Secret bancaire, thank you, la Suisse!


Ils ne manquent pas d’air, ces Américains. Non contents d’avoir fait éclater, à coups de missiles, l’armature bétonnée des coffres des banques suisses, les voilà qui concurrencent ces dernières sur leur propre terrain. Plusieurs banques américaines, nous apprenait la «Tribune de Genève» il y a quelques jours, ont de grands projets dans la région lémanique. Des centaines de gestionnaires de fortune comptent s’installer à Genève avec l’objectif clairement avoué de damer le pion aux établissements de l’endroit.
L’intérêt des banques américaines pour Genève est-il lié à la présence d’une importante communauté d’expatriés américains dans la région lémanique? Jadis choyée, cette clientèle est aujourd’hui ostracisée par les banques suisses et erre à la recherche d’un havre financier. Pourtant ce n’est pas elle que cherchent à draguer les J.P. Morgan, Morgan Stanley et autres Merrill Lynch. Ces ténors ne veulent pas d’ennuis avec le fisc américain, ils visent d’abord les très grandes fortunes des pays du Sud, notamment l’Amérique latine. Un créneau familial très personnalisé, avec des services de «family office» qui dépassent la gestion de fortune. La supervision des études du fils de la famille dans une école privée de la région lémanique, par exemple.
Or le territoire des Etats-Unis agit pour cette clientèle un peu comme un repoussoir, ne serait-ce que parce qu’une présence aux Etats-Unis risquerait d’en faire des sujets fiscaux américains. Est-ce donc pour desservir ce type de clientèle que les banques américaines veulent faire de Genève leur centre international? «L’objectif est que Genève devienne la plaque tournante pour ce type de gestion de fortune orientée sur les grandes familles des pays du Sud», confirme Charles Adams, avocat d’affaires américain à Genève dans le cadre de l’étude Akin Gump.
Que les clients brésiliens ou chiliens, dont la méfiance à l’égard des Etats-Unis est proverbiale, puissent choisir une banque américaine basée en Suisse pour faire gérer leurs avoirs peut paraître biscornu. Pourtant la tendance n’est pas illogique car elle reflète une relation où se mêlent fascination et répulsion. L’idée sous-jacente est qu’une banque américaine en Suisse est à l’abri des pressions de Washington, un peu comme ces clients iraniens de certaines banques suisses qui, gênés par les mesures prises en janvier par le Conseil fédéral à l’encontre des avoirs iraniens, ont demandé à faire transférer leur compte à New York. Il y a un dicton en anglais pour caractériser cette démarche: on parle de sauter de la poêle directement dans le feu. 

Mieux vaut prendre les devants, en effet, car l’Oncle Sam a le bras long: Merrill Lynch, l’une des banques américaines les plus présentes en Suisse, a traditionnellement été la banque des forces armées US en Europe, et ses liens avec les services de renseignement ne relèvent probablement pas du mythe. Au début des années 1960 déjà, Bernie Cornfeld était venu s’installer à Genève à l’enseigne de sa société IOS qui, initialement, vendait des parts de fonds de placement aux soldats américains basés en Europe, avant d’élargir ses ambitions à un large public suisse et européen. L’affaire avait fini devant la justice genevoise à partir de 1973. Mais IOS n’en avait pas moins amené à Genève de nombreux Américains dont certains sont restés pour devenir les cadres des multinationales venues s’établir dans la ville.
La tradition reprend de la vigueur aujourd’hui. D’autant que la place financière suisse pousse l’élégance jusqu’à façonner un cadre idéal pour que ses concurrentes d’outre-Atlantique puissent s’épanouir à l’ombre de ses meilleurs atouts. Une carte postale où le secret bancaire est illustré en rose bonbon. Le fonds de commerce de la finance helvétique a beau avoir été souillé par les attaques du fisc américain, il tente de se refaire une virginité grâce à un sondage de l’Association suisse des banquiers (ASB).

L’enquête d’un institut mandaté par l’organisme faîtier confirme ainsi les résultats obtenus les années précédentes sur le même thème. Il faut dire que l’ASB ne prend aucun risque, tout est savamment mis en scène, dans le questionnaire, pour parvenir à la confirmation de l’hypothèse initiale. A savoir: les Suisses plébiscitent le secret bancaire. Le cocasse, dans l’affaire, est que ce sont en premier lieu les banques américaines qui profiteront du gain d’image. Thanks!

Article paru dans “La Liberté” du 8 avril 2011

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