Derrière un tronc sec, deux billes luisantes dardent le photographe. C’est lui, en noir et blanc sur une piètre photo nocturne, l’ours qui a vu l’homme qui a vu l’ours qui a été repéré récemment dans les Grisons, et probablement venant d’Italie! C’est notre presse agrume qui nous l’affirme, via son agence de presse. L’ATS, la grande agence helvétique, n’a aucun intérêt à mentir sur un sujet qui mine le moral des plus fins limiers du très officiel Service de la chasse et de la pêche des Grisons.
Ouf, la traque semble s’être resserrée autour d’un plantigrade sans vergogne qui depuis deux mois ne pense qu’à se remplir la panse.
Il aurait gobé près de vingt-sept moutons sur l’alpage. Les lésés veulent sévir avant que le cheptel devienne exsangue. Berne qui en porte le nom et l’effigie devrait s’en émouvoir, avant qu’ils ne viennent, fourche à la main, revendiquer du secours devant le Palais fédéral. Une jacquerie qui ne manquerait pas de la ridiculiser.
Mais que diable, pourquoi traquer cet ours, qui en des temps reculés symbolisait, par sa force et sa ruse, notre fierté alpestre comme notre identité? Emblème de tant de monuments, d’enseignes, d’auberges et de lieux dits de Suisse, l’aurions-nous renié? On recherche ses traces ADN, c’est tout dire que nous l’avons déjà tué.
Méfions-nous de notre ingratitude. Il n’a pas dit son dernier mot. Le temps de la vie sauvage reviendra.