Scandale dans le football argentin: perquisitions massives, soupçons de blanchiment d’argent et d’évasion fiscale à grande échelle


PAR NADINE CRAUSAZ, de Buenos Aires

La semaine dernière, Infoméduse vous annonçait en exclusivité que le football argentin avait définitivement perdu la boule. Confirmation depuis hier ! La nation championne du monde a vécu une journée historique, et pas dans le bon sens du terme. L’Association du football argentin (AFA) a été la cible d’une trentaine de perquisitions simultanées. Les sièges de l’AFA à Buenos Aires et Ezeiza, les bureaux de la Liga Profesional de Fútbol, ainsi que 17 clubs de toutes divisions ont été investis dès 8 heures du matin par des dizaines d’agents de la Police fédérale et de l’Agence de Recaudation y Control Aduanero (ARCA). 

Le berceau de Di Stéfano, Maradona, Kempes et Messi traverse aujourd’hui la crise institutionnelle la plus grave de son histoire. À 183 jours de la Coupe du monde 2026, l’image de l’Albiceleste risque d’en sortir durablement abîmée.

Le football argentin vit des jours bien sombres.

Ordinateurs, serveurs, téléphones portables, coffres-forts, contrats de sponsoring et comptabilités ont été saisis. L’opération fait suite à une plainte déposée le mois dernier par l’ARCA, qui a détecté des mouvements financiers suspects pour un montant de 818 milliards de pesos, soit plus de 500 millions d’euros.

Les 17 clubs perquisitionnés sont : Independiente, Racing Club, San Lorenzo, Banfield, Barracas Central (club historique de Claudio Tapia), Argentinos Juniors, Platense, Deportivo Morón, Excursionistas, Los Andes, Deportivo Armenio, Acassuso, Brown de Adrogué, Chacarita Juniors, Estudiantes de Caseros, Villa Dálmine et Colegiales. Ils couvrent toutes les divisions, de la première à la B Metropolitana, ce qui illustre l’ampleur du réseau présumé. Les perquisitions ont visé non seulement les sièges et stades, mais aussi des domiciles privés de dirigeants. 

Au coeur des investigations figure la société Sur Finanzas SA, dirigée par Ariel Vallejo, un proche du président de l’AFA, Claudio « Chiqui » Tapia. Sponsor officiel de la sélection nationale en 2024, de la Liga Profesional et de nombreux clubs, l’entreprise est soupçonnée d’avoir servi de véhicule à un réseau structuré de blanchiment d’argent. Les magistrats explorent trois hypothèses principales quant à l’origine des fonds : corruption publique, revenus issus de jeux et paris clandestins, ou narcotrafic. 

Plus fort que Grondona !

C’est, et de très loin, le plus grand séisme qu’ait connu l’AFA depuis sa création – un chaos qui relègue au rang d’anecdotes les innombrables scandales des trente-cinq années de Julio Grondona, pourtant couronnées par son rôle de premier plan dans le FIFAgate.

« Chiqui » Tapia, ancien balayeur, passé par le puissant syndicat des camionneurs grâce à son beau-père Hugo Moyano, dirige l’AFA depuis 2017. Son enrichissement personnel suscite également beaucoup d’interrogations : plusieurs propriétés dont un domaine de 105 000 m² à Pilar doté d’un haras et d’un héliport, flotte de voitures de luxe, rénovation fastueuse du stade de Barracas Central (rebaptisé en son honneur).

Page d’accueil de l’AFA, le site du champion du monde.
Photo Nadine Crausaz

Les arbitres s’en mêlent

Le communiqué publié par la SADRA, sous le titre « Nous ne sommes pas seuls » tombe à pic. Le syndicat des arbitres argentins y réaffirme que, depuis sept ans, il alerte sur des anomalies dans le processus de désignation, des manipulations de résultats et des pressions exercées sur les directeurs de jeu. L’ex-arbitre vedette Javier Castrilli, devenu commentateur, pointe du doigt une « mafia » qui dicte les décisions depuis les bureaux de l’AFA.

Sur le plan politique, les relations sont plus que tendues avec le gouvernement libertarien de Javier Milei, qui voit en Tapia un symbole du péronisme syndical et pousse à la privatisation des clubs. Tapia avait ouvertement soutenu Sergio Massa – le candidat kirchnériste, battu par Milei en 2023.

Autre coup particulièrement humiliant pour l’image de l’AFA : le 5 décembre, le ministère de Capital Humano lui a intimé l’ordre de cesser immédiatement toute publicité pour son « Université » (UnAFA), lancée en grande pompe en novembre, mais totalement dépourvue d’habilitation légale. En Argentine, comme dans la plupart des pays, le titre d’université est strictement réservé aux établissements accrédités par l’État.

Soutien de la FIFA pour combien de temps ?

Claudio Tapia conserve (encore) le soutien indéfectible de la FIFA : il y a deux mois, elle l’avait nommé président de la Commission des Règles de Jeu, l’un des postes les plus influents de l’instance mondiale. Fin novembre, Gianni Infantino l’a félicité pour sa réélection au Conseil FIFA au nom de la CONMEBOL (fédération sud américaine). Le président de l’AFA se trouvait encore aux États-Unis au moment des perquisitions. Après avoir assisté au tirage au sort des groupes de la Coupe du monde 2026 à Washington (où il a obtenu un selfie avec Gianni Infantino, mais pas avec Donald Trump), il s’est ensuite rendu à Mar-a-Lago, la propriété de Trump, pour un hommage à Charlie Kirk. Là non plus, il n’a pas obtenu la photo souhaitée. La semaine précédente, à Miami, Lionel Messi avait soigneusement évité tout contact avec lui.

Aussi dans le collimateur

Pablo Toviggino, trésorier de l’AFA et bras droit de Claudio « Chiqui » Tapia, est considéré comme le véritable « super-ministre » du football argentin. Il contrôle le Consejo Federal (plus de 220 ligues et 3 500 clubs de l’intérieur), la direction des arbitres, le Tribunal de Discipline, les calendriers et les sanctions. Ce cumul de pouvoirs lui donne une influence énorme, notamment sur l’arbitrage, où il est régulièrement accusé d’intervenir en faveur de certains clubs. Personnage polémique, connu pour ses réponses agressives sur les réseaux sociaux, il est aussi visé par les enquêtes pour enrichissement illicite et blanchiment. Indispensable à Tapia, Toviggino incarne le pouvoir occulte et les zones grises de l’AFA actuelle. Sa croissance patrimoniale est aussi fulgurante que celle de Tapia. 

Le président de l’AFA a assisté au tirage au sort des groupes de la Coupe du monde 2026 à Washington.
Photo capture d’écran, 10 décembre 2025, 6h48

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