France, la chaine de télé C8 mise à mort par l’État

PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris

Venezuela, Russie, Algérie, Afghanistan, et tant d’autres États sous le joug d’une dictature inflexible: ces pays ont un point commun : leurs gouvernements ont bâillonné des médias et fait taire des chaines de télévision. A cette liste sinistre, il faut désormais ajouter… la France. A la fin du 1^er mars, C8 et NRJ12 n’émettront plus, remplacées sur les canaux de la TNT (télévision numérique terrestre) par un écran noir. C’est l’Autorité de la régulation de la communication audiovisuelle et numérique qui a pris cette mesure, dans le courant de l’été 2024. Elle n’a pas daigné renouveler les concessions octroyées à ces médias qui parvenaient à expiration. Les recours en justice auxquels ont procédé leurs détenteurs se sont avérés vains (groupe Bolloré pour C8), (groupe NRJ pour la télévision éponyme). Si NRJ12 était une chaine exsangue par son audience marginale), C8 cartonnait, considérée comme le leader des chaines de la TNT. De même, la chaine d’information en continu CNews, contrôlée par Bolloré, fait un tabac. En huit ans, CNews a multiplié son audience par cinq, battant à plate couture BFM-TV. Nul doute que C8 a payé très cher le succès obtenu par sa chaine sœur CNews. Il s’agissait, fruit d’une conspiration bien ourdie, d’abattre l’une ou l’autre.

TPMP, un carton d’audience

Soir après soir, les audiences de C8 grimpaient : quelque deux millions de téléspectateurs regardaient, à l’heure de l’apéritif ou du souper, l’émission phare de la chaine, à savoir «Touche pas à mon poste» produite par H20, une société co-détenue par Yannick Bolloré et par Cyril Hanouna. Le premier est le fils de Vincent Bolloré, l’un des industriels les plus en vue en France, admiré ou honni (selon les uns et les autres) pour ses positions conservatrices et ses convictions religieuses. Le second est un self made man qui a grandi dans une cité populaire et qui moisissait dans une situation peu enviable lorsqu’il fut repéré par… Vincent Bolloré en personne alors qu’il présentait une émission peu suivie sur un canal de télévision quelconque. Surnommé «le bouffon» par ses détracteurs, Hanouna anime, chaque jour en soirée (sauf le week-end) cette émission emblématique, TPMP, qui a valu au groupe Bolloré une série d’amendes himalayesques infligées par l’Arcom. Parmi les émois qu’a suscités Hanouna : une poignée de nouilles enfilées, en direct, dans le slip de l’un de ses chroniqueurs ouvertement homosexuel.

Le parti pris du peuple

Tout à la fois boute-en-train, grande gueule, matois, hâbleur, provocateur, narcissique, rancunier, Cyril Hanouna n’en était pas moins ouvert à tous les courants de pensée, invitant sur le plateau de TPMP des personnalités et des citoyens lambda auxquels il offrait la chance de s’adresser au «peuple», un mot que les élites et les intellectuels français méprisent au plus haut point. Parmi les reproches qui lui sont adressés, il s’est fait l’écho des opposants à la vaccination obligatoire lors de la pandémie (Covid), l’une des raisons, martèle-t-il, de sa chute. De même, Hanouna et plusieurs de ses chroniqueurs ont donné la parole aux Gilets jaunes dont les manifestations ont ébranlé la République et même failli couter la vie à Macron.  Employée dans un hôpital psychiatrique tout en étant auto-entrepreneur, Blandine a participé à une séquence de TPMP, chargée de défendre les adeptes du nudisme : «L’ambiance sur le plateau était super bonne, j’ai découvert qu’Hanouna mettait à l’aise ses invités pour en extraire la meilleure part. J’en suis ressortie revigorée.»

Hanouna sait mettre le doigt sur la plaie et en raison de sa franchise mêlée de gouaille plusieurs scandales ont éclaté qui lui ont valu des avertissements et des bâtons dans les roues de la part de l’Arcom. Parmi ces scandales : une polémique, en direct, entre le député Louis Boyard et lui-même, lors de la campagne électorale pour la présidentielle, en 2022. «Tocard, bouffon, toi t’es une merde» avait éclaté, rouge de colère, Cyril Hanouna face à ce jeune député à la réputation plutôt sulfureuse, élu avec le parrainage de la France Insoumise, un parti politique qui aspire à mettre le bazar en France, soutenant notamment le Hamas dont les tentacules frémissent jusqu’au cœur de plusieurs mairies françaises qui lui octroient des subventions via diverses associations. La précision suivante s’impose : Louis Boyard avait déclenché l’ire d’Hanouna juste après avoir critiqué sévèrement Vincent Bolloré, jadis actionnaire de plusieurs exploitations minières et de compagnies de logistique en Afrique. Autant de propos ingrats dans la bouche d’un élu qui a mangé dans la main de Bolloré puisque Boyard a fait partie de l’équipe des chroniqueurs de TPMP ! 

Condamné à 4.000 euros d’amende pour avoir «injurié un représentant de la Nation», Hanouna a valu à son mentor Vincent Bolloré une pénalité record de 3,8 millions d’euros infligée par l’Arcom. 

La coupe était pleine

Soutien aux Gilets jaunes, mise en cause de la politique sanitaire de Macron, (Covid), nouilles dans le slip, règlements de compte à l’écran ainsi qu’un reportage infamant (regorgeant de haine) diffusé par France 2 qui mettait en doute la probité du trop remuant animateur : la coupe était pleine pour le gouvernement Macron qui a fait promulguer tant de lois à caractère liberticide. Avant d’avancer une quasi certitude, il faut savoir que l’Arcom est présidée par un homme (ou une femme) que désigne l’Elysée, l’un de ses conseillers étant nommés par le Conseil d’Etat constitué, quant à lui, de membres désignés par décret présidentiel lors du conseil des ministres. 

La quasi certitude que s’est forgée Cyril Hanouna, dont il a fait part au cours de l’une des dernières émissions de TPMP, est qu’effectivement l’Elysée a manœuvré en sa défaveur. «Pourtant, Emmanuel Macron n’y était pour rien», a garanti le bouillonnant animateur la semaine dernière. « De sources sures, je me suis laissé dire que le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, s’est entendu avec le président de l’Arcom pour la fermeture de C8. Une fois prise cette décision, Emmanuel Macron ne pouvait plus rien faire, mis au pied du mur », relativise Hanouna. Ces allégations font froid au dos, considérant que le chef de l’Etat serait tenu à l’écart d’atteintes aussi graves à la liberté d’expression et apprenant qu’un homme nanti de pouvoirs aussi importants ne pourrait stopper un bolide lancé à toute allure. Incontestablement, en tout car pour l’auteur de cet article, la mise à mort de C8 est une affaire d’État. Seul espoir, maintenant : puissent les instances dédiées en la matière au sein de l’Union européenne prendre une décision remettant en cause les pusillanimes agissements tricotés au sommet de l’État.

L’auteur, Yann Le Houelleur, est artiste et il élabore un journal numérique, Franc-Parler.

400 professionnels voués à grossir la si longue file des chômeurs

La France est secouée par une série de tempêtes politiques, menacée de se voir rétrogradée par les agences de notation telles que Standard & Poor’s en raison d’une dette externe monumentale (plus de 3.000 milliards de dollars), ébranlée par une recrudescence des attaques terroristes (en cause : les islamistes et peut-être aussi les narcotrafiquants)… Le pronostic vital du patient France serait engagé et l’un des symptômes du mal sans doute incurable qui le ronge est une forte progression du chômage alors que le gouvernement Macron s’enorgueillissait d’avoir enclenché une vague sans précédent de créations de postes de travail. Or, l’été dernier, les informations alarmistes quant aux défaillances d’entreprise se sont multipliées. Les médias mainstream, par la suite, ont été fort peu diserts au sujet de tels ravages.

Le chômage, c’est précisément la menace qui a pesé pendant plusieurs saisons sur les 400 personnes travaillant pour la chaine C8. (Huit mois se sont écoulés depuis la décision de l’Arcom, l’autorité surnommée « le gendarme de l’audiovisuel » et la validation de cette mesure par le Conseil d’État). Le 1^er mars, ces professionnels seront sur le carreau, émargeant au budget de France Travail (ex-Pôle Emploi) : journalistes, caméramans, régisseurs du son, producteurs, maquilleurs, couturiers, etc. Les « responsables » des partis de gauche se sont bien gardés d’apporter leur soutien à ces nouveaux demandeurs d’emploi, tout comme les députés de la « Macronie », la mouvante coalition constituée de partis de droite, du centre droit et du centre gauche qui soutient l’actuel chef de l’État avec, lors de certains votes de loi au parlement, l’appui si troublant du Rassemblement national. «Mais t’as vu ce que le groupe Bolloré mettait sur ses programmes ? » Ainsi réagit Julien, un caméraman indépendant rencontré dans le quartier du Marais, critiquant le « big boss » Vincent Bolloré en raison de ses idées conservatrices, un homme d’affaires qualifié de « réac » voire de « facho » par ceux qui disent avoir le cœur à gauche. Comme tant de ses confrères, Julien feint de se réjouir de la fermeture de C8, un manque de solidarité résumant bien la déchéance du syndicalisme à la française. Mais il ajoute, après que l’auteur de cet article l’ait contesté: « Effectivement, pour que tous ces gens sur le carreau soient absorbés par les autres télés, il en faudra du temps. Le marché va être drôlement secoué… »

Et l’on ne peut, à cette occasion, que se souvenir des propos méprisants et teintés de provocation que le président Macron avait tenus, au début de son premier mandat, en présence d’un chômeur : « Vous n’avez qu’à traverser la rue » (pour trouver un emploi). La France, jadis un grand pays, mérite mieux que de tels outrages… YLH