La Vouivre veut vivre!


Portrait d’une petite librairie indépendante de Saignelégier, dans le Jura, qui soutient la loi sur la réglementation du prix du prix du livre soumise au vote le 11 mars 2012.

–        Le client: «Bonjour, Monsieur le libraire. J’aimerais un livre intéressant à lire!»

–        Le libraire: «J’ai!»

D’un pas décidé, Jean-Michel Steiger (photo: Stéphane Gerber) parcourt alors les rayons de son commerce et revient tenant dans la main un petit ouvrage d’une quarantaine de pages.

–        Le libraire: «Voilà, Monsieur le client. Je pense que ce livre va vous convenir!».

Scène vécue il y a quelques jours dans une des trois dernières librairies indépendantes de la République et canton du Jura – une par district ! « La Vouivre ». Du nom du roman de Marcel Aymé. Référence aussi, bien sûr, à la créature mythologique synonyme de savoir et de connaissance.

Saignelégier. A quelques pas du légendaire « Café du Soleil », guère plus éloigné de la gare des Chemins de fer jurassiens chère aux touristes et aux randonneurs venant découvrir les nombreux charmes des Franches-Montagnes, un vieux bâtiment en cours de rénovation. Un ancien café. Depuis 23 ans, c’est ici, au premier étage d’une bâtisse qui abritera bientôt aussi le bureau de l’Office du tourisme, que Jean-Michel Steiger, 54 ans, a emménagé une librairie indépendante, la seule de cette commune d’un peu plus de 2500 habitants.

Sa profession de libraire, Jean-Michel Steiger la vit comme une passion. Mais aussi parfois aussi un peu comme un sacerdoce. «Je ne compte pas les heures de travail supplémentaire et ne roule pas vraiment sur l’or», confie-t-il avant d’ajouter: «Mais ce sacerdoce est souriant!». Deux postes de travail à peine. Le sien, à plein temps. Et un autre partagé par son épouse et une employée qui fut aussi son apprentie. Sa dernière apprentie-libraire. «Je n’ai malheureusement plus les moyens financiers de former la relève», déplore celui qui prendra sa retraite dans une dizaine d’années, sans savoir si quelqu’un va lui succéder.

«La Vouivre» n’est pas qu’une simple librairie avec ses rayonnages thématiques: «Livres pour les enfants et la jeunesse»; «Romans»; «Guides» ou encore – liste non exhaustive – un espace important consacré aux «Auteurs jurassiens». Cet espace mixte de plusieurs pièces fait aussi office de café. «La précédente propriétaire avait demandé de garder un emplacement où servir des boissons», précise Jean-Michel Steiger. Mais sur les quelque trente à quarante personnes qui fréquentent chaque jour cet établissement, la majorité y vient pour y acheter des livres. Des ouvrages qui sentent encore bon l’encre, la colle, l’intelligence et la poésie. Très peu de bouquins sous cellophane…

Jean-Michel Steiger soutient la loi soumise au vote le 11 mars. «Il est indispensable de répéter que le livre n’est pas un objet comme un autre et de s’entendre pour des prix corrects», poursuit-il. «Un livre, c’est comme l’air, le feu ou l’eau: sans eux, l’être humain ne peut pas vivre», est-il convaincu. En l’absence d’un établissement comme le sien, les écrivains et les éditeurs de la région auraient sans doute beaucoup de peine à se faire connaître. Or comment espérer durablement exister quand les grandes surfaces des grandes communes proches, de Delémont ou de La Chaux-de-Fonds, peuvent vendre à bas prix des best-sellers?

Mais ce passionné de l’écrit n’est pas dupe : « La loi ne résoudra pas tout. Encore faudra-t-il faire une meilleur promotion des «petites» librairies et de ce métier», poursuit-il, convaincu que le livre et les commerces tel que le sien jouent un rôle social primordial.

Sa clientèle? Oui. Parfois, elle s’étiole. «Quand un grand acheteur de livres déménage ou décède, son absence se fait forcément beaucoup plus sentir que dans une grande librairie», rappelle Jean-Michel Steiger. «Et la nouvelle génération a grandi avec l’écran. Le livre papier l’intéresse donc un peu moins», admet-il. De nouvelles habitudes, donc. Mais cette évidence sociologique ne le dissuade pas de plaider en faveur d’un prix réglementé du livre en Suisse. «Le système existe en France voisine depuis trente ans et il fonctionne. Il a contribué à la stabilité des prix et à la diversité de l’offre littéraire et éditoriale», souligne-t-il. Au point qu’en 2009, le gouvernement de droite de François Fillon a renoncé à remettre en cause cette loi.

Diversité? Le mot est lâché. S’il aime autant la profession de libraire, c’est parce qu’elle lui a laissé jusqu’à présent une certaine autonomie. «Ma principale richesse, c’est de pouvoir proposer aux clients des coups de cœur et des choix totalement subjectifs», insiste Jean-Michel Steiger.

Comme par exemple l’ouvrage qu’il me remet ce jour-là au moment de clore cet entretien :

–        Le libraire: «Voilà: je vous conseille de lire «Hans Raoul Ulrich Vaneigem Obrist», un petit livre de conversation entre deux écrivains paru chez un petit éditeur indépendant: Manuella éditions».

En quatrième de couverture de ce petit bouquin, une phrase à méditer: «Je ne suis ni pessimiste ni optimiste. Je tente de rester fidèle à un principe: désirer tout, ne rien attendre.»

Article paru dans “Syndicom – le journal” du 3.02.12

 

 

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Un commentaire à “La Vouivre veut vivre!”

  1. Pierre Adler 7 février 2012 at 16:04 #

    C’est admirable, réjouissant et, oui, réconfortant de savoir qu’il y a encore des librairies de cette sorte. Je ne connaissais pas celle-ci. En tout cas, lorsque je me trouverai dans la région, ce qui n’arrive malheureusement pas aussi fréquemment que je le désirerais, je compte bien rendre visite à ce charmant magasin.

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