Lafarge-Holcim, un mariage qu’il faut encore bétonner…


Quel rôle joue une famille égyptienne dans le modelage du futur numéro un mondial du béton, Lafarge-Holcim?

PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Avec 13% du capital, le nabab des télécoms Nassef Sawiris est le deuxième actionnaire de Lafarge, derrière le Groupe Bruxelles Lambert. Son frère Samih Sawiris, lui, est l’artisan de la mutation du cœur de la Suisse centrale en méga-complexe hôtelier et immobilier dont le principal livreur de ciment s’appelle… Holcim. Difficile de ne pas faire de relation entre, d’une part, les participations détenues par ces milliardaires en France et en Suisse, et, d’autre part, le projet de fusion entre les deux cimentiers.

Mais les marieurs doivent se tenir les pouces car la partie n’est pas jouée. Pour aboutir, les épousailles doivent encore obtenir la bénédiction de l’autorité de la concurrence. Bruxelles assure que ses experts sortiront la grosse loupe. Des concessions devraient en découler, qui aboutiront au démantèlement de certaines unités ici ou là. Pour son arrivée à la tête du ministère français de l’Economie, le très susceptible Arnaud Montebourg espérait recevoir un meilleur cadeau.

En Suisse, par contre, Lafarge n’est pas un acteur suffisamment important et les fiancés ne seront pas embêtés par le gendarme de la concurrence, rassure-t-on à Berne. Rien ne garantit en revanche que les nécessaires économies d’échelle n’affecteront pas le niveau de l’emploi dans les unités d’Holcim, disséminées aux quatre coins du pays, notamment à Satigny et Eclépens. En outre, même si la future holding sera basée en Suisse, le futur PDG provient du serail Lafarge. On se demande donc où se situera le véritable centre du pouvoir. Enfin, la Finma serait bien inspirée de s’interroger sur la possibilité d’opérations d’initiés. Dans les semaines qui ont précédé l’annonce de la fusion, le cours de l’action Holcim a grimpé de 20%!

Chronique parue dans GHI du 15 avril 2014.

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Un commentaire à “Lafarge-Holcim, un mariage qu’il faut encore bétonner…”

  1. J.-V. de Muralt 21 avril 2014 at 15:49 #

    Cette fusion marque la naissance d’un empire immense. En même temps je la regrette un peu car ce sera la fin d’un monde.

    L’entreprise Holderbank, de la famille Schmidheiny, était quand-même bien suisse comme le village glaronnais où elle avait son siège social. Cette entreprise avait écrit une page de notre histoire. On connaissait peu cette famille très discrète de rois du ciment qui étaient aussi les rois sans couronne de notre pays. Mais elle était malgré tout plus proche des gens que les managers totalement anonymes et sans visages qui géreront le nouveau mastodonte issu de la fusion.

    Le règne des magnats Schmidheiny représentait le “radicalisme des affaires”: ce puissant conglomérat d’intérêts économiques liés au parti radical et sans qui rien ne se faisait en Suisse. A la fin on avait même l’impression que le parti radical n’était plus qu’une dépendance de ce conglomérat et spécialement de l’empire Schmidheiny. Le radicalisme des affaires incluait Holderbank Financière à Glaris cet “heimliches Imperium”, mais aussi Zschokke (aujourd’hui Implenia) les grandes banques UBS et Crédit Suisse, Sulzer et tant d’autres grandes entreprises dans lesquelles la plupart des Suisses étaient amenés à faire leurs carrières et dont dépendaient tant d’existences.

    Sait-on par exemple que le conseiller fédéral Rudolf Merz n’a été mis au Conseil fédéral qu’au titre de fondé de pouvoirs de la famille Schmidheiny qu’il avait servie toute sa vie. Tout le monde le savait, personne n’en parlait, même chez les socialistes qui eux aussi font partie du système dont ils reçoivent leur part des prébendes. Merz en réalité avait été mis au Conseil fédéral pour mettre en oeuvre le programme esquissé par David de Pury (autre fonctionnaire des Schmidheiny comme Fritz Leutwiler) dans son fameux “livre blanc” tellement maladroit qui avait fait l’unanimité contre lui.

    Tout cela laisse songeur: voici une dynastie industrielle qui régnait sur un pays: la Suisse. Mais leur empire était mondial comme celui des Habsbourgs sur lequel déjà le soleil ne se couchait jamais. Pourquoi diable cette dynastie renonce-t-elle aujourd’hui à règner secrètement sur la Suisse pour se contenter d’être gros actionnaire d’un conglomérat mondial où elle ne donnera plus le ton, et surtout qui n’aura plus aucun caractère suisse? On est tenté de répéter la phrase d’Eric von Stroheim dans “La grande illusion” répondant à Pierre Fresnay qui lui disait: “cette guerre sera la fin des Greifenstein et des Boëldieu”: “Et vous ne trouvez pas que c’est dommage?”.

    Tout cela marquera la fin d’une certaine Suisse et pour ma part je trouve ça dommage.

    Je n’ai jamais compris pourquoi la SBS avait dû fusionner avec l’UBS, pour que l’ensemble finisse piteusement comme l’on sait. Etait-ce nécessaire? Pourquoi ce gigantisme? Je regrette le temps où tout jeune homme ambitieux, voulant réussir dans les affaires, devait être officier parce que tous les dirigeants des grandes entreprises étaient des colonels. Aujourd’hui on est dirigés par des types comme Brady Dougan, qui ne sont pas de chez nous et ne comprendraient absolument pas ce que je suis en train d’évoquer. La preuve: il a effacé d’un trait de plume, sans état d’âme, la raison sociale Banque Leu, pourtant la plus vieille et la plus prestigieuse des enseignes traditionnelles de la haute finance de notre pays: fondée en 1755. Daniel Vasella, ancien gauchiste, mais fils d’un professeur d’histoire suisse de l’école des Ernst Gagliardi, aura fait connaître chez nous un nouveau type humain: le super manager mercenaire mondialisé aux rémunérations inouïes. Dans son cas cela ne s’est pas bien terminé. Il a fini par devenir le mal-aimé de sa patrie et a dû se réfugier honteusement en Amérique, centre de ce monde déshumanisé. Après tout c’est un purgatoire mérité pour un soixante-huitard devenu un homme de main de l’exploitation capitaliste la pire qu’il dénonçait dans sa jeunesse.

    Toutes ces évolutions je les regrette et elles ne me paraissent pas nécessaires. C’est le nouvel ordre mondial, et je ne crois pas à la pérennité de cet ordre là.

    Rappelons nous: nous avons adhéré au FMI. C’était une grave erreur car, avant notre adhésion funeste à l’ONU ce fut l’un des premiers fils à la patte dont s’est embarrassé notre pays traditionnellement si jaloux de sa liberté. Eh bien, si nous sommes entrés au FMI c’était pour faire plaisir à Fritz Leutwiler, président de la Banque Nationale Suisse, le serviteur le plus zélé de la famille Schmidheiny. Et pourquoi nos rois du ciment voulaient-ils que nous entrions dans ce machin? Parce que leurs entreprises étaient déjà si internationales qu’elles tenaient à s’insérer au mieux dans ce système d’appels d’offres pour les grands marchés internationaux (en l’occurence cimentiers), pilotés par ces institutions illégitimes issues de Bretton Woods. Et voilà comment le groupe Schmidheiny avait déjà le doigt dans l’engrenage qui les amène aujourd’hui à fusionner leur royaume avec un autre. C’est bien triste.

    Tout cela se déroule sous nos yeux comme un film haletant et nous est présenté comme une nécessité inéluctable. Le nouveau groupe cimentier Lafarge-Holcim sera une magnifique entreprise mondiale mais il est permis de regretter le caractère familial et helvétique qui fut si longtemps la marque de Holcim. La famille Schmidheiny a décidé de renoncer à son sceptre héréditaire. Elle a sans doute ses raisons pour cela. Peut-être était-ce même judicieux au point de vue préservation de son patrimoine. Pourtant ce n’est pas être passéiste que de penser qu’une autre voie était possible. Gardons un esprit critique envers l’hubris mondialiste auquel cède trop facilement l’establishment. Rappelons nous que l’affaire Swissair a mis à nu l’inanité de l’a priori idéologique mondialiste de ce capitalisme dynastique qui à l’époque régnait au conseil d’administration de Swissair et qui a si piteusement échoué en causant le “grounding” de ces beaux avions portant le drapeau rouge à croix blanche.

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