«Je suis trop gentille, on me le fait payer cher»



YANN LE HOUELLEUR, Paris

Noël, c’est avant tout le sourire d’un enfant né dans une étable, un enfant voué à changer la face du monde. Contraste vertigineux avec ce que notre société avide de consumérisme offre de plus désolant chaque fois qu’on s’apprête à entrer dans l’Année nouvelle. Noël a été perverti, pris en otage par ce qu’on appelle aussi «la société de consommation».

Ce devrait être une fête simple, sans débauche de cadeaux et de bonne chère, et pourtant les croyants les plus en accord avec leurs intimes convictions sont quelque peu piétinés par une fête devenue massivement, mais heureusement pas encore exclusivement, païenne.

Noël, pour le journaliste et artiste qui improvise cet article, c’est un rendez-vous avec l’émerveillement et les vrais gens, ceux désireux de partager la lumière illuminant leur cœur. Il est temps, plus que jamais, d’écouter les petites gens.

Un samedi aux alentours de 14 heures, après avoir été happé pendant d’interminables jours par de gros «soucis» à résoudre de toute urgence, l’envie m’est venue de renouer avec la pratique du dessin. Pourquoi donc ne pas aller dessiner le Panthéon se dressant dans un écrin si parisien d’immeubles d’une sobre élégance? Détail plutôt amusant : une lanterne, surmontée d’une croix dorée, perchée sur un dôme violacée. Le Panthéon, où reposent tant de «grands hommes» est l’un des édifices phares de Paris. Je désirais bénéficier, tout autant, de la perspective de la rue Soufflot, et pour ce faire j’ai pris place dans un resto Quick. (Cette enseigne est l’un des principaux concurrents de MacDo.)

Paris, le Panthéon. Dessin ©2024 Yann Le Houelleur


A n’en point douter, un handicap

Au début, c’était très calme, et je disposais de deux tables ! Puis au fur et à mesure qu’approchait la tombée de la nuit j’ai été déconcentré par des personnes, assez pressées, qui se sont assises à mes côtés.

Et j’avoue avoir été moyennement accueillant car j’avais à peine quelques quarts d’heure devant moi pour conclure ce dessin. L’une des journées les plus courtes de l’année. Soudain, une dame plutôt corpulente, les yeux pétillant à travers d’épaisses lunettes, s’est assise presqu’en face de moi. Je l’épiais du coin de l’œil tout en ne perdant pas de vue le Panthéon. Ce qui me déroutait un peu: de temps à autre elle mâchait des mots inaudibles. Elle cherchait à dissimuler des tics. A n’en plus douter, cette inconnue avait un handicap. Elle s’adressa à moi gentiment et recourant au «tu». «Tu dessines bien. T’habites où ?» «Asnières», lui dis-je, conscient qu’il valait mieux ne pas répondre «Gennevilliers», une ville malgré tout peu connue et souffrant d’une réputation peu flatteuse. «J’connais pas. Moi c’est Saint-Rémy-lès-Chevreuse, tu sais où ça s’trouve ?» Aussitôt, elle me proposa «un café» et elle se montra soucieuse de savoir si je mangeais régulièrement. Lucie, son nom, avait pris le RER pour aller se changer les idées à Paris. «J’aime bien regarder les gens, ici tout paraît plus beau.»

J’étais curieux de savoir si elle habitait dans un foyer ou un immeuble conventionnel. Lucie n’eut aucun mal à me préciser qu’elle vit seule dans un HLM au milieu d’une cité où tout lui parait calme. Elle ajouta : «Je suis sous curatelle, tu connais ?» Elle me révéla la clef de sa personnalité : «Je suis trop gentille avec les gens. A cause de ça, j’ai plein de problèmes car on me prend facilement pour une idiote.» Idiote, certainement pas, et peut-être bien, par contre, naïve. Ce mot «gentil» émaillait ses propos.

Non loin de là, M. Macron et ses prestigieux invités  – entre autres Donald Trump – célébraient en grande pompe la reconstruction (partielle) de la cathédrale Notre Dame. Sur notre dessin ©2024 Yann Le Houelleur: la cathédrale vue du Quai de L’Hôtel-de-Ville.



En vacances avec sa famille

Lucie a fait de sa famille la source de son bonheur. Elle a la chance de s’entendre à merveille avec ses cinq frères et sœurs et elle passe les fêtes de Noël comme le Réveillon en leur compagnie.
De même, elle part en vacances, l’été, avec eux. Quand je dessine, il m’arrive souvent d’attirer à moi, sans le vouloir, des inconnus qui me racontent leur vie sans maquillage aucun. Lorsqu’il s’agit de personnes mal intentionnées ou barbantes, au psychique trop lourd, mes traits de crayon s’en ressentent et j’ai envie, alors, de les éloigner pour continuer mon travail en maintenant intact mon dialogue avec les sujets appréhendés. 

Un dessinateur, un peintre, quand ils œuvrent en plein air, se mettent à converser humblement avec leur environnement. Toutefois, quand j’ai la chance d’être abordé par des personnes plus équilibrées et belles dans leur cœur, je me sens soutenu et «boosté» par ces rencontres, et je vis alors quelque chose d’assez magique.

La nuit s’était emparée de Paris quand Lucie a pris congé de moi. De sinistres gouttes de pluie tambourinaient contre les baies vitrées du Quick et une foule de plus en plus dense envahissait la rue Soufflot. Certains passants jetaient un coup d’œil furtif sur les alléchantes vitrines de commerces : beaux-arts, souvenirs, pâtisseries, vins et spiritueux.

Non loin de là, M. Macron et ses prestigieux invités  – entre autres Donald Trump – célébraient en grande pompe la reconstruction (partielle) de la cathédrale Notre Dame.

En contrebas, là où les boulevards Saint-Michel et Saint-Germain s’entrecroisent, il y avait un barrage constitué de voitures de police qui empêchait la foule de déborder, via une pelote d’étroites et sinueuses rues, sur les quais. (Rue de la Harpe, rue Saint Séverin, rue de la Huchette…) Mesures de sécurité maximales. 

Il était temps de reprendre le chemin (un chemin de fer souterrain) d’Asnières… et Gennevilliers.

* Article paru dans le journal numérique Franc-Parler.

Franc-Parler , en région parisienne, est un média qui mêle illustrations, rencontres avec des citoyens qui ont des choses à dire, ainsi que réflexions sur des faits d’actualité.

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