Le travail en tandem


Au soir de sa défaite, le 6 mai 2012, M. Sarkozy a eu les bons mots pour émouvoir la France.

PAR BERNARD WALTER

« Je porte toute la responsabilité de cette défaite ». Quelle dignité dans l’adversité!

Oui mais…

Sa porte-parole, Nathalie Kosciusko-Morizet, a déclaré une poignée de minutes auparavant:  « Si ce soir Hollande a été élu, c’est qu’il y a beaucoup de votes blancs, et voter blanc, c’est voter François Hollande ».

Au soir d’une élection de cette importance, on est en droit de considérer que la porte-parole d’un Président a reçu des consignes, que donc ce qu’elle déclare sur un plateau de télévision engage totalement le patron pour qui elle travaille.

A côté de la porte-parole de M. Sarkozy se trouvait le représentant du Front national qui lui a envoyé une volée de bois vert, disant que si la droite avait perdu, elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même.

Madame Kosciusko faisait piètre mine, ridiculisée qu’elle était devant des millions de téléspectateurs!

Mais le message a passé pour les militants à qui l’on a donné une cible sur laquelle reporter leur frustration.

Quelques minutes plus tard, des millions de spectateurs étaient donc invités à découvrir la grandeur d’âme de Monsieur Sarkozy. L’honneur était sauf.

La duplicité du message est répartie: le chef s’en attribue la part glorieuse, à son serviteur d’en assumer l’aspect problématique. C’est ce qu’on peut appeller du « travail en tandem ».

Ce sont les nouvelles d’Allemagne qui ont attiré mon attention sur ce genre de pratique dont je n’avais jusque-là pas vraiment pris conscience. Le tandem se nomme cette fois Merkel-Weidmann.

Au télétexte de la télévision romande, le 12 mai 2012, la nouvelle suivante était diffusée: «Jens Weidmann, président de la banque centrale allemande, a mis en garde samedi François Hollande. Il a ainsi exhorté le nouveau président français à ne pas toucher au poste budgétaire européen… Une modification des statuts de la banque allemande serait dangereuse.»
Je n’ai pu retenir un mouvement de stupéfaction. Comment un fonctionnaire, quel que soit son grade, peut-il se permettre ainsi de s’adresser publiquement à un Président élu, au moment où celui-ci va entrer en fonction, et qui plus est sur le ton de la menace? Nous allons au devant de l’incident diplomatique, ou à tout le moins, c’est un climat de division qui d’emblée s’annonce. Et Madame Merkel, dans tout cela? J’apprends par internet que Jens Weidmann est surnommé par la presse allemande «l’homme qui murmure à l’oreille de la chancelière» et qu’il est depuis cinq ans son principal conseiller économique… qu’est-ce qu’elle doit être contrariée d’un tel manque de respect des convenances de la part d’un de ses proches!

Eh bien, à la page suivante de ce même télétexte, nous avons la réponse: «Mme Merkel a déclaré croire possible un partenariat stable. (…) François Hollande sera reçu avec les honneurs militaires. ( …) Les deux dirigeants doivent s’entretenir de la crise dans la zone euro et des relations bilatérales.»

J’imagine un parrain de la mafia qui a envoyé un de ses hommes de main (d’autres diraient un «porte-parole») à un concurrent avant une réunion conjointe: «Ça va très bien se passer, mais attention, il te faudra être sage, et savoir qui commande.»

François Hollande est averti. Et puisqu’un homme averti en vaut deux, c’est en tandem qu’il ira le 15 mai trouver Madame Merkel à Berlin.

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