“Mais qu’est-ce que tu vas te battre contre la peine de mort?”

Stéphanie Chasseloup  a entretenu une correspondance de trois mois avec Michael Perry, citoyen américain impliqué dans un triple meurtre avec un comparse et condamné à mort au Texas. Perry était âgé de 19 ans au moment des faits. Il a été exécuté  huit ans plus tard. Deux films ont été tournés sur cette affaire dans les semaines qui ont précédé l’exécution, un reportage de TF1 et un long-métrage de Werner Herzog: “Into The Abyss”. Elle-même en a fait un livre: «La tête haute, les yeux vers le ciel».

 

ENTRETIEN REALISE PAR BERNARD WALTER

 

La Méduse: Je voulais savoir comment tu te sens, au début de cette interview.

Stéphanie Chasseloup: Bien. Très à l’aise. Aucun souci.

 

Peux-tu résumer un peu l’ensemble de ton histoire avec Michael pour situer les choses?

Tout a commencé en mars 2010. Je suis tombée sur un article sur la peine de mort au Texas. Je ne connaissais rien de ce sujet, et j’ai été très choquée. J’ai découvert qu’on était sur le point d’exécuter un homme dont la culpabilité ne paraissait pas évidente. J’ai voulu en savoir plus, j’ai fait des recherches sur internet, et je suis tombée sur des annonces de condamnés à mort. J’en ai vu une trentaine, je pense. Parmi elles, celle de Michael Perry, sur laquelle j’ai immédiatement croché tellement elle m’a touchée. J’ai fait quelques recherches sur son affaire. Il clamait haut et fort son innocence. J’ai cru en lui. En plus, j’ai réalisé qu’aux Etats-Unis,  exécuter des innocents ne semblait pas poser de problème. J’ai voulu aider Michael et je lui ai écrit ma première lettre. Il a répondu, et là, ça a été le départ d’un combat de fou et d’une amitié incroyable.

 

Et à l’époque, s’il s’était avéré pour toi qu’il était coupable, est-ce que tu aurais quand même…

Je ne sais pas. Je me suis posé la question. Ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui ça ne me pose pas de problème. Mais à l’époque, vu que je ne connaissais rien de tout ça… honnêtement, je ne sais pas.

 

Ce qui m’étonne, c’est que, à propos de la peine de mort, tant l’émission de TF1 que le film de Werner Herzog ont pris justement Michael Perry comme sujet. Est-ce que tu t’expliques cela?

En ce qui concerne TF1, c’est moi qui les ai contactés, et c’est à la suite de ma démarche qu’ils ont fait ce reportage. Quant à Werner Herzog, là je ne sais pas. Il avait l’idée de faire quelque chose sur la peine de mort.

 

…et il a porté son choix sur Michael Perry. Quelque chose a dû lui parler, à lui aussi, comme pour toi… pour des raisons différentes peut-être?

Oui, alors pour des raisons bien différentes. Mais peut-être simplement parce que l’exécution était proche? Comme ça, il pouvait inclure le moment de l’exécution dans son film.

 

Tu dis que ça a été une histoire incroyable.

Incroyable, oui. Dans ma tête, c’est: on s’est retrouvés. Ce n’est pas qu’on s’est rencontrés, on s’est retrouvés. On se ressemble énormément, on était sur la même longueur d’ondes, et on a le même sens de l’humour. Je pense que c’est pour ça que ça a croché aussi fortement, Michael et moi.

 

Je voudrais savoir comment on a réagi autour de toi.

La plus grande partie des gens ne se sont pas intéressés. Beaucoup partent du principe que «s’ils sont condamnés à mort, c’est qu’ils le méritent». Point barre. Les gens ne vont pas chercher plus loin. Plein de gens m’ont dit : «Mais qu’est-ce que tu vas te battre contre la peine de mort, on ne l’a même pas en Europe?»

 

C’est quoi, les causes qui méritent d’être défendues?

Je ne sais pas. Il faut le leur demander.

 

Mais le journal “La Région Nord Vaudois” a  fait une bonne présentation.

Ils ont  réagi positivement, ils ont trouvé le livre très bien, très touchant, très humain. Ils ont titré: «Un témoignage poignant contre la peine de mort».

 

Et ton entourage?

Ils ont surtout eu peur pour moi, je crois. Ils ont vu comme ma relation à Michael était forte, ils voyaient la date de l’exécution s’approcher… J’avais prévenu que s’il était exécuté, je ne voulais parler à personne. Ma mère m’a téléphoné trois jours après l’exécution, elle n’a pas osé m’appeler avant.  On en a parlé un  peu, mais pas dans le détail. Je pense qu’elle n’a pas trop bien compris ce que je faisais. Dans les journaux, à la télé, on parle des enfants qui meurent de faim en Afrique, on parle de la Syrie… mais les condamnés à mort, qui en parle? Personne.

 

Et toi, ça t’a parlé?

Tout de suite. Je ne pourrais pas expliquer pourquoi, mais c’est un truc qui m’a parlé tout de suite.

 

Moi, c’est depuis gamin que je n’ai jamais pu intégrer cette chose-là. Mais on en parlait  davantage avant…  Je trouve vraiment bien que tu fasses ressortir toute cette question de la peine de mort. Ce qui m’intrigue, c’est cette espèce de silence là autour. Et sinon: est-ce que tu as rencontré de l’agressivité, est-ce que ça dérangeait que tu fasses ça?

Non. Les gens étaient indifférents.

 

Et ton intérêt pour la cause, c’est venu en même temps?

Tout est venu en même temps. L’histoire de Michael et l’intérêt pour la cause. Michael m’a expliqué plein de choses. C’est grâce à lui que je continue à me battre aujourd’hui.

 

Ce que j’ai appris dans le livre, c’est les conditions faites aux prisonniers «en attente» de leur exécution et comment on les tourmente au quotidien. Il y a dans le livre ton excellente remarque sur le fait que les condamnés sont condamnés à mort, mais pas à la torture. 

Mais c’est vrai, ça veut dire quoi, les enfermer dans 6 mètres carrés 23 heures par jour sans une fenêtre, sans contact avec l’extérieur? Et ceci durant des années! C’est une chose dont on ne parle pas, toute cette torture. C’est horrible!

 

Et lui, Michael, par exemple, il arrive à supporter ça? Il dit qu’il va bien… enfin…

Il n’aime pas parler de choses négatives, mais quelquefois, dans les lettres, il glisse une petite phrase qui en dit long.  “J’ai besoin de prendre quelqu’un dans mes bras”, dit-il. «La dernière fois, c’était sept ans en arrière. J’avais pu embrasser me mère avant de partir dans le couloir de la mort.» Une chose comme ça montre bien toute l’inhumanité qu’il y a là derrière. Serrer quelqu’un dans ses bras, tenir quelqu’un par la main, c’est un geste anodin, mais qui prend toute son importance quand tu es privé de tout contact. Les détenus ne sont plus rien. Aux yeux de la société, ils ne sont plus rien.

 

Je ne trouve pas anodin. J’ai vécu six mois seul en Allemagne, et là, les gens ne se font pas la bise. Eh bien, j’ai senti la différence! Je me suis dit que ce simple geste de se serrer dans les bras, c’est une nourriture qui donne de la vie! Et entre eux, les détenus, est-ce qu’ils se touchent?

Ils n’ont aucun contact entre eux. Absolument aucun contact physique. Aucun. Les cellules sont individuelles. Ils mangent seuls, ils vivent séparés par des grillages. Les seuls contacts tactiles qu’ils ont avec les gens, c’est quand on leur met les menottes. Ou bien s’ils vont chez le médecin…

 

Et leur vie sexuelle? Ils ne peuvent que se masturber…

Oui. Leur vie sexuelle se résume à ça.

 

On ne peut pas le leur interdire quand même…

Quand même pas. Mais j’ai entendu récemment parler d’un détenu qui a été pris «en flagrant délit» de masturbation dans sa cellule. Passe alors une femme gardienne devant sa cellule, elle lui demande d’arrêter. Le détenu l’envoie balader, et il continue. Elle est revenue, a vu qu’il n’avait pas arrêté, elle a alors ouvert un dossier contre lui pour harcèlement sexuel. Et lui a été puni du cachot pour ça.

 

Donc le cachot, ça existe, en pire encore que ces horribles conditions? 

Oui. Tu n’as alors plus de visite, tu n’as plus droit à tes affaires, tu n’as plus droit à rien.

 

Mais tout ça, c’est des atteintes profondes à ce qu’on appelle les «droits de l’homme»! Comme Guantanamo, par exemple.

Oui bien sûr.

 

Ça devrait être dénoncé comme tel.

Mais oui. C’est ce que nous essayons de faire! C’est une des raisons d’être de mon livre.

 

Et une plainte formelle?

La chose a déjà été essayée. Mais ça n’aboutit jamais.

 

C’est vrai. Des citoyens belges ont porté plainte contre Bush en 2003 après l’invasion de l’Irak, pour crimes contre l’humanité. A l’époque, la loi belge rendait la chose possible. Mais la plainte n’a pas été traitée. 

 

Et tu dis que toute cette expérience a changé ta vie.

Ah, entièrement, oui. Ma vie a pris un virage à angle droit. Et ça ne changera plus. C’est comme ça depuis quatre ans déjà. Je ne reprendrai plus la vie que j’avais avant de «tomber là-dedans».

 

Et ça, ça n’est pas par une fixation sur une personne en particulier, en l’occurrence Michael?

Non, pas du tout. C’est par lui que tout est arrivé, et après, tout a suivi: les contacts avec des gens, les associations, les sites d’information. On apprend à connaître, on apprend, on apprend, on apprend… On  s’oppose aux exécutions, on va au Texas…

 

Tu t’es engagée dans cette voie-là…

…pour ne plus la quitter. Ça me tient à coeur. Même si parfois je fais un peu moins. Mais je ne lâcherai pas.

 

Pourquoi?

Parce que. Il faut que la peine de mort s’arrête. Tuer encore… non. Il y a des gens qui disent: «Il faut penser aux victimes». Je pense aux victimes. Mais tuer le responsable, ça va changer quoi?

 

Si encore ces gens pensaient aux victimes des guerres, en Irak et ailleurs, mais y pensent-ils? 

Une fois, on m’a dit: «Si on devait commencer  à défendre toutes les causes, on n’en finirait pas, parce qu’il y en a beaucoup trop.» Eh bien non, pas d’accord. Même si on ne défend qu’une seule cause, c’est déjà ça de fait.

 

Je vais te poser une question un peu peau de banane, je peux ?… Est-ce qu’avec ça, tu ne t’es pas découvert une raison de vivre?

Presque… presque. Parce que ma vie avant, j’avais l’impression de la vivre sans trop savoir pourquoi. On vit, on bosse, on se marie, on a des gamins, voilà… Et puis après, ça change quoi du monde? Tu sers à quoi, en gros?

 

Déjà ça, c’est se poser des questions!

Je sentais un vide en moi. «Je n’avance pas, je ne sers à rien, pourquoi je suis là?», c’est ça qui me trottait dans la tête. Et quand j’ai commencé cette histoire… une fois j’ai dit: «Je sais maintenant pourquoi je suis là. J’ai un but.»

 

Mais, ce qui est important pour toi, c’est  la cause, ou bien le fait que tu es arrivée à remplir ta vie avec quelque chose?

Ah mais c’est la cause! Je me suis dit: «Il y a un combat à mener.»

 

Et puis le livre, c’est venu pourquoi, au fond?

J’avais besoin d’extérioriser ce que j’avais vécu. Je sentais que c’était au fond de moi, et ça me pesait. J’ai commencé par un article, mais ça n’était jamais fini. De fil en aiguille, il n’y avait plus d’autre solution que le bouquin.

 

Et tu as voulu le publier…

J’ai un peu hésité, et puis je me suis dit: «Tu n’as pas pris deux ans à faire ce livre pour le laisser au fond d’une table de nuit parce que tu as peur de quoi que ce soit! Si tu veux vraiment partager ce que tu as vécu, et pour que les gens sachent, il faut le publier.

 

Ce qui m’a surpris chez Michael, c’est qu’il fait la différence entre les bons prisonniers et les mauvais, et je ne sais trop que penser de ça.

Comme je te l’ai expliqué, ces détenus sont très possessifs. Il y a beaucoup de condamnés, et peu de personnes qui leur écrivent. Et quand ils trouvent quelqu’un avec qui ça se passe bien, ils ne vont jamais vouloir partager. Ils ont tellement peu de choses, alors avoir quelqu’un pour eux, qui s’occupe d’eux, c’est un trésor pour eux. Quand Michael dit ça, ça veut dire d’abord: «Tu m’écris à moi et à personne d’autre.»

 

Mais la peine de mort, Michael, il est contre ou il est pour?

Il est contre. Il était contre, Michael.

 

Une chose m’étonne chez Michael. Quand je vois les photos ou les reportages, quelques jours avant sa mort, le film d’Herzog, le film de TF1, j’ai l’impression que tout est normal, il discute avec une espèce de sourire, il a l’air à la limite heureux…  Il vient de passer huit années, on ne peut pas dire que c’est huit années de rêve… je trouve étrange.

Je pense qu’il cachait beaucoup son mal-être. Il n’aimait pas parler de choses négatives. La positivité est leur seule porte de sortie. Ce qui résume bien la chose, c’est notre première conversation, au téléphone, notre première et dernière conversation, quelques heures avant son exécution.  Il a commencé avec une blague. Parce que nous avons pleuré à travers nos lettres, et il ne voulait pas que ça se finisse comme ça. Dans la dernière lettre qu’il m’a écrite, il me demande de le faire rire, de parler de choses sympa et gaies. Malheureusement, il ne l’a pas reçue. C’est ce qui psychologiquement lui a permis de tenir. De toutes les lettres que j’ai reçues, une trentaine en deux mois et demie, il n’y en a qu’une où vraiment je sens qu’il n’est pas bien, on le sent derrière ses mots. Toutes les autres ne sont que positives.

 

Et des photos, il en a? Il sait la tête que tu as?

Oui, bien sûr, je lui ai envoyé des photos. Plein de photos.

 

Cette relation a été très concentrée. Je sais moi que si je suis dans une relation forte avec quelqu’un, j’aime bien, un jour ou l’autre le voir et puis le toucher…

Oui, le toucher, tu ne peux pas, c’est très frustrant.

 

Et toi ? Au fond il y a trois étapes dans ta vie, tu as avant, pendant et après. Trois choses différentes.

Exactement. Et je peux bien les séparer. La première, je l’ai déjà expliquée. Je vivais sans vraiment voir le sens de ma vie. La deuxième, eh bien, c’était quand Michael était là. Comment dire? Comment résumer? C’était un peu le bordel. Parce que j’ai complètement tout zappé… Michael, Michael, Michael, il n’y avait que lui. Pendant trois mois, ma vie a été coupée…

 

C’est pour ça que certains se sont dit: «Mais elle est folle de lui».

Oui aussi. Alors que mon seul but, c’était de lui sauver la vie. Il est certain que le côté affectif n’a pas rendu les choses faciles. Je lui ai dit: « Il y a ta cause qui me prend déjà beaucoup d’énergie, mais en plus il y a la personne que j’apprends à connaître à travers les lettres, c’est une personne que j’adore, ce qui rend ma tâche encore plus difficile.» Là j’ai vécu dans un état d’esprit d’urgence, de stress constant, du matin au soir.

 

Mais tu continuais à bosser?

Oui, mon boulot, je le faisais pour gagner de l’argent, et l’argent, il me le fallait pour aider Michael.

 

Tu parles de ton copain, dans le livre, ça s’est passé comment?

On s’est séparés au milieu. Mais la séparation avait déjà commencé quand j’ai rencontré Michael.

 

Et il avait quelle attitude? Il supportait, ou ça l’énervait?

Il ne comprenait pas. Dès le départ, il m’avait dit: «Tu ne le sauveras jamais. Donc tu perds ton temps.» Bon, il faut dire qu’en rentrant du travail, j’allais directement dans mon bureau, et je travaillais, je travaillais, je travaillais sur l’affaire de Michael, tous les soirs jusqu’à 22 ou 23 heures, donc la vie de couple en prend un coup. Et déjà il y avait des problèmes entre nous. Il n’a pas compris, après il a commencé à être jaloux, «tu ne penses qu’à lui». Je disais: «Mais attends, tu ne te rends pas compte de l’urgence de la situation, dans deux mois il n’est peut-être plus là, toi tu seras encore là».

 

Il aurait pu être solidaire avec toi.

Il aurait pu, mais il ne l’a pas été. Bon, il ne m’aurait pas perdu pour autant à cause de ça. Mais je me souviens, je l’ai vu deux jours après l’exécution,  il me dit: «Salut, comment ça va?», tout naturellement donc. «Ça ne va pas.» «Qu’est-ce qui t’arrive?» «Michael a été exécuté». Sa réaction, ça a été: «Mais tu croyais quoi, tu croyais que tu allais le sauver»?

 

Donc il n’avait pas de vibration pour ça…

Non. Mais il y a très peu de gens qui ont été vraiment touchés.

 

Ça me surprend, et ça ne me surprend pas. C’est dans l’air du temps…

Je ne sais pas, les gens n’ont pas d’intérêt. Et puis il y en a beaucoup qui sont pour la peine de mort. Maintenant, le bouquin est parti, on ne peut pas le cacher. Mais avant, je parlais très rarement du combat que je menais. Le peu de fois où j’en parlais, on me disait: «Oui, mais tu te rends compte, un type qui a tué des gens, il faut le condamner à mort!» Beaucoup pensent encore comme ça.

 

Si le sens de la justice dit que celui qui tue, il faut le tuer, alors il faut tuer pas mal de gens de par le monde…

Justement, j’en parle dans le livre.

 

Et puis la troisième étape, c’est quoi?

La troisième étape, c’est un peu une renaissance, on va dire.

 

Avec un choc au départ…

Il y a eu le choc de l’exécution, j’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre. Ça m’a pris au moins deux ans. Le temps d’écrire le livre, en fait.

 

Là est peut-être aussi le sens du livre. 

Justement, oui, c’est un livre-thérapie. Et, avec le recul, toute la positivité que Michael avait est maintenant en moi. J’ai bien digéré toute cette histoire et je me sens bien dans mon corps et dans ma tête. Je suis positive et encore plus combattante qu’avant.

 

Pour en revenir à l’histoire de Michael, je suis frappé par l’absence des parents

Je n’ai pas trop parlé de ses parents. Son père est décédé trois semaines avant l’exécution.  Ça a été quelque chose de difficile à vivre pour sa maman. Après… je ne sais pas comment ils ont vécu tout ça.

 

Ils existent bien dans le discours du garçon, mais autrement, je ne sais pas où ils sont. Et l’histoire du Mexique, de cette maison d’éducation féroce où Michael adolescent a été placé pendant un certain temps, je ne comprends pas, je trouve bizarre.

Oui, les parents se sont fait abuser par l’association, semble-t-il.

 

Michael a été adopté par eux très jeune, n’est-ce pas?

Il avait deux jours.

 

Tu dis que c’est un milieu aisé. Alors comment se fait-il qu’il soit devenu un mauvais garnement?

Michael a été dès l’âge de sept ans sous antidépresseurs et des choses comme ça, plus les camps de redressement… il semblerait qu’il avait des troubles du comportement. Il y a certainement un lien de cause à effet, on peut voir chez les condamnés à mort beaucoup de cas de ce genre. Il faudrait étudier sérieusement ce genre de questions. Ces personnes ne deviennent pas des meurtriers du jour au lendemain. Ça les gens ne le voient pas, ils se contentent de juger sur l’acte qui a été fait, ils ne voient pas ce qu’il y a eu avant.

 

Ils sont bien contents d’être bons, et qu’il y ait des mauvais pour montrer à quel point ils sont bons. Et puis ça arrange le système, on montre du doigt le coupable, c’est un people à l’envers.

Oui, voilà. C’est la société qui se venge.

 

En fin de compte, pour toi, la question « coupable ou pas ?» à propos de Michael, quelle importance tu lui donnes? 

Ça ne change pas le fond du problème. Ça ne change pas mon regard sur sa personne.

 

Quel âge tu lui donnes?

Comment ça ? Je lui donne son âge. Il était assez mature quand même.

 

Moi, j’ai l’impression qu’affectivement, il a deux ans.

En huit années dans le couloir de la mort, il est devenu plus mature. C’est sûr qu’il manquait d’affectif. Enormément.

 

J’ai fait quelques mois de prison pour refus d’armée, et là, j’ai connu un garçon d’une trentaine d’années qui était en prison depuis douze ans pour des vols de voitures,  finalement sous le régime de l’internement administratif.  Un vrai enfant qui a fait joujou avec des voitures. Ça me fait penser à la voiture de sport rouge de la victime que Michael conduisait après les meurtres. Sur le plan de leur développement psycho-affectif, ils ne sont peut-être pas tellement différents. Quand je vois sur les films l’attitude d’enfant innocent que Michael a dans les jours qui précèdent sa mort, je ne peux m’empêcher d’y voir une espèce d’incroyable inconscience infantile…

Oui, c’est vrai. C’est un gamin. Quand il a atterri dans le couloir de la mort, un détenu plus âgé  a écrit: «Aujourd’hui, il y a 999444» – le matricule de Michael donc – «qui est arrivé, mon Dieu, c’est un gosse!» D’ailleurs les médias l’appelaient: «The baby-face killer», le tueur au visage de bébé.

 

C’est ce côté qui au-delà de tout le reste touche chez lui. (Moment de silence).

Et toi, comme tu vis tout ça maintenant, c’est beaucoup de choses, ça doit faire bizarre! Comme si tu avais reçu un coup de bâton sur la tête…

Euh.. oui un petit peu… c’est assez lourd quand même. Ça ne va pas de soi de lâcher, de se dire qu’on oublie un peu… non, ce n’est pas possible.

 

(En référence au petit tatouage de Stéphanie sur son poignet: «Always smile», devise de Michael): Tu n’as pas recouvert ton tatouage pour oublier?

Ah non, ça je n’oublierai jamais. Ce qui est difficile à gérer, et cela dure depuis bientôt quatre ans, c’est que Michael me manque toujours autant. Je n’ai pas le choix, je me dis qu’il faut que je vive avec ça jusqu’à la fin de mes jours. C’est débile hein? On se dit que voilà, c’était quelque chose de court, trois mois, et puis je ne l’ai jamais vu, alors… Mais non, ça a été tellement fort que j’ai toujours ce vide au fond de moi. C’était la place à Michael, c’est tout. Et je ne pense pas que quelqu’un pourra avoir cette place, c’est la sienne. Si je suis la personne que je suis aujourd’hui, c’est grâce à lui.

 

C’est étonnant tout ça.

Oui, il m’a lâché une bombe dans ma vie. Le 24 mars 2010, une bombe est arrivée dans ma vie.

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2 commmentaires à ““Mais qu’est-ce que tu vas te battre contre la peine de mort?””

  1. Michèle Herzog 17 avril 2014 at 11:13 #

    Bonjour, Merci pour ce témoignage bouleversant, d’une immense sincérité. L’amour a ses raisons, que la raison ne connaît pas … Cela fait partie des mystères de la Vie. Les coïncidences sont aussi inexplicables. Par exemple cette rencontre très importante, imprévisible, trois mois avant la fin de sa vie … qui a certainement énormément aidé Michael à mieux supporter les événements qui ont eu lieu. Félicitations pour votre combat et votre engagement.

  2. Stephanie 17 avril 2014 at 18:14 #

    Bonjour Michèle,
    Un grand merci pour votre commentaire. Je reste persuadée que Michael et moi étiez faits pour nous “rencontrer”.
    bien à vous
    stephanie

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