Moutier, «yes we can…»


Ce sera dur, bien sûr. Mais il reste un espoir fou pour Moutier: mener à son aboutissement la logique des choix effectués, en demandant le rattachement au canton du Jura. Car les 55% de oui de ce 24 novembre constituent un bel acompte.

PAR PIERRE KOLB

Par trois fois les électeurs de la cité prévôtoise ont été interrogés sur leur appartenance, lors du scrutin de 1974 sur la création d’un canton du Jura, en 1975 lors du contre-scrutin qui a maintenu le sud du Jura sous juridiction bernoise, et en 1998 lors d’un vote consultatif. A chaque fois, une courte majorité a empêché de faire le saut. Cette fois, une majorité nette envisage cette issue jurassienne. C’est un tournant, et une relance de la Question jurassienne.

Cette majorité l’a fait en sachant que l’option «constituante» proposée avait peu de chance de se réaliser, au vu des pronostics annonçant un gros niet dans le sud du Jura, pronostics que les résultats d’hier ont malheureusement confirmé. On peut donc penser que ces gens ont déjà dit oui dans la perspective de ce que l’on appelle le vote communaliste, qui reste maintenant à décider. Mais on peut aussi se dire que la dimension «oui pour voir» que cela impliquait a bien facilité les choses et que maintenant seulement les choses sérieuses commencent. Ceci explique le souhait souvent exprimé dans les rangs autonomistes d’une majorité acceptante plus forte, comme une réserve de puissance. C’était beaucoup demander, au vu des antécédents. L’essentiel est aujourd’hui un verdict qui ne souffre pas la moindre contestation, et atteste de la progression de l’idée jurassienne.

Certes la rediscussion des enjeux, en cas d’enclanchement d’une procédure communale, promet de sérieuses empoignades et expose au risque d’un déficit de voix, mais nul doute que la partie soit jouable. On est tenté d’y mettre en exergue une des plus intéressantes citations de notre époque: «Yes, we can…».

Ceci dit, le refus pro-bernois, par son ampleur, incite à s’interroger sur l’enchaînement de circonstances ayant conduit à l’organisation de ce scrutin du 24 novembre. Lors de la mise en place des institutions jurassiennes, à la fin des années 70, le Conseil fédéral avait entendu soumettre le nouveau Gouvernement jurassien à un chantage: une avance de financement du démarrage (50 millions) contre une renonciation expresse à toute revendication territoriale, 50 millions contre l’enterrement de l’aspiration à la réunification du Jura! Les ministres n’ont pas cédé et obtenu tout de même les cinquante millions, preuve que la fermeté payait. Cette péripétie longtemps restée cachée illustre le contexte de tensions qui a présidé aux premières années jurassiennes, dont on n’a pas complètement oublié les moments les plus spectaculaires vécus dans le contexte mal défini d’un «Etat de combat». Toutes choses qui menèrent, sur le plan des relations fédérales, à des impasses, puis à des tractations Berne-Jura d’où est sortie l’Assemblée interjurassienne. On est en 1994. Puis… plus rien, si ce n’est que cette instance interjurassienne a fonctionné, éprouvant les difficultés d’une concertation entre les deux parties du Jura, mais surmontant peu à peu ces obstacles, pour enfin formater le grand projet mis en échec ce dimanche.

Tout ça pour ça? Le contraste est violent entre l’offre faite par l’organisme de concertation, où les représentants du Sud, dûment mandatés par l’exécutif cantonal bernois, siégeaient à égalité avec ceux du canton, et le rejet massif exprimé hier. Le désaveu des mandataires bernois est cinglant, qui met pour le moins en doute la représentativité de ces gens désignés par Berne. Et réduit ces années passées à une gesticulation sans portée.

Puisque tout se focalise maintenant sur Moutier, comme c’était déjà le cas il y a vingt ans. D’aucuns estimaient alors que les autorités jurassiennes se fourvoyaient en prenant l’option de cette concertation dite interjurassienne, alors que la mouvance autonomiste aurait dû mettre la priorité et la pression sur la question de Moutier. Les faits ne leur donnent-ils pas raison?

Au moins la flamme jurassienne ne s’est-elle pas éteinte à Moutier, qui permet tout de même de dire que là, c’est possible.

Article paru dans “Courant d’Idées“.

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