Les ayatollas de l’écologie entendent régenter nos comportements. Sur le régime disciplinaire du tri des déchets va se greffer la tarification de l’eau.
PAR PIERRE KOLB
Des choses surviennent ainsi dans le canton de Vaud, probablement parce que l’apparente réussite de l’opération taxe au sac a libéré des instincts réglementaristes qui, au demeurant, ne sommeillaient guère. Mentionnons d’abord pour mémoire l’émergence, dans le débat public, d’une controverse annexe à la taxe au sac, une particularité du tri des déchets de papier. Les sacs récupérés après que l’on a fait ses achats, dans lesquels on glisse les vieux journaux et autres paperasses en vue de les porter au conteneur, ces sacs gêneraient, pour des raisons de confort technique, le recyclage de ces matières. A tel point que dans des zones où règne la plus pesante discipline écologique, ces sacs ont été bannis et obligation a été faite de ficeler les vieux papiers, opération fastidieuse s’il en est. A dire vrai, cette recommandation est aussi vieille que le ramassage du papier, mais les citoyens qui procédaient au tri sans y être obligés réagissaient avec bon sens, donc utilisaient les sacs en toute décontraction, sans perdre leur temps à nouer des ficelles de sergent-major.
Cette pratique sera-t-elle condamnée en même temps que l’écologie volontaire? Le pire n’est pas toujours sûr, et ce sera un test intéressant dans la petite histoire des mentalités. Car aujourd’hui déjà, certains organismes de collecte se chargent de séparer les sacs du tout venant; d’autres veillent à faire jouxter des conteneurs à papier et à ordures ménagères, demandant à l’usager, au moment de lancer son sac plein de papier, de le vider dans le premier en laissant le sac dans le second. Enfin, dans d’autres secteurs de collecte, le problème n’existe pas, parce que si les papeteries alémaniques posent ces exigences, d’autres recycleurs en France n’en font pas un drame. C’aura été l’utilité des polémiques vaudoises récentes de faire apparaître que les brimades administratives dues à quelques têtes carrées du royaume des déchets peuvent être évitées, à condition de ne pas se laisser faire.
Mais dans ce beau pays de Vaud, la dernière des ayatollas de l’écologie est venue sur un autre plan, celui de la consommation de l’eau. Au Grand Conseil, un député a fait passer un amendement imposant la pose des compteurs individuels d’eau lors de la construction de logements neufs. Pas besoin de préciser que cela vient de ces Verts de droite qui s’affirment libéraux et le sont dans leur souci de faire fonctionner l’économie, fût-elle parasitaire, mais le sont bien moins lorsque l’autonomie des personnes est en cause.
Donc, sous réserve d’une confirmation en deuxième débat parlementaire, la consommation d’eau, payée collectivement par immeuble, serait dorénavant taxée individuellement. Mesure bien sûr antisociale, mais au niveau des réglementations écologiques et de l’air du temps, ce n’est pas surprenant.
Au niveau de l’histoire des mentalités, en revanche, le tournant serait significatif. La fourniture de l’eau est séculairement une oeuvre de la collectivité. Le temps n’est pas si lointain où, dans les villages, on cherchait l’eau à la fontaine. Ceux qui peuvent se souvenir l’avoir vécu n’ont jamais connu que l’on fasse payer cette consommation au seau rempli. Ce n’était pas par impossiblité pratique, un gardiennage des fontaines eût été envisageable. Mais voilà. On ne le faisait pas. Aujourd’hui, alors que l’on n’est pas en situation de pénurie, il s’est trouvé une majorité de clampins pour approuver cette proposition qui exhale une morgue de possédants.
On peut encore imaginer des développements collatéraux, la fourniture de certificats médicaux par les personnes contraintes de prendre des bains plutôt que des douches… On devrait tout de même, surtout, penser qu’en matière de consommation d’eau les besoins individuels peuvent être assez variables, et que la moyenne constatable circonscrit les impératifs de la tâche publique. Mais non. Il faut des dispositifs criseux, qui fassent passer tout un chacun au compte-gouttes.
Cependant, là aussi heureusement, le pire n’est pas sûr. Dans «24 heures», Justin Favrod a interrogé plusieurs professionnels de la distribution d’eau, et le verdict négatif est net. Sans oublier que, selon la technique choisie, cette révolution comporterait des risques de santé publique, le système à mettre en place serait hors de prix. Exemple donné, la facture annuelle d’une personne seule, à Lausanne, pourrait passer de 150 à 350 fr. Les personnes qui, aujourd’hui, sont économes en eau sans contrainte ni contrôle, y perdraient.
Cette absence actuelle de contrainte est intéressante: elle n’a pas empêché que depuis 20 ans la consommation par habitant baisse régulièrement, preuve d’une prise de conscience générale de la valeur de l’eau. En fin de compte, c’est aux seuls vendeurs de compteurs que l’adoption du génial amendement écolo-libéral profiterait.
L’affaire paraît entendue, et mérite d’être classée dans les borborygmes divers dont souffre la technocratie écolo. Ne nous rassurons pas trop vite. Les âneries du genre de ce comptage individuel de l’eau sont dans l’air du temps. On sait – les exemples dans le domaine informatique sont foison – que les vendeurs de systèmes miracle ont de bons avocats dans les administrations, qu’ils sont capables d’entraîner les collectivités dans des aventures dont la lourde facture est ensuite réglée d’un petit air navré. Aussi est-il bien possible que soient proposés des dispositifs de comptage bien moins cher qu’il ne paraît maintenant. Et que les gogos marchent.
C’est la mentalité qui est exécrable. L’eau répond à un besoin vital, et l’on part du principe que ce besoin peut en être défini par des normes calculées bien sûr a minima. La mentalité du rationnement, la jouissance du rationnement, devrait-on dire. Concrétisées par des facturations immanquablement inégalitaires.
Ces dérives mettent les politiques écologistes en question. Elles se montrent impuissantes face aux méfaits des grands trusts pollueurs, la problématique mondiale du gaz de schiste le prouve. Alors on se rabat sur la culpabilisation du petit consommateur dont on normalise les comportements. Cette écologie n’est pas vivable.
Article paru dans « Courant d’Idées«