Némésis et la menace économique


Némésis est la déesse grecque de la vengeance. Elle a été évoquée par Ivan Illich dans un ouvrage intitulé “Némésis médicale” (Seuil 1975) dans lequel il met en évidence que l’entreprise médicale menace la santé. Le problème que symbolise Némésis est que trop de quelque chose tue la chose. Les exemples ne manquent pas: trop de trafic tue le trafic, trop d’information tue l’information, un développement excessif de l’entreprise médicale menace la santé, un excès de construction détruit l’habitat, une consommation excessive d’énergie détruit la planète, le surarmement mène à l’autodestruction, le pullulement humain détruit l’humanité… et trop de croissance économique va tuer l’économie et la biosphère avec elle. Car un cancer ne survit pas au substrat sur lequel il se développe.

“L’économie… est une construction de l’esprit, à la fois changeante et révocable, dont on pourrait se demander ce qui l’autorise à gouverner le monde si elle ne servait pas d’abord à légitimer le pouvoir et la richesse de ceux qui s’en réclament” (Gilbert Rist, “Du développement à la critique de l’économie”, Luttes au pied de la lettre, Editions d’en Bas, 2006). C’est probablement pourquoi elle s’est développée en ignorant totalement le problème de la Némésis. A telle enseigne qu’elle est tributaire de la croissance pour son fonctionnement. Telle que conçue aujourd’hui, l’économie a besoin de la croissance, ne serait-ce déjà qu’à cause de l’intérêt sur le capital, et doit donc ignorer, ou faire semblant d’ignorer, que nous vivons dans un monde fini. Elle va donc aller dans le mur. Cornélius Castoriadis l’avait exprimé clairement: “La société capitaliste est une société qui court à l’abîme, à tous points de vue, car elle ne sait pas s’autolimiter” (“Stopper la montée de l’insignifiance”, “Le Monde Diplomatique”, août 1998).

Mais contre vents et marées les pouvoirs politiques et économiques ne jurent que par la productivité et la croissance économique. A droite pour enrichir encore davantage les nantis, à gauche pour augmenter emplois et salaires. On se chicane sur la manière de partager les “fruits” de la croissance, mais la croissance elle-même n’est jamais remise en question et on ne voit pas que ses fruits sont en train de pourrir. Les signaux sont pourtant clairs. Le fossé entre riches et pauvres s’est élargi au point que la société est devenue instable, que la violence augmente, que des bulles financières éclatent, que l’Etat devient de plus en plus policier. La vie sur la Terre est menacée par le changement climatique, par la pollution de l’air, de l’eau et des sols, par la radioactivité due au nucléaire, par les OGM. Et ces problèmes se renforcent mutuellement. Le délabrement de la société dû à l’économie provoque des violences, voire du terrorisme, que l’on prétend contrer avec encore plus de violence au point que les plus dangereux terroristes sont aujourd’hui les Etats-Unis de George W. Bush. Car ils détruisent effectivement la planète.

On ne résoud par un problème en utilisant les méthodes qui l’ont provoqué.

Tags: , , , , , ,

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.