Pourquoi les Français se parlent-il si mal ?

PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris

L’Hexagone est au bord de l’explosion. Chaque jour apporte son lot de déceptions et de menaces supplémentaires. Les frustrations qui s’accumulent provoquent des torrents de colère en passe, à tout moment, de susciter des drames. 

Une scène résumant à elle seule l’intensité des tensions qui électrisent la société française s’est produit au pied d’une statue incarnant Marianne, surplombant la place de la République (notre photo©2025 Yann Le Houelleur). Elle en a vu des évènements, petits et grands, depuis son inauguration en 1883 ! Au cours de l’après-midi du 22 novembre s’est déroulé un rassemblement censé réunir des associations luttant contre les violences infligées aux femmes. (Ces violences sont appelée « féminicides »). Parmi les pancartes brandies par les participants, cet avertissement :

Une  femme tue un homme tous les 2,5 jours en France.


Revenons à la scène annoncée ci-avant : un homme âgé, au dos vouté, éructait des inepties en recourant à un mégaphone :

Sarkozy, espèce d’enc(…), tu dois retourner en prison. 

Allusion aux 21 jours que l’ancien président de la République a passés dans la prison de la Santé, reclus dans une cellule de neuf mètres carrés. Toutes les deux minutes, ce papy provocateur répétait son discours. Soudain, un groupe de femmes, déchainées, se sont approchées de lui. La plus agressive, la chevelure emballée dans un voile, a dégainé ces paroles :

Ca suffit, tu te casses maintenant. On n’en a rien à foutre de ton Sarkozy. T’es venu pour gâcher notre manif !

En réalité, elles étaient une dizaine de femmes à déployer une immense banderole sur laquelle apparaissaient les mots suivants :

Libérez les femmes de Palestine. Stop au génocide. Levée du blocus.

Le « sarkozinophobe » a vite détalé. Juste après, des hommes costauds ont entouré un inconnu qui avait balayé les environs avec son appareil photo. « Tu travailles pour qui ? » « T’a pas le droit de photographier des visages sans demander la permission. » (etc.)

Les femmes iraniennes oubliées

Ne prenant pas de gant, ces types remontés comme des coucous l’ont soupçonné d’appartenir à la fachosphère et ils ne l’ont pas lâché. Des photos, il y en avait plein à faire sur cette place devenue une salade russe de rassemblements et de revendications sous prétexte de combattre les féminicides. Notons que la plupart des associations dédiées à ce combat ne se préoccupent jamais des souffrances immondes infligées par les gardiens de la révolution aux femmes qui veulent se délester de leur voile. Nombre d’entre elles ont payé de leur vie ces écarts de conduite.

Ce samedi-là, les visiteurs débarquant sur l’une des places les plus effervescentes de Paris pouvaient se faire une idée de l’énervement qui s’est emparé de la société française, débouchant tantôt sur des explosions de colères tantôt sur des moments festifs plutôt excessifs. A une extrémité de la place une centaine de bipèdes obéissaient aux consignes données par un orateur qui s’en prenait à Bernard Arnault, la plus monumentale de France à la tête d’un empire du luxe (LVMH) et depuis peu des médias. En France, tout un pan de la gauche considère que la richesse est indécente et il lui faut désigner des boucs émissaires, ce qui lui permet d’évacuer une indéniable vérité : la création de richesses est garante de l’indispensable création d’emploi. L’artiste que je suis devenu, par la force des choses, ne vend pas en principe de dessins à des personnes dépourvues d’avoine. C’est la raison pour laquelle je ne saurais m’associer à ceux qui jalousent les entrepreneurs, petits ou grands.

La petite foule massée au pied de l’estrade où officiait l’orateur hystérique était priée, par lui, de gesticuler sur un fond de musique mi funk mi rock. Chaque fois qu’était prononcés ces mots, « Taxer Arnault ! », les participants pliaient les jambes, les fesses effleurant le bitume, et quand ils se relevaient l’orateur annonçait un chiffre qui signifiait une ascension imaginaire des cours de la bourse.

Paris, le Pont-Neuf. Dessin de Yann Le Houelleur



Toujours plus de violence(s)

Chaque jour que Dieu fait, les Français entendent dire, tout au moins s’ils assistent à des émissions diffusées par des chaînes plus lucides que d’autres, à quel point leur pays a drastiquement changé en quelques années.  Résultant en grande partie de l’arrivée sur le territoire national de personnes issues d’autres cultures, cette évolution de la société ne se vérifie pas seulement en s’apercevant que beaucoup de visages ont pris des couleurs. Ce qui est le plus frappant, et même le plus choquant, c’est de voir à quel point les gens se parlent de plus en plus mal et qu’en toile de fond se dessine une agressivité susceptible de déboucher sur les pires conflits. La société française est en train de vaciller sous les coups de boutoir des menaces qui se précisent sur tant de fronts à la fois. Année après année, les statistiques les plus diverses s’affolent. Toujours davantage de féminicides, toujours plus d’agressions, d’homicides, toujours plus de cambriolages, tandis que les chiffres du chômage empirent et que les faillites d’entreprises se multiplient à vue d’œil. Quant aux services publics, ils se dégradent à un rythme accéléré, que ce soit les hôpitaux, les chemins de fer ou des administrations saturées de demandes.

A bout de souffle

La société serait-elle atteinte d’un venin, celui de la méchanceté ? Lorsqu’on évoque cette explosion des maltraitances, il faut bien se plaindre, à un moment donné, de l’augmentation vertigineuse des burn-out dans tous les secteurs, le public autant que le privé. Dans une ville de la banlieue parisienne, Nadège se remet d’une dépression à la suite d’un stress au travail devenu intolérable. Elle travaillait en qualité d’aide ménagère dans un hôpital psychiatrique.

On me demandait de nettoyer dix-sept chambres en l’espace de deux heures. Et la cadre sous les ordres de laquelle je me trouvais caressait de ses doigts certaines portes pour s’assurer que j’avais bien fait mon boulot.

Atteinte de surcroit d’un handicap, cette femme ne pourra plus reprendre son travail, percevant pour l’instant des allocations chômage. » Dans une autre ville attenante à Paris, Blandine procure des massages à des personnes en quête de mieux-être. Elle gagne la confiance de personnes découvrant ses compétences de sophrologue grâce au bouche à oreille et à un website attrayant. Parmi ses patients : de nombreux personnes ébranlées par… un burn out.

Pourquoi donc les gens se parlent-ils de plus en plus mal, sont-ils prêts à en découdre avec le premier venu coupable de les avoir contrariés ? Pourquoi cette violence, ce manque de respect qui se répand partout telle une trainée de poudre ? Blandine a son idée…

Dans une société de plus en plus marquée par la compétitivité et l’individualisme, beaucoup de personnes se sentent trop seules pour gérer leurs souffrances. Elles n’ont pas le temps, ou  ne le prennent pas, pour faire une pause afin de se poser les bonnes questions. Les pressions, les déceptions qu’elles accumulent font qu’elles accumulent de la frustration qu’il leur faut extérioriser… 

En d’autres termes, elles doivent se purger, ce qui peut donner lieu à des comportements imprévisibles et s’apparentant à des incivilités.

Ecroulement de la popularité

Un élément incontournable dans cette quête, si peu exhaustive, des raisons pour lesquelles la France accuse une telle baisse de moral. Depuis plusieurs années, un homme dont le narcissisme ne fait plus aucun doute met la France sous pression, certaines de ses allocutions laissant transpirer un fort mépris pour ses compatriotes. Impossible, huit ans après qu’ils aient été prononcés, d’oublier ces propos prononcés par Emmanuel Macron :

Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien. Parce que c’est un lieu où on passe. Parce que c’est un lieu qu’on partage.

Depuis, il y a eu le Covid, les Gilets jaunes et une flopée de maladresses et de scandales qui ont fâché et énervé une majorité de Français. Après l’une des erreurs majeures commises par lui, la dissolution de l’Assemblée nationale à l’aube des grandes vacances en 2024, sa cote de popularité n’a cessé de se tasser : moins de 10 % le voient d’un bon œil. Si tant de gens sont allergiques au « macronisme », c’est parce qu’ils lui reprochent de recourir à la peur pour se maintenir au pouvoir et de se comporter tel un guerrier en maintes circonstances, multipliant les inimitiés sur la scène internationale comme dans son propre pays. « Nous sommes en guerre ! » avait-il tonné lors de la pandémie. La guerre, Emmanuel Macron en parle souvent quand il est question de la situation sur le front ukrainien, et de manière inquiétante puisqu’à plusieurs reprises il a laissé entendre que la France pourrait la mener, en coopération avec plusieurs partenaires européens, contre une Russie désignée comme le plus grand danger pour la démocratie sur le continent

« Accepter de perdre nos enfants »

.
Récemment, le chef d’Etat major des Armées, le général Fabien Mandon, a profité du congrès des maires de France à Paris pour faire passer un message qui, à n’en point douter, lui avait été suggéré par le chef suprême des Armées, en l’occurrence le président de la République.

Nous avons tout pour dissuader Moscou. Ce qui nous manque c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal pour défendre la Nation. Il faut accepter de perdre nos enfants, de souffrir économiquement. Si nous ne sommes pas prêts à cela, alors nous sommes en risque. Il faut en parler dans vos communes.


De tels propos ont scandalisé l’opinion publique et des pans entiers de la classe politique. L’un de ceux qui a réagi avec véhémence est Philippe de Villiers, un ex-député comptant parmi les contempteurs les plus féroces du président Macron, opposé à la dissolution de la France dans l’Europe et très en colère contre la vague d’immigration déferlant sur le continent.

Comment oser nous dire que notre force d’âme est en Ukraine alors que nous en sommes en guerre dans notre pays ?

a réagi Philippe de Villiers dans une émission hebdomadaire sur la chaine conservatrice CNews. Ainsi que l’a ajouté cet auteur de plusieurs livres à succès, plusieurs « enfants de la France » sont morts ces dernières années, nombre d’entre eux à cause de la croissance insolente d’une industrie très particulière : le narcotrafic, dont le chiffre d’affaires atteindrait désormais dix milliards d’euros annuels. A cause aussi d’un fléau qui semble devenu tout aussi incontrôlable : l’islamisme radical. Une semaine auparavant, au pied de la statue de la Liberté, des gerbes de fleurs, par centaines, avaient été déposées par des Français le cœur encore ravagé par les 130 morts qu’avaient produits les attentats survenus le 13 novembre 2015.

Marianne, surplombant la place de la République. Elle en a vu des évènements, petits et grands, depuis son inauguration en 1883 !
Dessin de Yann Le Houelleur

Tags: , , , , ,

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Le commentaire apporte une valeur ajoutée au débat dans le respect de son interlocuteur, tout en avançant des arguments solides et étayés. infoméduse renonce à publier des commentaires sans argumentation véritable, contenant des termes désobligeants, jugements de valeur et autres attaques personnelles visant des auteurs.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.