Le flic pétard


Face au fléau du cannabis, le débat fait rage en France depuis des années entre deux camps irréconciliables.

PAR MARC SCHINDLER

A ma droite, les partisans de la loi, rien que la loi, toute la loi: «En acheter, en consommer, en détenir, en donner, en revendre, en cultiver (chez soi ou à l’extérieur), en transporter ou conduire après en avoir consommé sont autant d’infractions à la loi, passibles de sanctions lourdes devant les tribunaux, quelle que soit la quantité de cannabis incriminée.» A ma gauche, les partisans de la légalisation du cannabis: «Il faut sortir de la prohibition, ouvrir la discussion à l’Assemblée. Nos hommes politiques ont les yeux grands ouverts sur les pays étrangers qui changent leur législation mais ils ne font rien. Alors qu’il y a de plus en plus de consommateurs, la prohibition exclut toute possibilité de faire de la prévention efficace.»

Ces zélateurs du «Cannabis sans frontières» organisent chaque année une «marche mondiale» pour demander la fin de la prohibition du cannabis. Ils sont encouragés par la légalisation de cette drogue par l’Etat du Colorado, aux Etats-Unis, et par l’Uruguay. Même si le contexte est différent: au Colorado, l’Etat perçoit 10% de taxe sur la vente et 15% sur le prix de gros. En Uruguay, la loi veut lutter contre le trafic. La France reste le pays où la répression est la plus forte, avec la Finlande, la Suède et la Grèce: l’usage du cannabis est une infraction pénale, punie selon la loi de 2 ans de prison et de 4500 euros d’amende, même si la loi est peu appliquée. Le trafic de cannabis est plus durement sanctionné: jusqu’à la prison à perpétuité et une amende de 7.5 millions d’euros.

Pourtant, tout le monde reconnaît que la répression est un échec: il y aurait en France plus d’un demi-million de consommateurs quotidiens de cannabis et plus de 200 000 cultivateurs. Le trafic de cannabis représenterait plusieurs milliards d’euros, il pourrit les cités et entraîne des dizaines de morts lors de règlements de comptes entre bandes rivales. Devant cette catastrophe, des voix se font entendre pour réclamer la légalisation du cannabis, comme celles d’un ancien ministre de l’Intérieur, de maires et de policiers à la retraite. Des associations, des groupes de réflexion demandent un débat public. Mais les hommes politiques, de gauche comme de droite, se refilent cette patate chaude. Le débat sur le cannabis n’est pas très populaire.

D’autres pays, comme la Suisse, ont une approche différente: la politique est fondée sur la prévention, la thérapie, la réduction des risques et la répression. Selon une étude officielle: «Au total, les coûts directs se montent à 1,4 milliard de francs par année (environ 1.2 milliard d’euros). Les quatre piliers de la politique de la drogue (prévention, thérapie, réduction des risques et répression) ont une épaisseur très inégale puisque la répression absorbe 2/3 des ressources. La part des dépenses de police liées à la drogue représente aujourd’hui 22,5% des dépenses totales de police, soit 521,8 millions de francs. » (environ 420 millions d’euros).
Un expert suisse, Olivier Guéniat, vient de jeter un pavé dans la mare en affirmant que le modèle répressif suisse est un échec. Vous me direz : encore un de ces scientifiques naïfs qui ne sont jamais sortis de leur bureau. Vous avez tout faux: Guéniat est chef de la police judiciaire du canton de Neuchâtel. Et il rentre d’une mission d’experts en Uruguay, financée par l’Office fédéral de la santé publique. Ils sont fous, ces Suisses : envoyer un flic pour faire la promotion du pétard! Guéniat est un flic atypique: diplômé de police scientifique et de criminologie, docteur en sciences forensiques, ancien chef cantonal de la police. Il a même trouvé le temps d’écrire un livre: «Le profilage de l’héroïne et de la cocaïne – une méthodologie moderne de lutte contre le trafic illicite». Bref, tout sauf un spécialiste en chambre.

Et ce que dit le Dr Guéniat, de retour d’Uruguay, est plutôt provoquant: «Il faut légaliser la production et la consommation de cannabis dans l’espace privé… L’Uruguay fait le pari que cette mesure fera diminuer la pauvreté, la violence et la criminalité…un système de monitoring extrêmement sérieux y a été mis en place, afin de surveiller et mesurer les effets de la loi.» Le flic partisan du pétard privé est un pragmatique. Selon ses déclarations au journal suisse le “Temps”: «L’Etat autoriserait les consommateurs à s’organiser dans le cadre privé. Une autorisation accordée à ceux qui en feraient la demande et qui payeraient un certain montant annuel, par exemple quelques centaines de francs. Avec l’argent récolté, l’Etat pourrait financer des mesures de prévention et de détection précoce. Parallèlement, la répression pourrait se concentrer sur le marché illicite. Les amendes infligées pour détention de cannabis dans l’espace public devraient être beaucoup plus dissuasives qu’aujourd’hui, par exemple 1500 francs (1200 euros).»

Même en Suisse, qui n’a pas la religion du tout répressif comme en France, ces propositions font tousser le monde politique et judiciaire. Mais Olivier Guéniat a l’habitude de provoquer le débat. L’an dernier, il avait proposé que la police prélève l’ADN des demandeurs d’asile, pour savoir s’ils ont commis des délits dans l’espace Schengen et de partager ces données avec d’autres pays. Je vous le disais: atypique, le flic partisan du pétard privé.

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Un commentaire à “Le flic pétard”

  1. piierre-andre Campiche 21 mai 2014 at 09:49 #

    Pour diminuer les problèmes de drogue, il faut s’attaquer aux extrémités du trafic: trouver des ressources comparables pour les cultivateurs et dissuader les consommateurs avec d’autres évasions. Taper dans la chaîne des trafiquants, c’est comme couper un bras d’une pieuvre: inutile.

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