Plaidoyer pour un taux plancher de 1,40 franc pour 1 euro


Depuis le début 2010, le franc s’est apprécié de près de 30 % par rapport à pratiquement toutes les monnaies.

PAR DANIEL LAMPART

À cause de cette surévaluation, une grave récession nous menace ; l’économie d’exportation de produits suisses est la première concernée, mais venir en Suisse est aussi devenu trop cher pour nombre de touristes étrangers. Finalement, les premiers touchés sont les travailleurs et travailleuses. Dans un tel contexte, nombre d’entreprises, surtout des grandes, ne peuvent assurer leur survie qu’en délocalisant à l’étranger leurs achats ou des parties de leur production. Ce qui n’aide en rien les salarié(e)s de Suisse. En effet, les emplois disparaissent et le chômage ainsi que les pressions sur les salaires se font menaçants. Plus de 100 000 emplois sont en jeu.

Le franc surévalué a aussi laissé des traces profondes dans les caisses de pensions. Leurs placements en monnaies étrangères ont perdu de la valeur. À ce jour, les pertes comptables se montent à environ 50 milliards de francs, soit plus de 10 000 francs par travailleur ou travailleuse.

Le franc est extrêmement surévalué. Par rapport à l’Allemagne – le principal partenaire commercial de la Suisse -, cette surévaluation est désormais de plus de 35 %. Le taux de change convenable par rapport à l’Allemagne serait d’à peu près Fr. 1,50 pour 1 euro. Par rapport au dollar et à la livre anglaise aussi, le franc a énormément pris de la valeur. De fait, des estimations montrent qu’il est également trop cher pour plus de 30 % par rapport à ces monnaies.

Le Conseil fédéral et la Banque nationale suisse (BNS) ont longtemps prétendu que le franc s’était apprécié parce que l’état des finances suisses était meilleur que celui des États de l’Europe du Sud. C’est faux. En effet, la situation de la Norvège est meilleure que celle la Suisse, mais il n’y a pas de spéculation sur la couronne norvégienne. La surévaluation du franc suisse n’est donc pas la conséquence des problèmes rencontrés dans la zone euro, mais celle de la spéculation dont il fait l’objet. C’est pourquoi, la Suisse est en mesure de combattre seule et avec succès la cherté de sa propre monnaie.

La BNS doit fixer un taux de change plancher par rapport à l’euro et le défendre. C’est ce qu’elle n’a cessé de faire, plus ou moins explicitement et avec succès, depuis la fin des années 1970. Ce fut le cas, par exemple en introduisant un taux de change plancher de 80 centimes pour 1 Deutsche Mark en 1978. Ou en imposant un taux de Fr. 1,45 pour 1 euro après le 11 septembre 2001. Si la BNS ne prend pas la tête des opérations, les marchés des devises pourraient rapidement échapper à tout contrôle. Comme c’est le cas aujourd’hui. Avec un taux plancher, il est par contre possible de contrôler le marché.

Ce taux plancher doit être fixé à un niveau crédible. La BNS ne doit pas se soumettre à la spéculation sur le marché des devises, mais clairement faire savoir quelle est la marge raisonnable pour le cours du franc par rapport à l’euro. Cela doit se faire selon l’évolution de l’économie réelle. Il en résulte qu’il faut viser un taux plancher de Fr. 1,40 pour 1 euro.

La BNS peut imposer un tel taux si elle le veut. Elle est en effet souveraine dans sa politique par rapport au franc. Aucun spéculateur sur les taux de change n’est près d’être aussi puissant qu’elle. Car en théorie, elle peut jeter à l’infini une grande quantité de francs sur le marché, alors qu’aucun autre intervenant ne le peut.

Les craintes d’une inflation sont exagérées. L’inflation, cela signifie que les entreprises relèvent fortement leurs prix. Pour l’heure, c’est précisément le contraire qui a lieu. Le franc surévalué a en effet pour conséquence de mettre les prix sous pression. Le danger est celui d’une déflation. Lorsque le taux de change était de plus de Fr. 1,65 pour 1 euro, l’inflation était inférieure à 1 % en Suisse. Un cours de Fr. 1,40 pour 1 euro permettrait aux entreprises de survivre. À ce niveau, des hausses de prix ne seront plus guère possibles. De ce fait, on ne court aucun risque d’inflation.

L’auteur est économiste en chef de l’Union syndicale suisse (USS). Article paru sur son blog.

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