Le Pape François  a visité 71 pays… mais jamais le sien (2/3) – Scandales emblématiques en Argentine

PAR NADINE CRAUSAZ

En mai 2019, le pape François promulgue Vos estis lux mundi, un motu proprio (lettre apostolique émise par le pape de sa propre initiative) destiné à instaurer une tolérance zéro contre les abus sexuels dans l’Église (lire aussi le premier volet de notre série). Le texte impose à tous les clercs, y compris aux évêques et cardinaux, l’obligation de signaler immédiatement tout abus sur mineur ou personne vulnérable, de coopérer avec les enquêtes et de protéger les victimes, tout en définissant des procédures strictes pour enquêter sur les évêques et garantir la transmission des informations aux dicastères compétents.

Pourtant, dans le même temps, François agit de manière contraire à ces principes : il commande une enquête interne pour tenter de blanchir Julio César Grassi, prêtre médiatique condamné pour abus sur enfants, et exfiltre l’évêque Gustavo Zanchetta à Rome, malgré les accusations graves pesant contre lui, démontrant une dissonance frappante entre ses réformes et sa pratique personnelle.

Affaire Julio César Grassi : le feu aux poudres

Le père Julio César Grassi, ancien salésien devenu prêtre en 1991, a créé en 1993 la Fondation Les Enfants Heureux pour des centaines d’enfants les plus démunis. En 2000, une plainte anonyme l’accuse de corruption de mineurs, mais l’affaire ne fut relancée qu’en 2002 après un reportage télévisé détaillant des abus présumés sur plusieurs garçons âgés de 11 à 17 ans.

Le prêtre Grassi condamné pour divers abus sexuels et longtemps protégé par le Pape François alors archevêque de Buenos Aires. Photo fournie par la Red

 Grassi est alors arrêté et inculpé. Son procès, l’un des plus longs d’Argentine, se déroula entre 2008 et 2009. Il est reconnu coupable d’abus sexuel aggravé et de corruption de mineurs sur un jeune nommé « Gabriel » et condamné à 15 ans de prison, mais resta libre pendant plusieurs années grâce à des décisions de justice successives permettant son maintien en liberté durant les appels. 

En 2016, il est condamné à deux années supplémentaires pour avoir utilisé les fonds de sa fondation à des fins personnelles. En 2017, la Cour suprême d’Argentine confirma sa condamnation initiale de 15 ans.

Concernant Jorge Bergoglio, alors archevêque de Buenos Aires, Grassi affirme avoir son soutien. Après la condamnation de Grassi en juin 2009, Bergoglio autorisa secrètement une vaste contre-enquête critique sur le dossier pénal de Grassi et sur les trois plaignants initiaux. En sa qualité de président de la Conférence épiscopale argentine, Bergoglio approuva l’engagement d’un grand pénaliste, Marcelo Sancinetti, pour réaliser cette enquête privée de 2 500 pages… Cette initiative, révélée en 2011, fut dénoncée comme une tentative de pression sur la justice.

Gustavo Óscar Zanchetta : un autre proche du pape rattrapé par la justice

Nommé évêque d’Orán en 2013 par le pape François lui-même, Gustavo Zanchetta, de l’ordre des capucins, est accusé d’abus sur séminaristes. Après avoir démissionné en 2017 pour raisons de santé, il est exfiltré à Rome où il est nommé assesseur à l’Administration du Patrimoine du Siège Apostolique (APSA), le puissant organisme qui gère l’immobilier et les actifs financiers du Vatican.

L’ancien Evêque Zanchetta, condamné pour abus et exfiltré à Rome. Photo mise à disposition par la Red des survivants des abus

En 2022, il est condamné en Argentine à quatre ans et demi de prison pour abus sexuels aggravés sur deux séminaristes (peine confirmée en appel en 2025). Il obtient l’assignation à résidence. En juin 2025, il revient en Argentine et est supposé résider au couvent du diocèse d’Orán pour purger le reste de sa peine sous contrôle judiciaire. Ce n’est pas certain qu’il s’y trouve en ce moment… Canoniquement, il reste évêque émérite, mais sans fonction.

Institut Antonio Provolo

Entre 2004 et 2016, au moins 30 enfants sourds-muets sont victimes d’abus sexuels graves commis par des prêtres italiens transférés en Argentine malgré des graves antécédents connus à Vérone dès les années 1970. Le principal accusé, Nicola Corradi (arrivé en Argentine en 1984), dirigeait l’institut de Mendoza. Des victimes italiennes avaient alerté le Vatican dès 2009 et 2014, sans réponse . Corradi et Horacio Corbacho sont condamnés en 2019 à 42 ans de prison chacun; un employé laïc, Armando Gómez, écope de 45 ans.

Un contexte élargi : la liste des 62 prêtres dénoncés

En 2017, une enquête a révélé qu’au moins 62 prêtres et 3 religieuses ont été dénoncés pour abus sexuels en Argentine entre 2002 et 2017. Très peu ont été sanctionnés, confirmant ce système où les abus étaient souvent tus ou minimisés.

Une contradiction frappante

Les affaires Grassi et Zanchetta, l’institut Provolo, ainsi que la liste des 62 prêtres, mettent en lumière une contradiction saisissante qui reste au centre des débats sur la responsabilité et l’héritage de François dans la lutte contre les abus au sein de l’Église. 

Prochain article: Des ombres qui ne s’effaceront pas!

Sur les réseaux, Red de Sobrevivientes de Abusos Eclesiásticos est devenue la principale force d’accompagnement et de pression contre les violences sexuelles commises par des prêtres. Capture d’écran

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