Quant l’information n’est plus un bien public mais un trophée

Une conférence intitulée Journalistes et humanitaires : les défis d’une information crédible s’est tenue le 15 mai à Thônex.

M. Felipe DONOSO, ex-délégué du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) :

Notre métier, c’est de dire ce que l’on voit. Et parfois, de ne pas tout dire pour pouvoir continuer à agir.  « C’est la première fois que je parle de l’information en guerre dans mon propre pays, la Suisse, après 33 ans sur les terrains les plus violents du monde ». 

Dans les conflits armés, l’information devient un champ de bataille. Elle est rarement neutre. Elle est utilisée pour convaincre, manipuler, déstabiliser. Le champ médiatique est devenu un théâtre d’opérations à part entière.

L’information humanitaire, elle, est fondée sur une autre logique. Pas celle de convaincre. Celle de protéger. Pour sauver des vies, il faut parfois se taire. 

L’orateur cite Pierre Krähenbühl, ancien haut responsable du CICR et de l’UNRWA, qui rappelle cette tension permanente entre le devoir d’informer et l’impératif de silence. Un silence stratégique, qui ne signifie ni lâcheté ni indifférence, mais une volonté d’accéder aux victimes et de maintenir la confiance auprès de toutes les parties.

Dans un monde où tout se sait, se commente, se partage, garder le silence devient un acte fort. Notre métier, c’est de dire ce qu’on voit. Et parfois, de ne pas tout dire pour pouvoir continuer à agir. 

Mme Luisa BALLIN, journaliste italo-suisse accréditée à l’ONU :

L’indifférence tue autant que les bombes.

Aujourd’hui, on ne peut plus dire « on ne savait pas ». Les tragédies se déroulent en direct à la télévision : Gaza, l’Ukraine, l’Afghanistan… Et pourtant, le silence de nos dirigeants, même dans les démocraties, est assourdissant.

En Afghanistan, les femmes sont invisibles. On construit désormais sans fenêtres pour éviter qu’un homme puisse apercevoir une femme cuisinant. Les petites filles n’ont plus le droit d’aller à l’école au-delà du primaire. Et tout cela se passe sous les yeux du monde, dans une indifférence glacée.

Les journalistes, eux, sont de plus en plus absents. Pas parce qu’ils ne veulent pas témoigner, mais parce qu’ils en sont empêchés, visés, parfois tués. Au Darfour, à Haïti, au Sahel, les voix s’éteignent. Et quand les milliardaires détiennent les médias, l’information devient secondaire. Ce n’est plus un bien public, mais un trophée.

On parle beaucoup de liberté d’expression. Mais même dans les grandes démocraties, l’autocensure s’installe. Une dessinatrice du Washington Post, après des années de publication, a vu un de ses dessins censuré. Elle a préféré démissionner. La liberté de dessiner, d’écrire, de dire est grignotée, insidieusement.

Et dans ce brouillard, surgissent les « vérités parallèles ». Un leader puissant impose sa propre version des faits. Des mensonges deviennent des opinions respectables. Et l’information s’effondre.

Dès lors, une question s’impose à chacun de nous : comment vous informez-vous ? À qui faites-vous confiance ? Quelle est, aujourd’hui, une « vérité vraie » ?

Zhenishbek Edigeev

Luisa Ballin et Felipe Donoso. « Une question s’impose à chacun de nous: comment vous informez-vous? » Photo ZE

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