Entre Diego Maradona et le Real de Madrid, un contrat jamais signé et c’est tant mieux pour Napoli!

Madrid le voulait, Dieu avait des autres plans pour lui. Photo©Nadine Crausaz, prise à Naples

Deux immenses figures de l’Argentine, deux étoiles absolues du football mondial, auraient pu écrire ensemble un chapitre inédit au Real Madrid : Alfredo Di Stéfano et Diego Armando Maradona. L’un avait révolutionné le jeu dans les années 50, l’autre incarnait, trente ans plus tard, le génie…

PAR NADINE CRAUSAZ, de Buenos Aires

Le 3 juin 1982, pendant quelques heures volées à la nuit madrilène, ils se retrouvèrent face à face, assis à la table d’un petit restaurant discret, dans le plus absolu secret. Di Stéfano, revenu au Real Madrid comme entraîneur, tendait la main à celui qu’il voyait comme son successeur légitime. Un contrat attendait, prêt à être signé. Le maître et son héritier présumé, le génie d’hier et celui qui allait tout surpasser, étaient à un souffle de sceller leur alliance : l’un sur le banc, l’autre sur la pelouse.

Tout a basculé pour un détail financier, une exigence de trop et une signature qui n’est jamais venue. Cette nuit-là, l’histoire du football a failli s’écrire autrement. À quoi tient un destin ?

Alfredo Di Stéfano reste l’homme qui a posé les bases du football moderne, celui par qui tout a changé. Né en 1926 à Buenos Aires, il grandit dans un football encore très codifié, où chaque joueur devait rester à sa place, où les lignes étaient strictes et les rôles immuables. 

Très tôt, à River Plate, il dépasse sa position, revient chercher le ballon là où personne ne va, organise le jeu depuis l’arrière, avant de conclure lui-même les actions qu’il a lancées. Puis, à Millonarios en Colombie, il s’impose comme un joueur hors norme, impossible à classer, un défi permanent pour toutes les défenses. Chaque équipe qui l’affrontait se retrouvait face à un puzzle qu’elle ne pouvait résoudre.

Alfredo Di Stefano en action. L’Argentin est, avec le Hongrois Laszlo Kubala, le seul joueur à avoir évolué dans trois équipes nationales: Argentine, Colombie, Espagne.

Le point zéro du football moderne 

Quand il rejoint le Real Madrid en 1953, Di Stéfano transforme le club. Sous son impulsion, le Real ne se contente plus de gagner : il domine, il imprime un style, une logique, un rythme à toute l’Europe. Cinq Coupes d’Europe consécutives, un football total avant l’heure, un joueur partout sur le terrain, capable de penser, courir, décider pour l’équipe entière.

Avant l’ère Pelé, Maradona et Messi, où la télévision et les réseaux sociaux ont amplifié la visibilité et la légende des joueurs, Alfredo Di Stéfano était déjà considéré par beaucoup – notamment par ceux qui l’ont vu jouer en direct – comme le plus grand footballeur de tous les temps.

C’est ce regard qui, en 1982, se pose sur un jeune joueur de Boca Juniors : Diego Armando Maradona. À 20 ans, Maradona n’est pas encore la superstar mondiale qu’il deviendra, mais il est déjà un phénomène qui électrise toute l’Argentine. Son arrivée à Boca date de février 1981, après avoir explosé aux yeux de tous dès ses débuts à Argentinos Juniors.

À chaque dribble, chaque accélération, chaque geste, il attire les regards, suscite l’admiration. Les défenseurs sont désarçonnés par son intuition. Les coéquipiers, eux, s’adaptent à son rythme, parfois subjugués, toujours inspirés par ses gestes fulgurants. Chaque ballon touché par Maradona devient un événement, chaque passe un moment suspendu.

Maradona magnétise le ballon, le fait vivre, l’emporte avec lui dans chaque action. Il anticipe, feinte, accélère, change de rythme. 

Dans le même temps, le destin joue ses cartes

Maradona a un précontrat avec Barcelone, mais la situation est compliquée : droits d’image, commissions, conflits juridiques entre clubs, négociations interminables. Pendant que tout piétine en Espagne, les contacts informels entre Madrid et l’entourage de Diego se poursuivent, hors des radars. En mai 1982, Di Stéfano revient au Real Madrid, dix-huit ans après son départ, comme entraîneur cette fois-ci. 

Deux trajectoires immenses se sont frôlées

L’Argentine se trouve en Espagne où elle se prépare pour la Coupe du monde et César Menotti accepte que Maradona se rende à Barcelone le 4 juin pour la signature de son contrat. Madrid n’a donc qu’une seule soirée pour tenter sa chance, celle du 3 juin 1982. Tout est organisé en secret : une voiture vient chercher Maradona et son agent Jorge Cyterszpiler, qui logent non loin du stade Bernabéu. Le rendez-vous est fixé à 21 h dans un petit restaurant discret, l’Asador El Cacique.

À table, cinq hommes seulement : Maradona, Cyterszpiler, Di Stéfano, le président De Carlos et un délégué du Real. Aucun journaliste, aucun mot ne doit filtrer. La discussion est franche. Madrid ne peut suivre les demandes financières de l’agent. Maradona écoute, Di Stéfano argumente, Cyterszpiler pousse. Mais Madrid refuse d’entrer dans cette surenchère.

Quand la réunion se termine, chacun sait que la décision est prise. Les deux Argentins quittent le restaurant par la sortie arrière, la délégation madrilène par l’entrée principale. Maradona reprend la route d’Alicante, épuisé. Quelques heures plus tard, Barcelone acceptera tout ce que Madrid avait refusé, et Diego signera.

(ndlr : son agent Jorge Caterszpiler qui fut le premier de sa carrière, son ami d’enfance, s’est, selon la version officielle, suicidé en 2017 en se défenestrant de son hôtel à Puerto Madero)

Cette nuit du 3 juin 1982 reste un moment suspendu, jamais filmé, jamais raconté publiquement. Di Stéfano était face à celui qui pourrait prolonger son héritage, le joueur capable de transformer le jeu encore plus loin.

Maradona en peinture, un mythe très inspirant. Photo©Nadine Crausaz

Si Maradona avait choisi Madrid, tout aurait changé

L’histoire a chaviré sur un détail, une commission, un chiffre. À quoi tient un destin ? À une signature au bas d’un contrat, un fil ténu, prouvant que parfois, les événements les plus marquants tiennent à la plus petite des exigences. Et c’est là, exactement là, que la vie de Maradona aurait pu basculer, que l’histoire du football mondial aurait pu prendre un autre chemin.

Di Stéfano a tendu la main à son héritier le plus débridé, le plus incontrôlable, et celui-ci a choisi une autre voie.

Peut-être que Madrid n’aurait pas sauvé Maradona de ses déboires. Le chaos faisait partie intégrante de son génie. Peut-être que le cocon madrilène l’aurait étouffé, policé, normalisé. Il aurait tôt ou tard tout fait péter. Le Real l’aurait mis sous cloche. Et le génie se serait éteint doucement, comme une bougie qu’on prive d’oxygène.

Le club du roi et de Franco, l’institution des protocoles aime la rigueur impeccable. Le FC Barcelone incarne la résistance catalane et l’anarchie. Cette nuit-là, c’était exactement ce qui s’était joué autour de la table : d’un côté l’ordre merengue qui pouvait canaliser le génie, de l’autre le chaos blaugrana qui allait finir par engloutir el Pibe de Oro.

Tourbillon chaotique

À Barcelone, Diego sombra dans un tourbillon de fêtes, fréquentant des prostituées et multipliant les excès. Cocaïne et nuits blanches consument peu à peu sa santé fragilisée par une hépatite B aiguë qui l’a cloué au lit pendant trois mois. En septembre 1983, l’agression de Goikoetxea, joueur de l’Athletic Bilbao qui lui a explosé la cheville au cours d’un match de Liga, au stade San Mamés, a marqué le début de la spirale physique. Une carrière catalane qui s’effrite avant même de décoller. À Barcelone, 40 ans plus tard, on n’a visiblement pas retenu la leçon. Avec Lamine Yamal, 18 ans, talent brut, qui souffre déjà de pubalgies à répétition, et dont les frasques extrasportives alimentent les tabloïds et réseaux sociaux en boucle.

Vocation napolitaine :  l’éruption de Saint Maradona

L’histoire du contrat jamais signé avec le Real Madrid et le passage chaotique au FC Barcelone ne sont, en rétrospective, que les étapes préparatoires à un destin plus grandiose. Le génie de Diego Maradona ne pouvait s’épanouir ni dans l’ordre institutionnel, ni dans la rivalité de clubs. Son chemin était tracé pour une vocation unique. C’est à Naples que cette destinée a explosé.

Diego Maradona dans toutes les rues de Naples, pour l’éternité. Photo©Nadine Crausaz

Naples lui a donné ce qu’aucun grand club n’aurait osé : une ville entière qui acceptait ses démons parce qu’elle vivait avec les siens.

Maradona a trouvé une ville qui était son miroir parfait. Naples, la cité méprisée par l’Italie du Nord, visée par les préjugés, tout comme Diego, le génie harcelé, constamment ciblé par les défenses adverses. Maradona est devenu une figure rédemptrice. Il a transformé la marginalisation en force, menant Napoli à deux titres de champion d’Italie et une Coupe de l’UEFA !  

Ni le Real Madrid, ni Barcelone n’étaient faits pour lui. L’un l’aurait policé, l’autre le consumait prématurément. C’est à Naples qu’il a trouvé l’amour inconditionnel et la ferveur religieuse nécessaires à son épanouissement.

Il a atteint un sommet bien plus haut que le Vésuve : il a été déifié. Aujourd’hui, son héritage est celui d’un saint populaire dont la mémoire est vénérée dans chaque ruelle, prouvant que le destin du génie n’est pas de servir les puissants, mais de transcender l’histoire là où on l’attend le moins. 

Et franchement ?

Grazie, Real. Grazie pour ne pas avoir signé!

Tu as sauvé le mythe.

Maradona est un saint païen à Naples, il existe une église maradonienne internationale.
Photo©Nadine Crausaz

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