Le français, quantité négligeable


«En Suisse, les francophones sont nuls en allemand alors que les Alémaniques savent le français.» Pendant combien de temps encore faudra-t-il entendre cette rengaine, ressassée comme un livret de 4 à l’école primaire, mais devenue complètement obsolète? Car la situation s’est inversée.

PAR MADELEINE JOYE

Il est vrai que, jusque vers la fin du siècle passé, l’enseignement de l’allemand laissait à désirer dans les classes romandes. Prodigué en français, il suscitait peu d’intérêt chez les élèves qui s’empressaient d’oublier un maigre savoir sitôt franchie la porte de l’école. Au contraire, de nombreux Suisses allemands faisaient l’effort de venir séjourner de ce côté de la Sarine afin de perfectionner un français tout aussi rudimentaire au départ. Et c’est ainsi que les Welsches trouvaient sans problème des interlocuteurs parlant leur langue dans les magasins et les restaurants des grandes villes alémaniques. Ainsi aussi que, dans une certaine mesure, les postes de l’administration fédérale ont été occupés par des Germains pratiquant les deux langues principales du pays alors que les francophones se cantonnaient dans le monolinguisme.

Les choses ont changé. La place de l’allemand a crû – en qualité et en quantité – dans les programmes scolaires romands, alors que le français est plus ou moins discrètement mis de côté «en face». Cela malgré le concordat Harmos et les proclamations de bonnes intentions. Quelques exemples: au terme de son école obligatoire, un jeune Fribourgeois a souhaité suivre une dixième année en allemand. Les professeurs du CO lucernois qu’il a intégré ont été époustouflés de ses connaissances dans la langue de Goethe. Lui est en revanche plutôt surpris par les faibles capacités de ses camarades en français. A Zurich, l’idée a été émise de recaler le français au rang de branche à option pour les élèves en difficulté. C’est dire l’importance qu’on lui accorde.

A Fribourg encore – dont les autorités vantent la culture du bilinguisme – les tests de passage entre le primaire et le secondaire inférieur (Cycle d’orientation) comprennent l’allemand pour les francophones, alors que les germanophones sont dispensés de démontrer leurs compétences en français… La justification avancée par la directrice de l’Instruction publique dans «La Liberté», vaut son pesant de roestis: d’après Isabelle Chassot, les Alémaniques n’ont pas d’examen en français parce qu’ils reçoivent un enseignement fondé surtout sur la communication. On peut en déduire que, au terme de six ans d’école, ces enfants n’ont quasiment pas abordé la langue écrite.

Inutile de préciser que, même à Berne ville fédérale, il faut tomber sur des gens de cinquante ans ou plus pour espérer se faire comprendre en français. Et ce n’est guère la peine de s’adresser aux plus jeunes en bon allemand – langue nationale, on ne le rappellera jamais assez; leur air effaré dit bien les dégâts de la pratique du dialecte jusque dans l’enseignement.

Alors, quand les arrogants et les naïfs, de part et d’autre de la Sarine, suggèrent – comme vient de le faire Romain Schaer, président de l’UDC jurassienne – que les Welsches apprennent le patois suisse allemand dès l’école enfantine, il faut les envoyer vérifier ailleurs la qualité de l’enseignement des langues officielles, seul gage de compréhension mutuelle.

Article paru dans “Courant d’Idées

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