PAR SANTO CAPPON
Cette affirmation est à double sens, voire à double tranchant. Dans le contexte actuel de la guerre Israël-Iran, cela pourrait laisser entrevoir que le régime des mollahs tomberait éventuellement, à la faveur des bouleversements en cours et à venir…
Alors que dans le contexte du passé, celui qui a précédé la Révolution iranienne de 1979, la perspective était inversée. Le Shah était au pouvoir à Téhéran et l’alliance de l’Iran avec Israël était patente, ainsi que l’alignement de l’empire perse incarné par Reza Pahlavi avec un Occident dont les intérêts géostratégiques se confondaient avec ceux de la doctrine iranienne en la matière.
Jusqu’en juin 1967
Sauf que. Entre 1966 et 1967, j’ai effectué quatre voyages en Iran, par la route depuis Genève. J’ai sillonné ce pays en long et en large, afin de capter l’âme profonde d’un peuple. Au contact des gens les plus « simples » et des contraintes vitales qui étaient les leurs.
Jusqu’en juin 1967, l’hospitalité dont j’ai bénéficié fut exemplaire, spontanée. Sans commune mesure avec celle qu’on peut percevoir dans nos contrées. Plus les gens étaient pauvres, plus ils ressentaient le besoin de partager le peu qu’ils avaient. Fût-ce avec n’importe quel étranger de passage.
Sauf que. Le 5 juin 1967 éclata la guerre des Six Jours, opposant Israël à tous les pays musulmans qui j’entouraient. Dans le cadre de sa victoire-éclair, Israël « réunifia » Jérusalem en occupant sa vieille ville, incluant son « Esplanade du Temple » (jadis détruit par l’empereur romain Titus en l’an 70).
Prophéties
Pour les musulmans du monde entier, c’est de l’ « Esplanade des mosquées » qu’il s’agit. Alors que pour les Juifs, cela pourrait signifier qu’à terme, l’avènement du vrai Messie serait envisageable, en conformité avec les prophéties littéralement annoncées dans l’Ancien Testament biblique.
Même si la Révolution islamique était une musique d’avenir que rien ne pouvait laisser supposer advenir, pour les Iraniens chiites attachés à leur religion ce fut une catastrophe remettant potentiellement en cause les termes de leur propre messianisme : une doctrine eschatologique annonçant le retour du Mahdi (« le bien guidé », disparu en 941). Car son retour espéré l’investirait du rôle de « sauveur » à la fin des temps. La réapparition de cet « imam caché » devrait instaurer au bout du compte, la justice et la paix sur Terre. Retour précédé de mille calamités, de guerres entre usurpateurs etc.
On comprend dès lors la signification que pourrait revêtir aux yeux des croyants musulmans chiites, l’actuel affrontement d’un Iran bientôt « nucléaire », avec une « entité sioniste » qu’il faudrait impérativement rayer de la carte, car elle viendrait contrecarrer leur propre destinée.
Choc des messianismes
Autrement dit, le choc de ces deux messianismes antagonistes ne pouvant préfigurer, dans un avenir bousculé par l’actualité, qu’un affrontement décisif entre islam et judaïsme, propre à mettre l’Iran dans une posture triomphante.
Sauf que. Un troisième messianisme vient se greffer sur une telle projection à deux visages : les dizaines de millions d’évangéliques américains qui soutiennent Trump, sont convaincus que le retour sur Terre de Jésus à Jérusalem est si proche, que tous les Juifs doivent impérativement retourner en Terre Sainte incarnée par l’Etat d’Israël. Afin que, en pleine Lumière restaurée, ceux-ci le reconnaissent finalement en tant que Messie.
Ambiance …
Mais revenons en Iran, au mois de juin 1967. Ce pays qui, officiellement, entretenait de bonnes relations avec Israël. Mais à mon retour par la route vers Téhéran, en provenance d’Afghanistan, 5 jours après la victoire d’Israël sur les pays arabes qui l’entouraient, le climat de la « rue » iranienne n’était globalement plus le même. Plus la moindre hospitalité envers « l’étranger » que j’étais. Car, selon mes amis intellectuels de Téhéran, les gens étaient paniqués de constater que les Juifs fussent de retour à Jérusalem-Est, après 2000 ans d’absence. Avec toute la symbolique religieuse qu’un tel nœud gordien pouvait renfermer. Le signal de quelque chose ?
J’ai même été lapidé
Les prophéties chiites s’en trouvèrent bouleversées, voire possiblement remises en question. Comme si, de surcroît, le monde entier avait choisi de se retourner contre l’islam. Les Etats-Unis plastronnant en tête d’un tel « complot ». Avec un pouvoir impérial dépassé, en porte-à-faux voire indifférent.
J’ai même été lapidé en bonne et due forme dans un village entre Mashad et Téhéran, par ceux-là même qui m’avaient si bien reçu précédemment ! (lire à ce sujet l’article que j’avais publié sur Infoméduse le 7 février 2022, intitulé « Ce voyage de juin 1967 en Iran – frémissements d’un islam en capacité de réveil »)
Ma conclusion provisoire : même si l’actuel régime des mollahs devait tomber à l’issue de la présente guerre, et qu’un état laïc parvenait à lui succéder, rien ne pourra extirper de la psyché iranienne l’idée selon laquelle la destinée d’Israël reste incompatible, sur le long terme et d’une manière fondamentale, avec la propre espérance eschatologique de cette branche de l’islam (chiisme), en quête de leadership dans un monde musulman à forte majorité sunnite.


Merci pour cette passionnante chronique. La question est de savoir comment et pourquoi au niveau mondial 1,5 milliard de musulmans peuvent se sentir menacés par 15 millions de Juifs, soit un rapport de 1 à 100. Ceci, bien entendu, indépendamment des antagonismes théologiques et religieux.
Cela provient du fait que la « Terre Sainte » est un entonnoir territorial disputé, dans lequel se sont précipités les monothéismes successifs depuis plus de 3000 ans.
Se sentant menacés par un judaïsme dont ont découlé successivement le christianisme puis l’islam, de nombreux musulmans ressentent le besoin, pour s’affirmer in situ en tant qu’ultime « révélation », d’y acter le « meurtre du père ». D’autant plus qu’après 2000 ans d’errance, ledit « père » a prétendu réinstaller un pouvoir temporel sur ses terres bibliques.
Alors que pour les chrétiens le problème ne se pose pas sur le terrain, dès lors que la « vraie Jérusalem » est devenue céleste.
Très intéressant d’expliquer la situation à partir des religions!
Dans notre monde sans dieu (sauf celui de Zoé & Jonathan à Malbuisson), on cherche à tout expliquer par les intérêts économiques !
Tu nous ouvres une autre porte de compréhension, Santo.