En mai dernier l’acteur Gérard Depardieu, 76 ans, condamné à dix-huit mois de prison avec sursis pour agressions sexuelles, a été contraint de verser, outre l’indemnisation du préjudice moral à ses deux victimes, 1 000 euros à chacune, considérant « quelles ont été exposées à une dureté excessive des débats à leur encontre, allant au-delà des contraintes et des désagréments strictement nécessaires ». Le concept de « victimisation secondaire », tout juste introduit dans le droit français, ne peut-il pas inspirer la Suisse ?
Par Ian Hamel*
La justice ne peut pas contraindre un prévenu, soupçonné de vol, d’escroquerie, de viol ou de meurtre de plaider coupable et d’avouer les faits. Il a parfaitement le droit de nier, mais peut-il pour autant continuer à accabler ses victimes ? Lors du procès de Gérard Depardieu, Jérémie Assous, son avocat, n’a cessé de traiter les parties civiles et leurs avocates de « clocharde », « menteuse », mythomane », évoquant leur « rire hystérique ». « Vous êtes abjecte et stupide » a-t-il lancé, « pour moi vous êtes bel et bien quelqu’un qui ment ». Certes, les propos ont été tenus par l’avocat, pas par l’acteur. Mais ce dernier ne l’a pas empêcher de cracher son venin. Il s’est même déclaré « très satisfait de son avocat ».
Gérard Depardieu s’est contenté de protester contre la « vingtaine de folles » qui débarquaient avec des pancartes pour perturber ses spectacles. 2 000 euros, c’est une goutte d’eau pour la star. Mais c’est tout de même lui qui essuie les plâtres avec la notion de « victimisation secondaire » qui vient tout juste d’être introduit dans le droit tricolore. Comme l’explique un avocat parisien dans Le Monde, « la victimisation secondaire désigne les souffrances supplémentaires que subissent certaines victimes, non du fait de l’auteur de l’infraction, mais de la manière dont elles sont traitées par les institutions: auditions répétées, interrogatoires déplacés, propos moralisateurs, absence de prise en compte d’éventuelles vulnérabilités, etc. » (1)
Sept ans pour juger un viol
Cette notion de « victimisation secondaire » figure dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) depuis 2015. En 2021, la Turquie a ainsi été sanctionnée quand une victime de viols a été contrainte de mimer les positions dans lesquelles elle avait été abusée… En clair, le système policier et judiciaire ne doit pas faire souffrir une seconde fois les victimes. Pour l’instant, la « victimisation secondaire » n’existe pas dans la législation suisse. La question est de savoir s’il ne faudrait pas l’introduire au regard de l’affaire Ramadan. Le Tribunal fédéral vient de confirmer sa condamnation à trois ans de prison, dont un an ferme pour viol et contrainte sexuelle. La plainte déposée par la victime remonte à… 2018.
Or, pendant sept ans, le prédicateur n’ a jamais cessé de menacer et d’insulter son accusatrice, appelée « Brigitte ». Dans son livre Devoir de vérité, paru le 11 septembre 2019, non seulement il prétend qu’elle participe à un complot destiné à le faire chuter, et qu’elle a été achetée. « On cite le motif premier de l’argent : des individus l’auraient poussée à agir ainsi contre une importante rétribution », écrit Tariq Ramadan (2). Depuis 2019, les plaintes de la victime pour calomnie et diffamation n’ont toujours pas été instruites par la justice suisse ! Quant au complot qui aurait été fomenté contre Tariq Ramadan, l’arrêt du 22 juillet 2025 du Tribunal fédéral est plus qu’éloquent : « La cour cantonale a également expliqué pourquoi elle écartait la thèse du complot, évoquée dans un premier temps par le recourant et du reste abandonnée en appel »… Entre la première instance et l’appel, Tariq Ramadan a de lui-même retiré la notion de « complot » qu’il savait si peu crédible. En revanche, sur les réseaux sociaux et même sur son site, il continuait à dénoncer le complot international financé, prétendait-il, par les Émirats arabes unis à coup de millions.
Enfin, que penser des magistrats genevois, qui, en première instance, se fiant à une lettre anonyme, ont invité Dieudonné M’Bala M’Bala à proclamer l’innocence de Tariq Ramadan ? Motif ? L’« humoriste » aurait entendu dire par une tierce personne que la victime, loin de parler de viol, aurait prétendu que « Tariq Ramadan, c’était un bon coup ». Non seulement, sans aucune preuve, Dieudonné l’accusait de mentir, mais il laissait entendre que cette mère de famille nombreuse était une « salope ». N’est-ce pas faire souffrir une seconde fois la victime ?
(*) Alexandre Lazarègue, « La notion de victimisation secondaire n’est pas un piège tendu à l’avocat : c’est un garde-fou ».
(2) Page 165.
*Journaliste, écrivain, Ian Hamel est notamment l’auteur de:
– La vérité sur Tariq Ramadan : sa famille, ses réseaux, sa stratégie, Favre, 2007, 364 p.
– Tariq Ramadan : Histoire d’une imposture, Flammarion, 2020, 480 p.