La Dana 2024 (2) – Qui porte la responsabilité du chaos de Valence?

PAR NADINE CRAUSAZ, reportage à Valence, texte et photos

À Valence, la colère gronde encore plus fort, deux mois après la Dana (acronyme de depresión aislada en niveles altos, ou dépression isolée à niveau élevé). Personne n’a oublié les errements du chef du gouvernement, Pedro Sánchez, visiblement en état de sidération, au lendemain du cataclysme. Il avait prononcé des propos qui n’avaient fait qu’envenimer une situation déjà chaotique : « Que ceux qui ont besoin d’aide viennent la demander ! » Cette déclaration avait provoqué l’indignation, non seulement au sein de la communauté valencienne, mais bien au-delà des frontières. Il s’était rapidement repris, promettant une enveloppe de 2,3 milliards d’euros pour les sinistrés. Mais, à ce jour, aucune des promesses d’aide financière n’a été concrétisée, et l’angoisse des victimes ne cesse d’augmenter. Depuis Madrid, le gouvernement espagnol se contente de pointer la responsabilité des autorités de la communauté autonome valencienne.

Des corps sont encore extraits des montagnes de boue et de déchets, ainsi que des garages souterrains.
Photo ©2024 Nadine Crausaz

Les réponses restent insuffisantes pour les milliers de victimes. Pourquoi, par exemple, les alarmes n’avaient-elles retenti qu’à 20 heures, alors que les habitants se débattaient déjà dans des eaux qui montaient à toute vitesse ? Les chaînes de télévision officielles restent toujours floues concernant le bilan humain (230 morts et 11 disparus…). Le nombre exact reste en effet imprécis. Aucune information fiable n’a été communiquée à ce sujet et ne le sera sans doute jamais ! Des corps sont encore extraits des montagnes de boue et de déchets, ainsi que des garages souterrains. Sur la base des témoignages fiables recueillis sur place, les lanceurs d’alerte publient chaque jour des chiffres beaucoup plus proches de la réalité sur les réseaux sociaux.

Les cultivateurs aux abois

La colère et la frustration de tout un peuple.
Photo ©2024 Nadine Crausaz

La responsabilité demeurera floue encore longtemps. L’impact du réchauffement climatique est sur toutes les lèvres, mais cela n’explique pas tout ! La dévastation causée par la Dana ne s’est pas limitée aux infrastructures, usines, commerces et habitations ; elle a également frappé de plein fouet l’agriculture, secteur vital pour la région. La Huerta de Valence, l’un des principaux terroirs agricoles d’Espagne, a payé un lourd tribut. Lorsque les eaux se sont retirées, elles ont laissé derrière elles une boue épaisse et collante, rendant des centaines d’hectares irrémédiablement inutilisables. Cette fange a anéanti des sols autrefois fertiles, rendant désormais toute culture impossible.

Certains producteurs d’oranges n’ont même plus accès à leurs plantations, des routes étant encore ensevelies sous des débris. Pourquoi ne pas les dégager pour permettre la récolte ? Ces incohérences et cette inertie ne font qu’alimenter la colère et la frustration de tout un peuple déjà assez meurtri sans en rajouter.

Parcs solaires

Malgré sa prospérité, Valence a longtemps négligé les questions liées à la gestion des risques environnementaux.
Photo ©2024 Nadine Crausaz

Les cultivateurs redoutent que cette catastrophe ne serve de prétexte pour requalifier leurs champs en zones non cultivables. Les huertas de Valence, jusqu’à présent protégées contre les projets d’urbanisation, risquent désormais de perdre ce statut ! Certains voient dans cette situation une opportunité pour les promoteurs immobiliers et des projets liés à la transition énergétique, comme des immenses parcs solaires. Cette perspective est vécue comme une forme de trahison. Après des générations de travail de la terre, cette réappropriation de ces parcelles ne serait rien d’autre qu’une catastrophe supplémentaire, mettant en péril non seulement le savoir-faire, mais aussi le patrimoine régional.

Ville verte ! Vraiment ?

« Capitale verte européenne 2024 », un label qui, dans le contexte actuel, semble particulièrement ironique.
Photo ©2024 Nadine Crausaz

Valence, troisième ville d’Espagne avec un peu plus de 792 000 habitants, détient depuis le début de l’année le titre de « Capitale verte européenne 2024 », un label qui, dans le contexte actuel, semble particulièrement ironique. Bien que la ville affiche une image écoresponsable, cette distinction est en décalage complet avec la réalité, beaucoup plus complexe et contrastée.

Malgré sa prospérité, Valence a longtemps négligé les questions liées à la gestion des risques environnementaux. En particulier, l’entretien des canalisations et des infrastructures de drainage dans la communauté a été insuffisant, ce qui a conduit à des pertes humaines et matérielles considérables. Les ‘barrancos’, ces lits de rivières caractéristiques du paysage méditerranéen, étaient censés jouer un rôle crucial en cas de tempête, en canalisant les eaux et en évitant les inondations massives. Cependant, avec le temps et le manque d’entretien, ces réservoirs naturels ont perdu de leur efficacité. Résultat: lors de la dernière tempête, 78 localités environnantes n’ont pas été protégées comme elles auraient dû l’être.

Merci Franco !

La libération massive d’eau du barrage de la Forata aura largement contribué à l’abondance des crues.
Photo ©2024 Nadine Crausaz

Il est important de souligner que Valence elle-même a été épargnée des pires conséquences des inondations grâce à une décision prise par le général Franco, après les terribles crues de 1957. Ce dernier ordonna en effet la construction d’un vaste système de canaux et de digues pour protéger la ville des submersions futures.

En 2021, pour se conformer aux normes européennes, l’Espagne a supprimé 108 barrages hydrauliques à travers son territoire, plus que n’importe quel autre pays en Europe. Malgré leur utilité pour l’irrigation ou la production d’énergie, beaucoup d’entre eux étaient devenus obsolètes. Les Valenciens pensent que la libération massive d’eau du barrage de la Forata aura largement contribué à l’abondance des crues. Au vu de l’ampleur des destructions de la Dana, cette hypothèse semble de plus en plus crédible.

Bétonnite aiguë

En bétonnant ses terres agricoles, Valence a augmenté la proportion de sols imperméables et a rendu toute la communauté plus vulnérable aux événements météorologiques extrêmes.
Photo ©2024 Nadine Crausaz

Par ailleurs, depuis les années 1950 et 1960, l’Espagne a construit dans des zones inondables, près des rivières, et a bétonné sans retenue. Cette urbanisation excessive a considérablement fragilisé de nombreuses régions face aux risques climatiques.  

L’agglomération de Valence a ainsi détruit près de 9 000 hectares de vergers en 55 ans. En bétonnant ces terres agricoles, elle a augmenté la proportion de sols imperméables et a rendu toute la communauté plus vulnérable aux événements météorologiques extrêmes. Le sol est désormais une surface dure et inerte, incapable de résorber les eaux de pluie, augmentant ainsi la pression sur les infrastructures de drainage, qui datent d’un autre siècle.

Article précédent: Un cataclysme à Valence, la dévastation vue de l’intérieur

« No ser nada, si no se es pueblo » de Vicent Andrés Estellés (poète valencien): « Ne rien être, si l’on n’est pas peuple ». Photo ©2024 Nadine Crausaz

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