Mon enfance a été heureuse, et pourtant… Tout d’abord une histoire. Une histoire vraie qui a eu lieu non loin de chez nous durant la Première Guerre mondiale et qui revenait en boucle dans notre entourage. Une femme acculée à une misère noire, avait deux enfants qui criaient leur faim. Elle a mis le feu sous le chaudron, dans lequel elle a jeté quelques pierres, puis, faisant tourner son bâton, s’est mise a mimer les gestes de préparation d’un repas. Les enfants attendaient, ils y croyaient, mais le temps passant, ils finirent par s’endormir et la mère avec eux.
Pour revenir à la mienne, de mère, et à mon enfance, cette dernière ne fut pas vraiment affamée, mais sans sucre. Le sucre, inconnu au bataillon ! Pas l’ombre d’un bonbon et bien sûr pas l’ombre d’un chocolat. Nous, les enfants, réclamions du sucre dans notre thé, mais il n’en arrivait jamais. Et pour cause. Ma mère, le cœur brisé, feignait d’aller fouiller dans l’armoire… Nous espérions, nous espérions en vain. Cette image est l’une de celles parmi d’autres qui surgissent quand je pense à ma mère. Est-ce un rêve? Est-ce mon imagination ? Elle tient d’une main le feu qui chauffera ce que nous allons manger, et de l’autre serre avec amour quelques morceaux de sucre.
Cette chronique contient des nouvelles, aphorismes, histoires vraies et autres récits écrits en kirghize entre l’âge de 15 et 35 ans sous la forme d’un journal par le journaliste et écrivain Zhenishbek Edigeev. Un premier tome des “Cahiers bleus” a été publié en 2022.


