Ampoule éternelle, l’invention est-elle trop belle?


Un ingénieur espagnol aurait développé l’ampoule LED qui ne s’éteint jamais. Génie ou charlatan?

PAR CAROL HAEFLIGER

Son invention se veut le début d’une nouvelle ère, celle où libéralisme et écologie feraient bon ménage. Avec une équipe de scientifiques internationaux et après neuf années de recherche, Benito Muros, businessman et fondateur de Oep Electrics annonce fièrement sur son site internet que l’ampoule éternelle est enfin disponible au grand public. Il affirme être menacé de mort à cause de son produit, d’autres l’accusent d’escroquerie.

La page internet de Oep Electrics annonce la couleur: «Oep Electrics est l’unique marque sur le marché sans obsolescence programmée». Pour le prix de 43 euros pièce et uniquement à travers la page internet d’Oep Electrics, vous obtiendrez une lumière éternelle (garantie 25 ans) et une facture d’électricité revue à la baisse. Dotée de la technologie LED («Light Emitting diode» ou diode électroluminescente), cette ampoule à basse température consomme 92% de moins d’énergie qu’une ampoule classique à lumière incandescente et 68% de moins qu’une ampoule à faible consommation. En outre, elle génère 70% de moins d’émissions de CO2 dans l’atmosphère que les ampoules présentes sur le marché. Par sa durée de vie, elle permet, dans un même nombre d’années, de réduire la quantité de résidus générés par l’achat d’autres ampoules, simplement jetées lorsqu’elles sont devenues obsolètes. Le programme a de quoi séduire.

Dans l’excellent documentaire de Cosima Dannoritzer «The Lightbulb Conspiracy» («Prêt à jeter», dans sa version française), le protagoniste souhaite faire réparer son imprimante et se rend dans différents magasins d’électrodomestiques où la réponse est unanime: il vous coûtera moins cher d’en acheter une nouvelle plutôt que de la faire réparer. L’obsolescence programmée consiste à diminuer sciemment la durée de vie d’un objet afin d’encourager la croissance du marché fondé sur la consommation. «Ainsi, affirme Benito Muros, si un frigo durait 30 ans dans les années 50, aujourd’hui, il ne dépassera que difficilement les 6 années de fonction».

L’ampoule de Muros permettrait-elle alors de diminuer les tonnes de déchets qui recouvrent la planète en appliquant sa formule d’éternité aux autres objets du quotidien? S’il prétend être menacé de représailles dans le cas où il poursuivrait son activité, l’ingénieur insiste pourtant sur le fait que la durée de vie d’un objet n’est pas incompatible avec la logique de croissance: cette ampoule «répond au besoin actuel d’un compromis avec l’environnement (…) ainsi qu’à un nouveau concept d’entreprise qui développerait des objets non caducs». Cela permettrait aussi de voir naître toute une gamme de nouvelles entreprises qui se chargeraient de la réparation des objets, favorisant de la sorte l’emploi et la croissance.

Afin de développer son produit, Benito Muros se serait rendu au Parc de Pompiers de Livermore, en Californie, où se trouve la fameuse ampoule apparaissant dans le documentaire de Dannoritzer, allumée sans interruption depuis 111 années. Muros affirme avoir longuement étudié sa fonctionnalité afin de développer son ampoule selon des technologies modernes et avec des matériaux plus performants. Or, c’est là aussi que ses détracteurs l’accusent de fraude: la technologie employée par Edison était celle de la lumière incandescente et n’aurait rien à voir avec la technologie LED que Muros a employée pour développer son produit. En outre, nulle part sur son site web il n’est indiqué qu’en cas de détérioration avant les 25 années sous garantie, l’entreprise s’engage à rembourser le prix de l’ampoule.

L’entrepreneur serait menacé de mort ainsi que sa famille et ses enfants dans un message maintenant aux mains de la police. « Il existe une dizaine de patentes d’ampoules qui garantissent une durée de vie de plus de 100’000 heures (environ 12 années allumées sans interruption), mais aucune n’est jamais sortie sur le marché», indique-t-il dans un entretien accordé au journal espagnol «La Vanguardia». «Il y a un contrôle sur les fabricants d’ampoules. Ce n’est pas officiel, mais je suis sûr que ça existe». Il est vrai que d’autres patentes existent, mais la raison pour laquelle elles n’ont jamais vu le jour n’est pas forcément liée à la censure. Au début des années 1980, l’horloger allemand Dieter Binninger déposait trois patentes pour une ampoule dont la durée était supposée atteindre les 150’000 heures (environ 17 ans) et qu’il avait mise au point alors qu’il travaillait à la réalisation de l’ «Horloge de Berlin» qui nécessitait des centaines d’ampoules pour fonctionner. En 1991, alors qu’il venait de trouver une usine pour produire ses ampoules, Binninger mourait dans un accident d’avion, ses patentes finissant ainsi dans  l’oubli.

La presse s’est rapidement emparée de l’histoire de Benito Muros sans la vérifier, s’en faisant l’écho jusque dans les grands médias nationaux espagnols. Il faut reconnaître que tous les ingrédients d’un bon buzz y sont: de belles intentions, un inventeur génial, de sombres individus cherchant à le faire taire et le complot de tout un système qui refuserait que ce produit novateur et décidément éthique ne vienne troubler les plans futurs du néo-libéralisme. Benito Muros cite régulièrement la documentariste Cosima Dannoritzer avec qui il affirme collaborer. En première page du site d’Oep Electrics, nous retrouvons en effet «The Lightbulb Conspiracy», comme si l’entrepreneur souhaitait systématiquement justifier les vertus de son produit.

Nous avons donc pris contact avec la réalisatrice du film qui, lasse de devoir remettre sans cesse les choses au clair, s’insurge contre cette histoire inventée du début à la fin. «Bien sûr que son ampoule pourrait rester allumée pendant 25 ans, mais ce n’est pas la seule! Toutes les ampoules LED ont, en théorie, cette durée de vie!». Lorsqu’on lui demande quelles sont ses relations avec Benito Muros, Cosima Dannoritzer affirme ne pas le connaître et n’avoir jamais parlé avec lui. En outre, il n’aurait jamais travaillé avec une équipe d’ingénieurs internationaux, mais simplement importé un modèle d’ampoule LED d’un autre pays.

Benito Muros a-t-il vraiment mis ses compétences au service d’un monde plus juste ou s’est-il servi d’une question sensible, celle de notre responsabilité quant à nos déchets, pour surfer sur la vague verte en s’employant à une vulgaire propagande publicitaire pour un produit déjà existant? Quoi qu’il en soit, l’affaire mérite d’avoir ouvert le débat et nous rappelle qu’il est toujours possible de voir un très bon film sur la question de l’obsolescence programmée, «The Lightbulb Conspiracy».

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