On dirait que l’armée suisse dépense sans compter.
PAR BERTIL ROUILLER
Sans attendre la décision du peuple sur l’avion de combat Gripen, l’armée suisse se déclare d’ores et déjà prête à débourser 300 à 400 millions de francs pour l’achat de six drones “destinés à la surveillance des frontières et en soutien des autorités de sécurité civiles”. L’acquéreur Armasuisse promet une décision d’ici au mois de juillet 2014. Deux modèles israéliens à liaison satellite sont en lice: l’Hermes 900 du groupe Elbit et le Heron 1, développé par Israel Aerospace Industries.
Ces appareils sont-ils adaptés aux besoins suisses? C’est la première question à laquelle il convient de répondre d’emblée par la négative.En effet, ces drones rendraient l’armée dépendante d’onéreuses liaisons satellites, en plus d’un tarif horaire exorbitant de 14’400 francs. Par ailleurs, la sécurité dans un trafic aérien suisse particulièrement dense deviendrait fragilisée, en raison de l’immaturité des systèmes anticollision. Quantité d’autres moyens pourraient fournir beaucoup plus de services, être plus flexibles et plus sûrs.
La deuxième question a trait au prix. Petites comparaisons. L’Hermes 900 a été acquis deux fois moins cher par la police fédérale mexicaine. Le constructeur américain Shadowair a développé une solution incluant trois drones et une station de contrôle pour seulement 19 millions, soit neuf fois (!) moins cher que les drones convoités par Berne, à catégorie et capacités similaires. On peut se demander aussi pourquoi, pour éviter l’imbroglio des contrats compensatoires, on n’achèterait pas suisse? Ainsi l’entreprise zurichoise Unmanned System Group (USG), que Swiss UAV a rejoint en 2013, propose deux drones avions et un drone hélicoptère. Ces trois appareils modernes, pesant de 21 à 350 kg, utilisent les mêmes stations de contrôle et sont complémentaires, qui dit mieux?
Dans la gamme des mini drones, la comparaison est aussi intéressante: utilisés par de nombreux pays, ces appareils polyvalents sont discrets et bon marché. Trois drones avions RQ-11 Raven avec une station de contrôle valent 240’000 francs, et le quadricoptère Huginn X-1, 45’000 francs.
Les drones ne sont pas la seule solution. En fonction des missions, les utilisations paramilitaires et l’appui aux autorités civiles, par exemple, le choix devrait se porter également sur des appareils habités, à la fois meilleur marché et sans restrictions de vol. Ils sont plus sûrs et fournissent également des images en temps réel. Le petit bimoteur DA-42, dont la version pilotée peut facilement réaliser les missions de surveillance incombant à la Défense helvétique, ne vaut que 3,5 millions avec caméras HD et radar. Armasuisse en a acquis un pour tester les capteurs des futurs drones.
Parmi d’autres solutions à la fois moins coûteuses et plus adaptées aux exigences topographiques suisses, nous citerons également le motoplaneur Osprey de Shadowair, qui ne vaut que 2 millions équipé. Dans le monde entier, c’est l’hélicoptère léger qui est le plus utilisé pour ces missions, mais la Suisse n’a qu’un seul hélicoptère civil apte à ce type d’engagement: l’AS-350 Ecureuil, immatriculé HB-ZED. Aussi, l’utilisation de l’hélicoptère Super Puma de l’armée pour la surveillance et la recherche n’est pas judicieuse car son coût horaire dépasse 3500 francs, alors que des hélicoptères plus légers utilisés partout ailleurs pour ces missions ont un coût horaire allant de 405 francs pour un monomoteur R-44 à 937 francs pour un biturbine Bell 429.
L’an dernier, l’armée a effectué 520 heures de vol par hélicoptère en soutien des autorités civiles. À cela s’ajoutent 26 heures réalisées par les drones Ranger, soit moins de 5%; c’est bien peu quand on pense qu’il s’agit d’une justification importante de l’achat des nouveaux drones.
Conclusion, au lieu de 300 à 400 millions investis dans six drones, il suffirait de 60 millions pour se procurer une dizaine de systèmes habités variés et flexibles. Et d’acquérir conjointement différents modèles de drones, dont des Suisses, pour moins de 100 millions. Soit, 160 millions au total, en tout cas deux fois moins cher que ce que prévoit ArmaSuisse. L’armée serait alors plus économe et bénéficierait d’équipements plus appropriés aux multiples missions qui pourraient lui être confiées.
L’auteur est analyste technique et financier des questions militaires. Collaboration: Guillaume Ingold
Exemple d’utilisations d’aéronef par les polices nationales
Pays | Population en million | Superficie en km2 | Hélicoptère | Million d’habitants par hélicoptère | Avion | Superficie par aéronef en km2 |
Suisse | 8,037 | 41’285 | 1 | 8,037 | 0 | 41’285 |
France | 66,600 | 641’185 | 53 | 1,257 | 0 | 12’098 |
Allemagne | 80,586 | 357’026 | 92 | 0,876 | 0 | 3’881 |
Italie | 60,627 | 301’336 | 71 | 0,854 | 20 | 3’311 |
Autriche | 8,460 | 83’879 | 17 | 0,498 | 0 | 4’934 |
Belgique | 11,117 | 30’528 | 6 | 1,853 | 2 | 3’816 |
Ne sont pas inclus les hélicoptères de sécurité civile et de sauvetage
Etonnante information, d’une qualité exceptionnelle. Plus besoin de longs commentaires, tout est dit, ou presque. Grand merci.