
Toutes ces habitudes remontent à des siècles et aussi loin qu’on s’en souvienne, aucune critique n’a jamais été prononcée à ce jour envers le disparu.
On ne peut que s’incliner devant la noblesse de ces rites.
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Quand ma mère se fâchait contre nous, ses enfants, elle nous criait : « Après ma mort, vous ne pleurerez pas plus de trois jours ! » Elle mentait. Je la pleure encore aujourd’hui.
Cette chronique contient des nouvelles, aphorismes, histoires vraies et autres récits écrits entre l’âge de 15 et 35 ans sous la forme d’un journal par le journaliste et écrivain genevois d’origine kirghize, Zhenishbek Edigeev. Un premier tome des “Cahiers bleus” a été publié en 2022. Un deuxième est prévu en 2024.