«Pour Sarko, la Libye est un coup»


Ethnologue et journaliste suisse, spécialiste de l’Afrique, GillesLabarthe signe un essai d’investigation* destiné à lever le voile sur le rôle joué par les principaux mentors politiques et financiers de Nicolas Sarkozy dans la politique africaine de la France. Un ouvrage qui tombe à pic, à l’heure de l’intervention militaire française en Libye.

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Nicolas Sarkozy, écrivez-vous, «n’a pas l’Afrique dans sa peau». Le président français limite ses déplacements dans le continent noir car il souffre de la chaleur, il est facilement irritable face à ses interlocuteurs. Comment expliquer dès lors qu’il soit «Sarko l’Africain»?

Gilles Labarthe: Le titre est légèrement provocateur mais il reste un fait incontestable: Sarkozy a compris très tôt qu’il avait besoin de l’adoubement de certains dirigeants africains pour assurer sa carrière politique. Le jeu est périlleux car l’Afrique est un continent à scandales. Sarkozy a vite été pris dans un lacis d’obligations. Il prône une politique étrangère de rupture mais en réalité il fait tout le contraire. La continuité est remarquable pour les anciennes colonies françaises.

Une continuité qui se mesure notamment à la fidélité qui le lie au clan du président gabonais Bongo.

On assiste en effet à une sorte de colonialisme à l’envers. La présidence française a été la marotte de feu Omar Bongo. Ce dernier a anticipé le parcours politique de Sarkozy…

… grâce aussi aux relais francs-maçons…

C’est un fait que le premier mentor de Sarkozy, ancien chef de réseaux secrets pendant la Résistance, Achille Peretti, faisait partie de la Loge de Neuilly. La relation que la France entretient avec l’Afrique est bâtie sur le secret. On navigue dans l’arrière-cour de l’ex-empire colonial. Et dans ce cadre, l’Elysée garde la haute main sur les dossiers africains les plus importants. Ce n’est pas pour rien que l’on disait de Bernard Kouchner qu’il était le «ministre étranger aux affaires». Ce n’est pas pour rien non plus qu’Alain Juppé a été mis sur la touche par Bernard-Henri Lévy, au début de l’affaire libyenne.

La Libye, parlons-en. A la fin du livre, vous dressez un constat d’échec pour la politique africaine de Sarkozy dont vous critiquez le manque de cohérence et de vision. Pourtant l’invervention militaire contre Kadhafi a plutôt l’air de le relancer.

La guerre contre la Libye est typique du personnage. Sarkozy est un impulsif qui ne pense pas au lendemain et réagit au pif. Il l’a avoué lui-même, la Libye est un coup comme l’était l’affaire des infirmières bulgares ou la promesse de vente de réacteurs nucléaires à l’Afrique du Sud. La raison première de son intervention en Libye est de faire oublier les affaires intérieures, qui vont très mal en France, avec la débandade de l’UMP, son parti, et de contrer la montée du Front national.

N’y a-t-il pas aussi de forts intérêts économiques? En 2007, Sarkozy avait essayé de refiler sa technologie nucléaire à Kadhafi, sans trop de succès, apparemment.

Sarkozy s’est fait humilier par Kadhafi lors de la venue de ce dernier la même année à Paris. Le dictateur libyen savait parfaitement que le but unique du président français était de faire avancer les contrats, de lui vendre de l’armement et la technologie du groupe Areva. De fait, le contrat ne s’est jamais concrétisé, Kadhafi ayant préféré la technologie russe. L’enjeu énergétique est très clair car nous ne sommes plus dans le climat de la guerre froide où la concurrence n’existait pas. Sarkozy est l’ambassadeur d’Areva en Afrique. Pour conquérir l’uranium du Niger, il a dû mouiller sa chemise.

Une autre thèse du livre tourne autour des commanditaires de cette politique africaine au service des grands groupes énergétiques français. Le temps où Elf était le bras armé de l’Etat français est révolu. Aujourd’hui, le groupe pétrolier a été absorbé par Total. On assiste donc à un passage des intérêts de l’Etat dans les mains de privés, avec un réseau de personnes liées au président. Ce virage au privé limite encore plus tout débat parlementaire sur la politique africaine de la France, ce qui est inquiétant.

Et si l’enjeu était tout simplement de mettre la main sur le pétrole et le gaz libyens?

C’est possible mais il faut surtout se demander quelle est la marge de manœuvre véritable de Sarkozy. Je redoute plutôt une exploitation de la situation par des réseaux incontrôlables comme AQMI, l’émanation maghrébine d’al-Qaïda, dans les mains desquels des lots de munition atterrissent déjà. Ces organisations risquent de sortir renforcées du conflit. I

* «Sarko l’Africain», par Gilles Labarthe, Hugo & Cie, 2011.

Interview parue dans “La Liberté” du 31 mars 2011

 

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