Quand Montmartre devient un désastre pour les artistes

Depuis quelques semaines, des terrasses de restaurants couvertes ont croqué la célèbre place du Tertre. Victimes collatérales du sur-tourisme : les artistes doivent survivre dans les quelques recoins qui leur sont encore alloués. Ils font grise mine.

Place du Tertre. Où sont-ils passés, les artistes qui depuis si longtemps avaient l’autorisation de planter leur chevalet au beau milieu de cet espace si convoité?



Yann Le Houelleur, à Paris, texte et photos (*)

Artiste nomade (Paris intra muros) autant qu’observateur des mœurs en pleine révolution, je n’y avais pas mis les pieds depuis au moins cinq ans : la place du Tertre.

Je n’aime pas voir des zoos artistiques, où des caricaturistes et peintres commercialisent leur production sous étroite surveillance, ailes de l’inspiration rognées par la mairie, le fisc et les flics. Tel n’était pas l’état d’esprit des grands maitres de la couleur dont ils sont amenés à prendre la relève. Je plains mes confrères de se prêter à des rôles aussi déplaisants sur la scène du tourisme de masse.

Début juin, après avoir fait, seul dans mon coin, un dessin de la rue Norvins que surplombe le bulbe démesuré de la basilique, j’ai voulu faire un détour par la place avant de dégringoler d’abrupts escaliers. Quelle ne fut pas l’ampleur du choc éprouvé ! Où sont-ils passés, les artistes qui depuis si longtemps avaient l’autorisation de planter leur chevalet au beau milieu de cet espace si convoité?

La Bohème, Au Cadet de la Gascogne, la Mère Catherine, etc. : les restaurants occupant les pittoresques maisons ceignant la place ont déployé des terrasses côte à côte où les touristes s’empiffrent en milieu fermé, ne craignant plus ni larmes de pluie ni fiente de pigeon. D’emblée, lorsqu’on accède à ce lieu défiguré sous la pression des autorités «compétentes», flotte une écœurante odeur de fromage  tout comme  de beurre frit. Contraints d’occuper les bordures de trottoir et les recoins de l’inhospitalière place, artistes et caricaturistes sont ignorés par la grande majorité des touristes soucieux avant tout de satisfaire leur voracité. Le sur-tourisme a tué, d’un coup de fourchette, la liberté d’exposer la moindre inspiration à ciel ouvert. Condamnés à une irrémédiable tristesse, les artistes risquent d’être des crève-la-faim. Les voilà condamnés à tolérer une humiliante situation que plus personne n’entend. Une peintre, les yeux bridés, voix douce malgré la dureté des temps, nous montre du bout de ses doigts souillés de peinture encore fraiche, une pancarte suspendue au rebord d’une fenêtre : «Laissez-nous vivre à Montmartre !»  Et d’ajouter : « La mairie ne veut plus de nous, mais nous ne partirons pas. »

(*) Yann Le Houelleur se consacre à un journal numérique, Franc-Parler, dont cet article est issu.

« La qualité de leur production s’était beaucoup dégradée » 

Observez bien, SVP, cette photo prise à Montmartre.

Cet immeuble s’insère dans la rangée de bâtiments de toute envergure (certains sont des maisons à un étage) encadrant la célèbre place du Tertre.

Deux «détails» peuvent retenir notre attention.

(1) Un portraitiste a dû se contenter d’un bout de trottoir au pied de l’immeuble criblé de volets car ses confrères et lui-même ont été chassés, au début du printemps, du centre de la place où ils avaient pris l’habitude de travailler tout en attirant d’éventuels acheteurs.

(2) Face au lobbying des cafetiers restaurateurs alliés avec les autorités municipales, les artistes de toute évidence ne font guère le poids. Pour protester, ils n’ont eu de solutions autres que d’accrocher sur la façade une banderole proclamant «Laissez-nous vivre à Montmartre».

Mais en réalité, les choses sont plus compliquées que cela. Depuis plusieurs années, la qualité de la production de ces artistes s’était dégradée, ainsi que l’explique Romain Spapperi qui possède un restaurant au pied d’un escalier interminable permettant d’accéder à la basilique du Sacré Cœur : « Des mouvances étrangères ont pris le contrôle des groupes d’artistes qui louent un emplacement sur la place du Tertre, versant diverses taxes, et ils ont installé des peintres issus de leurs communautés respectives qui n’avaient pas la même conception de l’art, ce qui a nui gravement à l’esprit montmartrois. »

De cette époque dorée ne subsistent plus que des portraitistes et caricaturistes tout de noir vêtus et à la barbe blanche (certains portent des chapeaux haut de forme) qui ont un trait de crayon inégalable, en somme d’authentiques représentants de ce qu’il convient d’appeler la vieille école. La plupart des autres artistes, dont certains s’expriment dans un français appauvri et boiteux, ont un talent contestable et très relatif.

Tensions contradictoires

C’est un exemple, à Montmartre, parmi tant d’autres, d’une France traditionnelle qui s’efface à une vitesse accélérée dans des secteurs vulnérables, en présence d’une concurrence étrangère impitoyable.

On touche ainsi au cœur de tensions contradictoires : la France vient de perdre la première place, dont elle était si fière, de première destination touristique en Europe au profit de l’Espagne et l’industrie touristique semble avoir éclipsé l’industrie lourde qui correspond dorénavant à 10 % du PIB alors que ce pourcentage avait été deux fois supérieur il y a seulement quelques années.

Or, la France n’est pas même capable d’offrir de quoi satisfaire les touristes étrangers désireux de s’émerveiller en présence de son prolifique patrimoine culturel, architectural, gastronomique, etc. Les prix affichés par les restaurants et les hôtels sont prohibitifs, le métro de Paris est devenu moyenâgeux, l’insécurité et le laxisme ont fait d’endroits renommés tels que les environs de la Tour Eiffel une cour des miracles. Il y a de la rapine et du vandalisme partout, des grèves peuvent à tout moment surgir dans le ferroviaire et le transport aérien, etc. La France de 2025, épuisée par huit ans d’un macronisme glouton et passablement nihiliste, est un pays décidément très malade, peut-être même en phase terminale.

Yann Le Houelleur

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