Mark Muller, un temps de caniche


Février 1993. «Le canard enchaîné» révèle que le Premier ministre Pierre Bérégovoy a acquis un appartement grâce à un prêt d’un million de francs sans intérêt concédé par Roger-Patrice Pelat, un ami controversé de François Mitterrand, englué dans l’affaire Pechiney.  La tempête se déchaîne dans l’Hexagone, d’autant plus que Pierre Bérégovoy a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Une enquête judiciaire est ouverte.

Le 1er mai suivant, Pierre Bérégovoy est retrouvé mort, l’enquête de police conclut à un suicide. Au cours des obsèques, François Mitterrand prononce un discours tranchant: «toutes les explications du monde ne justifieront pas que l’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d’entre nous». Le président vise la presse et les journalistes. Parmi eux, Edwy Plenel qui consacrera un livre traitant de l’ensemble de l’affaire, intitulé «Un temps de chien». Le journaliste développe une réflexion approfondie à propos de son rôle dans un cas se concluant par un si sombre épilogue. Le journaliste n’est-il pas un chien de garde? Doit-il regarder dans une autre direction quand il dispose d’informations dérangeantes pour le pouvoir? Quelles limites opposer au travail d’enquête journalistique et au débat public, quand une affaire accède aux mains d’un juge qui instruit le dossier?

Dix-huit ans après, Genève vient de connaître une affaire à son échelle de petite république. Mark Muller a annoncé sa démission. Conseiller d’État en charge des constructions, il habitait un grand appartement loué pour un montant ridicule par rapport au marché genevois. Et Mark Muller n’a jamais prononcé une explication convaincante susceptible d’éradiquer le légitime doute d’un échange de faveurs.
Puis il y a eu le cas du MAD et les apparitions répétées de Mark Muller, incapable de justifier de manière claire son acte. Un exaspérant enchaînement de mauvais choix, symbolisé par le montant secret versé à l’employé. L’arrêt de la procédure judiciaire ne pouvant produire d’autre résultat que le début de la polémique et le débat public.

La politique est rude, ses coups sont durs et Mark Muller s’est noyé dans un verre d’eau qu’il a lui-même rempli. Au moins, au moment de démissionner, aurait-il pu nous éviter le numéro du politicien martyr, victime d’attaques incessantes. Une insupportable sensiblerie. D’autant que son départ s’accompagne de 437’000 francs, une somme qui achève le spectateur, vu que l’indemnité suit une démission avec effet immédiat. Le seul aspect positif de toute l’affaire est qu’il n’y a pas eu d’issue macabre. La démonstration qu’à Genève, par les temps qui courent, plus qu’un temps de chien, il fait un temps de caniche.

Article paru dans “Un ristretto!

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