PAR PIERRE ROCHAT
Sous maints aspects, le Japon présente des similitudes avec la Suisse, toutes proportions gardées toutefois. C’est surtout dans les structures démographiques des deux pays que le parallèle est saisissant. On retrouve les mêmes caractéristiques de natalité en baisse et d’espérance de vie élevée. Le Japon est en avance toutefois dans ce processus démographique car ce pays ne connait pas d’immigration, contrairement à la Suisse qui freine le phénomène en important une partie de sa jeune classe travailleuse.
En ce sens, le Japon est un laboratoire qui nous montre les effets de la « Population Crunch ». Sa population était de 123 millions en 2024, en baisse de 800’000 personnes en une année.
Vers une inflation généralisée
La perte de population entraine une raréfaction des forces de travail. Sur cette trajectoire, on comptera bientôt un travailleur pour un retraité. Ceci aura deux conséquences : d’abord les pensions issues du système de répartition ne pourront plus être servies par manque de cotisants et ensuite les salaires augmenteront par pénurie de main d’œuvre, mais sans que la production n’augmente. En 2024, les hausses de salaires ont dû être consenties à hauteur de 5,1% précédées d’une hausse de 3,6% en 2023, des chiffres jamais vus depuis 1990. C’est bien plus que la croissance du PIB.
On s’achemine vers une inflation généralisée par les salaires et aggravée si l’Etat compense la baisse des retraites, ce qui semble politiquement inévitable. Cette inflation conduira la Banque du Japon à augmenter ses taux d’intérêts. Avec un endettement alarmant de 2,3 fois le PIB, le service de la dette absorbera dans ces circonstances une part de plus en plus substantielle des ressources de l’Etat, créant une source d’instabilité pour les marchés financiers devenus circonspects sur les obligations nippones.
Le Japon a depuis longtemps pallié son manque de main-d’œuvre en délocalisant des usines hors du pays, mais maintenant seuls restent les gains de productivité pour endiguer cette inflation. Le Japon devra recourir massivement à l’automation, à la robotisation et à l’intelligence artificielle afin qu’une heure de travail engendre un multiple de la production actuelle.
Souveraineté de la Suisse mise au défi
La Suisse n’en est pas là, heureusement. L’immigration régule pour l’instant la dénatalité. La classe active permet une production qui couvre la demande, ce qui maintient l’inflation basse et ainsi les taux d’intérêts. Le service de la dette du pays reste marginal.
Mais la Suisse ne peut pas se reposer sur ses lauriers. Les pensions du système par répartition (AVS) ne sont déjà plus pérennisées. Comme au Japon, les gains de productivité seront indispensables si le pays veut maintenir sa croissance et son filet social. L’immigration seule ne suffira plus à un certain stade.
La souveraineté de la Suisse -qu’il ne suffit pas de décréter- est mise au défi par sa dépendance à la main d’œuvre étrangère, aux importations de nourriture (50% des besoins), à l’énergie importée (70% des besoins), à l’étroitesse de son territoire habitable et enfin à sa capacité de défendre ses frontières avec une armée réduite pour cause de budget à 140’000 soldats aujourd’hui, contre 600’000 en 1970.
Un coup d’œil du côté du soleil levant ne peut que faire prendre conscience à la Suisse, mais aussi à l’Europe tout entière, de la spirale économique descendante qu’entraîne une perte de population.