PAR FRANÇOIS GILABERT
Il a osé! Symbole en exil de la résistance catalane, Carles Puigdemont a salué jeudi 8 août 2024 à Barcelone des milliers de catalans venus l’accueillir près du parlement catalan. Ils sont venus des provinces et comptaient parmi eux des responsables des entités civiles indépendantistes, l’Assemblea Nacional Catalana et Omnium, ainsi que des maires de l’association AMI et des députés indépendantistes.
Pour rappel, le parti socialiste catalan avait remporté en mai dernier les élections autonomistes en Catalogne, mais n’ayant pas la majorité absolue, il devait s’accorder avec d’autres partis de gauche pour prétendre gouverner. D’autre part, les partis indépendantistes « junts », ERC et CUP avaient perdu la majorité absolue, sans doute en conséquence de leur « rivalité fratricide ».
Vent de panique dans les rangs indépendantistes
Tout naturellement, Salvador Illa, très soumis et fidèle au PSOE de Pedro Sanchez s’est tourné vers ERC, la gauche républicaine indépendantiste et les « communs » (parti d’extrême gauche) pour parvenir à un accord et se présenter comme candidat à l’investiture en tant que Président de la Generalitat de Catalogne (pouvoir exécutif du gouvernement autonome). Le parti indépendantiste de gauche modérée (ERC) dirigé par Marta Rovira, récemment revenue de son exil de presque 7 ans à Genève, ayant accepté de négocier au grand dam des indépendantistes de « Junts », parti de Carles Puigdemont.
La brèche déjà bien ouverte lors du précédent gouvernement indépendantiste de Pere Aragonès (ERC) s’est ainsi davantage creusée, semant un vent de panique dans les rangs des indépendantistes de la société civile, déjà bien déçus par la conduite de leurs dirigeants de gauche comme de centre-droite empêtrés dans leur souci de mener seuls la lutte pour l’indépendance et dans les négociations stériles avec l’Etat espagnol. Ces milieux le vivent comme une trahison, car Illa avait combattu le référendum et soutenu la dissolution du Parlement autonome, ainsi que la destitution du Président Puigdemont, mais également la répression violente puis judiciaire qui s’en est suivie.
L’échec de la table de dialogue instaurée par Pedro Sanchez
ERC et socialistes ont donc conclu un accord portant principalement sur un « auto-financement singulier » pour la Catalogne afin d’obtenir de l’Etat espagnol la possibilité de gérer eux-mêmes les recettes fiscales et ainsi en terminer avec une distribution centralisée jusqu’ici toujours préjudiciable aux Catalans. Un grand nombre d’entre eux n’y croient pas, car ils savent d’expérience que les revendications auprès de l’Etat espagnol n’ont que rarement abouti. L’exemple le plus flagrant est la table de dialogue instaurée par Pedro Sanchez et Pere Aragonès (ERC alors au pouvoir) qui avait pour but de trouver une solution au conflit entre la Catalogne et l’Etat espagnol suite au référendum et à la déclaration d’indépendance, mais qui s’est avéré être un échec complet. Un auto-financement singulier comme celui accordé au Pays Basque ne rencontrerait d’ailleurs pas l’assentiment des autres communautés autonomes qui se sentiraient flouées. Madrid la première alors que jusqu’ici, elle a bénéficié d’une manne importante et disproportionnée de l’Etat espagnol.
De son côté, lors de sa campagne électorale, Carles Puigdemont avait promis qu’il reviendrait de son exil le jour du débat parlementaire d’investiture du nouveau Président de la Generalitat et qu’il serait présent au parlement pour s’opposer à l’élection du socialiste. Il aurait dû bénéficier de la loi d’amnistie votée au congrès espagnol et en principe rentrer au pays sans être inquiété. Mais c’était sans compter sur l’opposition de plusieurs juges espagnols, notamment du juge Llarena du Tribunal Suprême espagnol, qui a maintenu contre lui l’accusation de malversation (il aurait utilisé des fonds publics pour organiser la votation sur l’indépendance) non incluse dans la loi. Interprétation politique de ladite loi, puisque celle-ci propose une amnistie pour tous les actes en rapport avec le processus d’indépendance. Il a donc ordonné sa détention dès le passage de la frontière espagnole, ce qui le prive de son droit, en tant que député élu démocratiquement par le peuple, de participer au débat d’investiture.
Puigdemont s’éclipse sans laisser de traces
Hier donc, Carles Puigdemont, malgré un fort déploiement de la police, a pu prononcer un discours accusateur contre le gouvernement espagnol à qui il reproche la violence répressive mise en œuvre contre les indépendantistes, tout en rappelant les persécutions dont ils ont été victimes, eux et leurs proches. Violences contre les votants pacifistes, droits fondamentaux bafoués, mise sous écoute et atteinte à la vie privée, fausses accusations de corruption, emprisonnements, persécutions judiciaires. Et Puigdemont de proclamer « mais nous sommes encore ici », exprimant sa volonté de résister. Puis il s’est éclipsé, sans laisser de trace, échappant à la police qui avait minutieusement préparé son arrestation, opération baptisée « GABIA » qui signifie « cage » en catalan. Ce mot exprime-t-il une dessein peu reluisant?
Si Puigdemont n’a pas réussi à empêcher l’investiture du président socialiste Illa, il a néanmoins tenu sa promesse de revenir en Catalogne, malgré le mandat d’arrêt lancé contre lui. Il a fait renaître un espoir chez les indépendantistes catalans qui se sont mobilisés pour l’accueillir. L’espoir d’achever le processus vers l’indépendance, ce que les Catalans appellent « Procés ». Il a également attiré sur lui et la Catalogne l’attention de la presse internationale.
Merci pou cet article bien informé et éclairant qui aide à comprendre les enjeux de cette venue de Puigdemont en Catalogne et sa disparition qui a déçu certains militants indépendantistes.
Merci pour avoir très clairement expliqué et de façon neutre ce qui se passe en Catalogne depuis des années et particulièrement ces derniers jours. Ceci contraste avec les récits des innombrables médias à la solde de ceux qui ne veulent pas d’une Catalogne indépendante. Merci.